I. Folies à plusieurs : enfin un contexte épistémologique pour réfuter Freud
II. L’argument de la suggestion et sa généralisation comme instrument de lecture
III. Comment peut-il y avoir fraude, si tout est « construit » ?
IV. Pourquoi Freud a menti : une forme nouvelle de « l’argument du chaudron »
V. Quelle construction ? Quelle subjectivité ?
Bibliographie
Evidemment, toutes ces considérations reconduisent en long et en large
les apories qui ont rendu le spectacle des Freud Wars aussi consternant.
Disons qu’on a remplacé le motif imbécile de l’hagiographie
freudienne, selon lequel ceux qui ne sont pas d’accord avec Freud ont
un problème avec leur inconscient, par un autre, qui dit que si vous
persistez à croire dans les « bobards » de la psychanalyse,
c’est que vous avez la tête vide, ou des intérêts
cyniques à préserver. Je cherche en vain où est le gain
dans cette nouvelle commisération, ou dans ces nouveaux sarcasmes.
Borch-Jacobsen feint manifestement de ne pas voir que si ce qu’il dit
était vrai, ses conclusions seraient intégralement réversibles.
Voyez comment il construit l’idée d’« artefact
mimétique généralisé », qui est le véritable
pivot de sa thèse, en puisant son inspiration chez Bernheim, et en
fait, surtout chez Delbœuf, les deux grands maîtres de la suggestion
avant et à l’époque de Freud :
« Il n’y a pas de spontanéité, pas plus dans
le cabinet de l’analyste que dans le laboratoire du psychologue expérimental.
L’analyste aura beau rester silencieux comme une tombe, l’expérimentateur
aura beau communiquer avec ses sujets par l’intermédiaire d’une
bande préenregistrée, l’effet Bernheim-Delboeuf aura lieu :
"les sujets se demandent ce qu’on leur veut, devinent, et se hasardent" ».
« Cela n’est pas l’hypnose, même si c’est
un effet que Bernheim et Delbœuf ont d’abord observé dans
l’hypnose. Freud, de toute évidence, n’a pas su, ou pas
voulu comprendre que l’hypnose n’était qu’un exemple
parmi d’autres (si même particulièrement spectaculaire)
d’une suggestion ou artificalité généralisée,
sans rivages, sans possibilité de surplomb ou de contrôle »[7].
Plus loin, il commente une analyse (assurément étrange) par
Juliet Mitchell des raisons pour lesquelles l’hystérie n’aurait
nullement « disparu », comme le soutient par exemple Mark
Micale[8], mais se serait juste
pliée aux nouvelles attentes diagnostiques des médecins[9].
Borch-Jacobsen sent le triomphe à portée de main :
« Mitchell aurait pu en déduire, comme le font depuis longtemps
les sceptiques, que c’est à ce type d’artefacts mimétiques
(« suggestifs ») qu’on a toujours affaire en analyse
et en psychothérapie. Mais c’est précisément ce
qu’elle ne fait pas. Si l’hystérie a disparu [dit-elle],
ce n’est pas parce que, artefact mimétique, elle aurait été
remplacée par d’autres artefacts. C’est parce qu’elle
s’est "camouflée" sous ces artefacts, tout en restant la même
derrière ces déguisements : "Tout ce qu’elle a fait
est de changer de couleur" »[10].
Et vient le coup d’assommoir :
« Mais comment Mitchell le sait-elle, après tout ? Où
donc a-t-elle jamais rencontré l’hystérie "elle-même",
l’hystérie "essentielle" ? Nulle part. L’hystérie
étant d’essence mimétique, elle ne saurait être
identifiée [je souligne], pas plus qu’elle ne saurait être
réduite à tel ou tel de ses déguisements historiques,
à tel type de comportement ou à tel type de symptôme »[11].
L’avantage de la notion d’artefact mimétique ou suggestif,
pour une conception aussi constructiviste de l’histoire de la psychopathologie,
est évident. Car désormais, en partant de l’objection
traditionnelle, mais ponctuelle (c’était déjà celle
de Fliess contre Freud !) que le psychanalyste suggère les contenus
mentaux pertinents à son patient (en gros, ce qu’il doit avoir
dans son inconscient), on dispose d’une explication universelle qui
nous délivre de tout besoin d’élucider le grain fin de
n’importe quelle théorie du mental, quelle qu’elle soit.
Ne cherchons plus à l’évaluer à l’aune d’aucun
critère, les sujets répondent à ce qu’on attend
d’eux, et exhibent précisément les traits qui correspondent
aux hypothèses des cliniciens, si bien cachées soient-elles
au sujet. La seule chose à considérer, dès lors, c’est
l’écart entre les dites hypothèses, et ce qui les mine
d’avance de l’intérieur : le pur forçage, en
un mot, imposé à la réalité, quand on la décrit
du sein de ce dispositif diabolique. Non que les sujets mentent, puisqu’ils
rendent vrai ce qu’on attend qu’il nous démontre.
Mais ce « rendre vrai » demeure un processus, qui laisse
tout de même des traces : elles émergent discrètement,
dans le sillage de la suggestion, avec l’entreprise de maquillage a
posteriori qui s’efforce de dissimuler qu’un tel processus,
celui qui « rend vrai » l’hypothèse du psychologue,
a bien eu lieu, et qu’il a réclamé des moyens parfois
clairement coercitifs. La psychanalyse, avec ses apôtres guéris
à la bonne foi parfois inattaquable, est dans la ligne de mire.
Simplement, Borch-Jacobsen, qui aime mettre le doigt sur les sophismes des
autres, et y réussit si bien, pourrait bien en commettre plusieurs
à son tour.
En effet, si tout est artefact mimétique, alors tout est aussi bien
« désir refoulé » au sens freudien le
plus orthodoxe. Car dans l’argument de Borch-Jacobsen, on ne réduit
pas le refoulement hystérique freudien à quelque chose qui
serait plus réel ou plus fondamental ; on ne le remplace pas
non plus par quelque chose qui serait plus réel ou plus vrai, puisque
tout est rigoureusement à égalité. Les désirs
refoulés que Freud a cru voir, et finit, nous dit-on par inventer,
sont purement et simplement redécrits comme des artefacts mimétiques.
Or s’il ne s’agit que de redescriptions, non seulement on n’en
réfute pas la teneur, mais on l’endosse complètement.
Et on risque même d’importer dans un objet qui avait une certaine
consistance les obscurités d’une description moins bonne, moins
riche, en tout cas de toute évidence bien moins différenciante
et articulée, que la description de départ. On trouvera un peu
exotique que je retourne ainsi un argument anti-freudien vénérable :
Freud n’a fait que suggérer ses prétendus contenus mentaux
inconscients aux patients, en faisant de la réalité de la suggestion
un argument en faveur de l’efficacité tout à fait
réelle de l’interprétation en analyse. Mais ce n’est
pas moi qui autorise ce retournement : c’est Borch-Jacobsen. En
un sens, c’est beaucoup moins féroce pour Freud que la thèse
selon laquelle on peut réduire l’interprétation
à une pure et simple suggestion. Car dans cette thèse (fort
commune), le terme réduit dissipe la fausseté enveloppée
dans le terme à réduire, au nom d’une théorie du
psychisme plus objective ou plus vraie. Par exemple, à peu près
tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire (mais c’est
une de ces découvertes qu’il suffisait de lire Delbœuf et
Bernheim pour faire) que tout ce qu’on fait par l’hypnose peut-être
fait sans hypnose, et par le seul pouvoir de la suggestion. Par suite, il
est probablement faux qu’on ait besoin d’endormir les gens ou
de les plonger dans un état physiologique spécial, pour obtenir
d’eux ces performances extraordinaires qui nous étonnent (anesthésies
étendues, actes commandés, etc.). Mais dire cela, c’est
précisément distinguer les niveaux : cela veut dire que
la croyance que le sommeil hypnotique est indispensable au succès des
suggestions massives est une thèse objectivement fausse. Et
cette objectivité ne dépend en rien de la « construction »
d’attentes mutuelles, où la croyance dans la nécessité
du sommeil aurait été chassée par la croyance dans sa
non-nécessité, de façon historique et donc contingente,
sans que cela ne reflète rien de la structure supposée du psychisme
(structure qui serait toujours ad hoc). Or je crois qu’échouer
à obtenir une telle réduction de l’interprétation
à la suggestion n’est pas moins féroce pour Freud ;
c’est d’une inocuité totale, quelle que soit par ailleurs
la virulence du ton démystificateur qu’on emploie pour le formuler.
D’autre part, il me semble que la réfutation de Mitchell par
Borch-Jacobsen, formulée comme elle l’est, entraîne une
conséquence auto-destructrice. Je tiens à dire que je me sens
ici en accord avec mon adversaire pour dénoncer un raisonnement qui
se contente d’empiler des formes historiquement dissemblables de pathologies
mentales, qui n’ont pour elles, chacune, que de manifester un certain
degré d’alloplastie (suggestibilité, mimétisme,
etc.), et sur cette seule base, de postuler une « potentialité »
humaine à l’hystérie, qui ferait d’elle une réalité
quasi transcendante[12]. Mais
la raison pour laquelle cette manière de démontrer les choses
me déplaît (en tant qu’elle procède par analogies
historiques plus ou moins gratuites) ne conduit pas à abandonner en
elle-même l’idée. Simplement, il faut avoir égard
à son coût conceptuel : si l’on ne postule pas de
« potentialités hystériques » dans l’humanité
éternelle, reste encore la possibilité de soutenir que nous
ne pouvons pas nous dispenser de concepts dispositionnels quand nous
parlons de l’esprit des gens – les dispositions formant la base
de l’intentionnalité systématique de notion comme les
désirs ou les croyances. C’est la thèse que je défends,
mais ailleurs[13]. Mais elle est
étroitement liée à l’architecture rationnelle de
la psychanalyse, et n’a pas besoin de légitimation historique
ni d’analogies en chaînes. En revanche, mon désaccord est
total quand Borch-Jacobsen, prenant à partie Mitchell, s’écrie :
« Mais comment sait-elle que l’hystérie n’est
pas elle-même un artefact mimétique, mais leur vérité
à tous ? » Comment Borch-Jacobsen sait-il, lui,
que Mitchell se trompe ? Comment, partant de son idée d’artefact,
peut-il s’imaginer disposer d’un point d’appui pour critiquer
une thèse essentialiste ? Car il se peut tout à fait que
la thèse artefactuelle soit elle aussi un artefact : une
façon particulièrement post-moderne, tardo-girardo-deleuzienne,
de se construire comme libre et comme déterminé relativement
à une étiquette pathologique. D’un côté,
il nous faut un « désignateur rigide », ou, si
l’on veut, une ancre de la référence du mot « hystérie »,
pour parler ce dont nous parlons (il faut que l’« hystérie »
à laquelle on se réfère pour en nier l’existence
ou bien pour l’affirmer soit la même dans les deux cas).
Mais de l’autre, on pose, et en cela Borch-Jacobsen et Mitchell s’accordent
clairement, qu’il n’existe pas d’échantillon-type
de l’hystérie. Mais de la conjonction de ces deux prémisses,
il suit autant la conclusion positive de la première que la
conclusion négative du second. Ou mieux, serais-je tenté de
dire, il n’en suit aucune, et on ne peut rien conclure du tout
d’une dispute qui s’engage sur de telles infractions logiques
à l’identité de la référence des mots. Après
tout, on ne peut même pas être sûr de disposer d’un
critère qui garantisse que « hystérie »
sous la plume de Mitchell désigne la même chose que « hystérie »
sous la plume de Borch-Jacobsen. Et je ne dis pas « que l’hystérie
ait les mêmes propriétés pour l’un et pour
l’autre », je dis bien « que le mot d’hystérie
se rapporte à quoi que ce soit d’objectivement identique,
quelles que soient par ailleurs les conditions d’ordre épistémique
de son identification ». C’est pourquoi, en ignorant la distinction
et l’articulation entre l’identité de ce dont on parle
et les conditions de son identitification, on en est venu, nsensiblement,
par confondre les propriétés hypothétiques de l’objet
du débat (l’hystérie mimétique) comme exerçant
une contrainte cachée sur le discours au sein duquel il faut qu’on
l’identifie. Mais de ce qu’on puisse alors développer à
l’infini les deux thèses opposées avec la conviction qu’on
épouse mieux les « faits », il ne suit pas que
ce discours parle de quoi que ce soit à un tiers. Sonu Shamdasani a
proposé le joli mot « interpréfaction »
pour désigner la création d’états de fait par leur
interprétation : en voilà chez Borch-Jacobsen, avec l’artefact
mimétique généralisé, et sa thèse n’est
pas moins auto-vérifiante que celle de son adversaire. Il suit aussi
que si tout était interpréfaction, rien n’en serait. Comme
toujours, on en revient à la situation que j’avais caractérisée
comme la « querelle de l’hystérie » originaire[14].
On y voit des gens mettre en scène dramatiquement leur propre rapport
subjectif à la vérité et clamer à cor et à
cri qu’il faut guérir de leurs illusions des innocents abusés,
démasquer la tromperie, et prouver en ricanant que le contradicteur
s’abuse lui-même et l’étale sans s’en rendre
compte en croyant réfuter les réfutations qui l’écrasent :
c’est Charcot attaqué par Bernheim, puis Bernheim par Babinski,
puis Babinski par Janet, puis Janet et Babinski par Claparède, et finalement
Jaspers et Freud s’efforçant de dire que le problème de
la suggestibilité ne se pose pas – mais plus par désespoir
devant l’état du débat, qu’au nom d’arguments
introuvables. Or, osons le dire : ce que ces querelles mettent en évidence,
c’est notre penchant à l’hystérie, quand nous parlons
d’hystérie, mais guère plus.
Or ceci me conduit à une critique méthodologique, qui
prétend indiquer une porte de sortie raisonnable. Je ne sais s’il
existe ou pas des « mécanismes » suggestifs ou
imitatifs. Le problème (et c’est pourquoi je mets aussi « mécanisme »
entre guillemets), c’est qu’il y a fort à craindre que
n’importe quelle élaboration précise de ce que serait
un tel « mécanisme » ne le fasse exister, ou du
moins, ne donne naissance à une clinique qui fournira des exemples
de sa réalisation. N’importe quel spécialiste de psychologie
sociale expérimentale connaît assez les variantes insoupçonnées
de « l’effet Rosenthal » pour rester prudent, à
cet égard. Et Borch-Jacobsen est loin de spéculer en l’air
même s’il ne mentionne jamais, à ma connaissance, les expérimentations
tout à fait troublantes qui ont effectivement été réalisées.
En revanche, sa critique est bien obligée de partir de « quelque
chose » : il faut des « données »
(hypnotiques, psychanalytiques, cliniques, etc.), concède-t-il, pour
qu’on dise ensuite que ces données sont soient interprétées
de façon biaisées (sinon frauduleuses), soit ne sont, plus ou
moins, que des effets résultant des interprétations qu’on
en donne. Exemple d’interpréfaction : les hystériques
de Freud ont probablement « cru » qu’elles avaient
été séduites, et elles l’ont « confirmé »
par des aveux lentement extorqués par un Freud parfaitement rompu aux
techniques classiques de la suggestion. Malheureusement, l’explication
par la suggestion est tout aussi infalsifiable que celle par le « refoulement »
d’une motion de souhait inconsciente (du moins, le refoulement réduit
à ce trognon de refoulement dont la pierre de touche serait l’aveu
final que l’analyste avait raison[15]).
Mais conservons, pour les besoins de l’argument, cette conception simpliste
du refoulement. On le voit : l’explication suggestive remplace
sans douleur toute l’explication freudienne en ce qu’elle a
d’infalsifiable. Quitte à le répéter sur tous
les tons, la suggestion est une notion inutilisable : là où
il y a suggestion, il y a contre-suggestion, il y a également auto-suggestion,
et il y a donc enfin auto-contre-suggestion. C’est tout le sens des
polémiques des inventeurs de la notion, à l’époque
de Bernheim et de Delbœuf. Comment voulez-vous, alors, que le moindre
phénomène psychique, la moindre réaction mesurable, ne
confirme pas qu’il y a suggestion, à un de ces niveaux ?
Le sujet accepte ? Il est suggestif. Il refuse d’obéir ?
il est sous l’empire d’une contre-suggestion plus forte. Il fait
de lui-même ce qu’on ne lui a pas clairement dit de faire ?
Il s’auto-suggère ce qu’il devine à demi-mot. Il
s’y refuse sans subir de contraintes extérieures objectivables ?
Il s’auto-contre-suggère sa désobéissance. A tous
les coups l’on gagne. Donc on perd sur tous les tableaux. Et je ne suis
cette fois absolument pas impressionné par les tentatives contemporaines,
en psychologie sociale expérimentale (dans la théorie cognitive
des rôles, par exemple) de tenter de dépasser ces apories. Un
examen attentif y démontre uniquement une chose : c’est
que pour créer de telles situations, il n’est pas besoin de signes
physiologiques d’hypnose (de sommeil, ou de quasi sommeil). Mais c’est
le seul et unique résultat empirique stable. Il n’en ressort
jamais l’existence d’un phénomène mental de suggestion
ou de suggestibilité qui pourrait être objectivé comme,
par exemple, les structures de la perception ou de la mémoire. Il ne
s’agit plus, à cet égard, d’un sophisme sur l’usage
des mots (sur le paradoxe d’une « hystérie »
sans désignateur rigide !). Il s’agit désormais d’un
sophisme sur l’usage objectivant d’un concept. La fameuse remarque
de Freud : si tout repose sur la suggestion, sur quoi la suggestion repose-t-elle,
n’a pas perdu une once ce pertinence.
On objectera : « Mais la suggestion existe ! Il y a des
gens qui disent : "Si vous croyez que je dis la vérité,
alors vous allez guérir !" ». Et il s’ensuit des
effets (thérapeutiques ou vécus comme tels), ce qui prouve qu’il
y a une cause agissante.
Qu’on prononce de telles phrases (ou des phrases qui se laissent paraphraser
ainsi), c’est hors de doute. Mais qu’on interprète l’obéissance
à de telles injonctions comme l’effet d’une cause
(au sens où il y aurait une action là quelconque sur le
psychisme d’autrui), c’est extrêmement douteux. On ferait
mieux, me semble-t-il, de prêter attention à la structure logique
de ces énoncés de suggestion, et à se demander s’ils
ne sont pas en fait dès le départ auto-référentiels.
Au lieu du concept psychologique hautement confus de « croyance
auto-réalisatrice », on découvrirait alors qu’on
a affaire à quelque chose de l’ordre de l’irrationalité
(à comparer au wishful thinking, ou bien à l’akrasia
en philosophie de l’esprit). Et au lieu d’aller imaginer des
processus mystiques agissant réellement entre les individus (mimético-suggestifs
ou autres), on s’apercevrait que leurs bases logico-verbales vouent
à l’inanité toute tentative de les faire valoir comme
des « explications », ou des outils critiques substantiels
de la psychothérapie[16].
Autrement dit, le problème n’est nullement de découvrir
des processus causaux bizarres agissant sur le psychisme d’autrui (lui
faisant croire ou faire ceci ou cela) ; c’est de voir à
quel point la description et l’interprétation (même scientifique)
de ce qui se passe dans ces conjectures est grevée par la structure
paradoxale (auto-référentielle) des phrases suggestives. On
ne peut donc rien en conclure du tout, non parce que les phénomènes
sont élusifs, mais parce que tout ce qu’on peut en dire rationnellement
sera toujours, et quoi qu’il arrive, l’objet d’interprétations
contradictoires également justifiables. C’est là une
piste absolument différente de celles ordinairement poursuivies, et
qui explique, à mon sens, bien mieux l’indécidabilité
intrinsèque de nombre de situations dites « expérimentales ».
Elle fait en tous cas l’économie de « mécanismes »
non moins introuvables que les croyances auto-réalisatrices, comme
l’artefactualité mimétique généralisée
de Borch-Jacobsen[17].
En voilà assez, dans un premier temps, sur les « réfutations »
de la psychanalyse par la généralisation d’un concept
(à mon sens non-structuré) de suggestion. Je ne crois même
pas, d’ailleurs, que l’idée d’artefact mimétique
généralisé satisfasse minimalement aux exigences des
techniques de suggestion thérapeutique effectivement utilisées.
L’impasse traditionnelle de Liébeault et de Bernheim, les deux
père nancéiens de nos problèmes, s’y reproduit
entière sans une pouce de progrès : faut-il suggérer
à quelqu’un « qu’il va aller mieux »
(Liébeault), ou entrer dans les détails de sa souffrance pour
l’épouser, sans lui laisser le choix des voies où il construira
sa propre amélioration (Bernheim) ? Tout cela est tellement loin
de recouvrir des faits stables, des observables reproductibes, qu’on
peut d’ailleurs aussi bien se demander s’il faut-il suggérer
toute une année quelqu’un, ou lui faire une suggestion valable
un an. Bref, hors de la fougue démystificatrice que Borch-Jacobsen
étale page après page, on aboutit à une pure misologie,
où la possibilité de sélectionner des éléments
indécidables dans une théorie (et il y en a assurément
en psychanalyse, comme dans les doctrines psychopathologiques de la suggestion)
permet de donner libre cours à un propos qui s’entretient
tout seul dans la défense de la thèse inverse à celle
qui est ordinairement défendue. N’importe quelle idée
peut du coup être transformée en illusion révélatrice
de la perversité avec laquelle elle est soutenue (contre une interprétation
moins favorable). C’est pourtant toujours la même chanson, tandis
que les « naïfs », partisans mi-intéressés
mi-consentants, de l’embrouille psychanalytique, s’avèrent
les complices des « escrocs » qui les suggestionnent.
Quant à l’effort d’articuler en lui-même le
concept de suggestion, de chercher sur quoi il repose, de réintroduire,
en somme, le projet d’une hiérarchie des artefacts mimétiques
du plus au moins déterminant, il est balayé d’un
geste :
« Mais enfin, pourquoi voulez-vous toujours trouver des explications,
des causes, des raisons ? Le hasard vous fait donc tellement peur ?
[...] Cela s’est fait ainsi, et voilà tout. Tout ce que nous
pouvons faire maintenant est de décrire comment ce hasard a créé
sa propre nécessité, ses propres règles du jeu et ses
propres joueurs – jusqu’au prochain coup de dés »[18].
Comme on voit l’ivresse critique, montée en dénonciation
systématique, finit même par renoncer à voir dans le monde
autre chose que le chaos destructeur de sa propre pensée. On ne me
fera pas céder sur l’idée qu’il y a ici un choix
moral, profondément subjectif, dans le rapport à la vérité
que doit faire le philosophe et l’historien.
La fraude en psychothérapie prend alors une valeur particulièrement
démonstrative. Car il y a assurément des escrocs, dans l’univers
des soins mentaux, nullement au sens assez raffiné que Borch-Jacobsen
peut à l’occasion admettre, celui de ceux qui « s’escroquent »
à la limite autant eux-mêmes que les autres, tout simplement
parce qu’ils sont placés à telle ou telle place dans le
jeu de l’artefact mimétique généralisé,
et que si leur bonne foi individuelle est vraisemblable, elle ne pèse
pas lourd dans la balance des illusions collectives. La fraude est chargée,
du coup, de révéler que si tout est de l’ordre du « semblant »
(dans la logique constructiviste de l’artefact mimétique), on
en a une trace avec tous les faux-semblants qui pullulent, dès
que le psychothérapeute, freudien ou pas, croit ou fait croire qu’il
a effectué une opération « réelle »,
une guérison objective indépendante de la co-construction de
la situation psychothérapeutique. La fraude, si je comprends bien Borch-Jacobsen,
est inévitable chez tous ceux qui dénient l’artefactualité
mimétique, en psychopathologie et en psychothérapie. C’est
la punition immanente de leur réalisme (de leur anti-constructivisme).
Ils veulent être, « à sens unique », les
agents de l’amélioration de leurs patients ? Voilà
qu’ils sont obligés de maquiller les données : d’aggraver
indûment la condition morbide de départ, d’exagérer
les gains thérapeutiques, de mettre entre parenthèses les facteurs
annexes affectant également la vie de leurs patients, et en refusant
d’ouvrir les yeux sur la suggestion réciproque qui fait du bon
patient le bon patient d’un bon thérapeute (chacun y trouvant
son compte), de polir à ce point les aspérités et les
échecs, qu’on débouche pour finir sur une falsification
pure et simple.
Or on est de prime abord gêné devant les révélations
de Borch-Jacobsen, tellement, de fait, l’hagiographie freudienne exerce
encore sur nos esprits une séduction intense. Non, le bon vieillard
à la barbe blanche et aux yeux perçants, chez qui tant des gens
ont pris le goût de la recherche psychologique, du style patient et
lumineux dans le risque spéculatif, et parfois aussi l’audace
de voyages intérieurs extraordinaires, avait semble-t-il un penchant
prononcé pour l’hallucination des confirmations théoriques
de ses hypothèses, quelques morts pas très propres sur la conscience,
une ambition personnelle dévorante, et qui ne le poussait pas juste
vers les cimes de la pensée, et une propension (bien connue, celle-là,
par ses confidences dans son auto-analyse et les commentaires sur ses rêves)
à imputer aux patients d’échouer à guérir
malgré tout le soin que lui, Freud, y mettait. Borch-Jacobsen est d’ailleurs
loin d’être le seul à avoir mis tout cela en évidence.
D’autres travaux sérieux l’ont confirmés[19].
Toutefois, il se pourrait que l’Atlantique fasse ici une différence.
Pour un praticien français, bien convaincu que la génération
qui lui a transmise l’expérience et même le désir
de la psychanalyse s’est fondamentalement désintéressée
de l’argent, du sexe et du pouvoir, et qui vole d’ailleurs d’émerveillements
en émerveillements à la lecture de ses productions cliniques
et théoriques, il y a beau temps que l’idéalisation des
maîtres a pris une place obligée dans le cours des déceptions
formatrices. Il n’est pas certain que l’admirable travail d’Ernest
Gellner vaudrait ici comme aux Etats-Unis[20].
De façon plus troublante, il arrive aussi, comme dans les exemples
cités par Borch-Jacobsen et bien d’autres (Patrick Mahony en
a fait un instrument de critique interne pour la psychanalyse[21]),
de découvrir que tel récit de cure actuel, pas forcément
mythique d’ailleurs, est largement trafiqué. On rencontre même,
avec un peu de bouteille, de ces patients anonymes dont l’histoire sert
de support à la gloire d’un praticien en vue, mais qui s’est
retrouvé plongé dans les pires affres parce que le récit
fait de sa trajectoire n’était pas, sur des points vitaux, ce
qu’il avait raconté sur le divan – et que la sommité
psychanalytique qui s’en est servi lui a ri au nez quand l’impertinent
lui en a demandé compte. J’exclus de traiter à la légère
le problème de la fausseté et du mensonge des représentations
forgées lors des cures et dans leur après-coup. Le moins qu’on
puisse attendre du psychanalyste, c’est qu’il s’interroge
sur ce que ces mensonges trahissent comme espoir et comme angoisse :
surtout quand il s’agit d’idéaliser les vertus de la théorie
qu’on soutient. En un mot, le problème de la falsification des
comptes rendus de cure n’est en rien dépassé de nos jours,
et l’épine du « pourquoi cela ? » est
réelle. Simplement, s’il existe encore quelques psychanalystes
qui ne soient ni tout à fait des « naïfs »
ni tout à fait des « escrocs », on comprend qu’ils
le soient aujourd’hui (comme sans doute hier) sur des bases qui échappent
assurément à l’évidence critique brassée
par Borch-Jacobsen, ou encore Gellner. La difficulté consiste surtout,
de ce point de vue, à ne pas adopter une impavidité de convenance.
Il y a peut-être quelque chose de structurant dans l’expérience
qu’a soutenu Freud, du scepticisme de Fliess, et peut-être aussi
de la récusation finalement paranoïaque en son fond à laquelle
il a dû faire face. Car on peut être paranoïaque et avoir
néanmoins raison, ce qui requiert alors plus un ajustement intime touchant
ce qu’on peut espérer démontrer, et à qui, en psychanalyse,
qu’une vérification définitive de la théorie, qui
ne viendra jamais. On oublie un peu trop souvent que la « résistance
à la psychanalyse » n’est nullement la tare de ceux
qui en récusent les contenus ; c’est aussi celle de ceux
qui en acceptent un peu trop facilement les conclusions. Mes doutes sur le
bien-fondé du scepticisme de Borch-Jacobsen ne devrait donc empêcher
personne de mettre ses prétentions en berne : la psychanalyse
est si seule à tenter d’aller si loin – bien plus loin,
en tous cas, qu’aucune autre forme de psychothérapie, dans l’exploration
du rapport à soi dans la souffrance psychique –, que ses points
d’achoppements sont presque, de ce point de vue, son unique matériel.
Le pari exactement inverse de Borch-Jacobsen, celui que je tente dans ces
essais, n’est alors que de soutenir la pertinence insistante d’un
effort de justification rationnelle de la psychanalyse, pour que l’impossible
sur quoi on y bute finalement soit rigoureusement amené, et prenne
un relief exact. Car il est fort possible que la (co-)construction psychanalytique
de toutes sortes de « scènes » et de « fantasmes »
demeurent à jamais lisibles en termes d’illusions ou d’artefacts.
Cela ne dispense pas d’en exhiber la cohérence interne et les
points d’ancrage intuitifs. A partir de là, et de là seulement,
le recours à des notions aussi problématiques que celles de
refoulement ou de complexe d’Œdipe sera un peu plus (mais pas forcément
beaucoup plus) qu’un pur cliché culturel.
A cela s’ajoute encore autre chose. Janet remarquait déjà
le caractère naïf et désarmant des « mensonges »
prêtés aux hystériques, et il mettait en avant que même
convaincus par les preuves les plus contraignantes que, par exemple, ils voyaient
toute la partie du champ visuel (gauche ou droite) dont ils avaient pourtant
prétendu qu’elle était perdue pour eux, eh bien, ils ou
elles continuaient néanmoins à se plaindre d’hémi-cécité !
Observez cette difficulté dans la théorie psychanalytique du
premier Freud. Il ment ? Mais alors quel est le statut des petites ou
des grandes dissimulations (on ne saura jamais) dont il convient tout à
fait, en disant qu’il n’a pas donné toutes les associations
qui lui sont venues au sujet de tel ou tel rêve ? Car Freud est
par endroit lui aussi d’une naïveté désarmante.
Comment se fait-il par exemple que c’est au lecteur (Didier Anzieu en
est l’exemple évident[22])
d’appliquer au texte lui-même les procédés de déplacement
dont Freud fait la description abstraite, pour retrouver sous tel ou tel fragment
démembré dans la Traumdeutung un aveu bien gênant.
Que doit-on retenir, alors ? Que Freud ment sur ses cas ? Qu’il
ment sur lui-même ? Ou qu’il réfléchit sur
la pression que son désir, donc son ambition et ses associations œdipiennes
connexes, exerce sur les images qui le hantent dans ses rêves, dans
ses associations à leur sujet, dans les lapsus, enfin, qu’il
commet en les commentant avec l’apparence (trompeuse à ses
propres yeux)de l’objectivité ?[23]
Quant à l’expérience du mensonge, Freud n’a pas
grand chose à nous envier, critiques tard venus – à condition
qu’on ne substitue pas indûment et partout à sa personne
un « scientifique anonyme » censé, lui, n’avoir
aucun désir et produire des reflets totalement expurgés
de la « réalité objective », tous réobservables
à l’identique par d’autres observateurs qualifiés.
De ce point de vue, apprendre ce que Freud a cru voir chez les autres et en
lui, ce qu’il s’est raconté, et comment, de temps en temps,
il est revenu dessus, tout en se fixant probablement à plusieurs mensonges
dont il lui aura peut-être été impossible de reconnaître
la teneur, cela n’est pas prêt, je pense, de décourager
les psychanalystes de pratiquer. Mais ce n’est pas pour autant qu’on
peut abuser de la formule lacanienne de la fiction qui a « structure
de vérité », afin de dire n’importe quoi, comme
le rappelle Borch-Jacobsen[24].
Quant à la vieille antienne philosophique qui consiste à réduire
l’herméneutique des fictions a sa version « narrativiste »
ricoeurienne, pour conclure, comme déjà Grünbaum, que dans
ce cas tout se vaut, toute forme de psychanalyses, et toute psychothérapie,
pourvu qu’elle offre un récit sensé (œdipien, ou
jungien avec force archétypes, etc.), on ne sait plus comment s’en
dépétrer[25]. Elle
est si loin, de toutes façons, du récit subjectif de Freud et
de son auto-analyse comme de toute clinique mentale minutieuse, qu’à
ce compte, allez savoir si l’on parle de Freud, ou de Ricœur, ou
de Habermas, ou même de Lacan, alors que leurs positions sont notoirement
incompatibles. Je ferai juste remarquer qu’entre la production de sens
et la production de raisons, entre le vraisemblable et le plausible, entre
l’esthétisation symbolique des faits de l’esprit et le
décorticage analytique de susbstructures comme un appareil Χ,
il y a quelques petites différences. Il est impensable que Borch-Jacobsen
se déclare « philosophe » sur la jaquette, et esquive
cette distinction. Car la meilleure réplique à lui adresser
n’est-elle pas : « En quoi votre artefact mimétique
généralisé est-il mieux qu’une astuce narrativiste
caricaturale ? » Là, il nous donnerait sûrement
mieux que des sarcasmes anti-narrativiste, en expliquant les raisons qu’il
a de croire que son concept n’est pas du « sens »
librement produit ad hoc. Bref, on ne manque pas de moyens, quand on
parle de choses comme l’esprit, pour ne jamais se tromper, pour
se masquer à l’infini les difficultés, et pour expliquer
tout. Il reste que l’analyse des concepts mentaux (c’est
là une chose fort distincte de l’esprit, comme l’a pointé
Davidson[26]), avec leurs propriétés
formelles et les intuitions fines qu’ils captent, demeure une étape
préalable du débat. Comme on sait, c’est celle que saute
allègrement Ricœur, mais aussi Borch-Jacobsen. Or c’est
la seule à tenter; d’où ma question (qui ne regarde pas
proprement cette critique d’ailleurs, mais la suite de ces essais) :
faut-il une herméneutique du sens dans la démarche psychanalytique,
admise comme donnée et même comme intelligible, ou plutôt
une philosophie de l’esprit « inconscient », qui
restitue, si possible, les raisons internes à la théorie de
penser l’esprit ainsi ? Je n’ai pas besoin d’expliquer
où vont mes préférences.
On sursaute cependant, pour revenir aux questions de méthode, de la
juxtaposition, chez Borch-Jacobsen, de professions de foi constructiviste
(dans l’esprit de l’artefact mimétique généralisé),
qui nient foncièrement qu’il existe du réel en psychopathologie
(il n’y a que des interpréfactions), et de révélations
policières des trucages, omissions et mensonges de certains psychothérapeutes.
Freud est loin d’être la cible exclusive. Reprenant par le menu
l’invention des personnalités multiples à du cas « Sybil »
(dont Borch-Jacobsen et Peter Swales ont percé à jour l’identité,
accédant à sa vie autrement que par le truchement des informations
sélectionnées par sa thérapeute, Cornelia Wilbur et par
la journaliste qui rendit le cas public, Flora Schreiber), Borch-Jacobsen
écrit ceci :
« Faut-il pour autant parler de mensonge, de mystification, de fraude ?
C’est tentant, dans la mesure où Schreiber et Wilbur ont fait
passer pour des faits établis des interprétations dont elles
savaient pertinemment qu’elles n’étaient pas étayées
par les documents en leur possession. Il y a là un abus de confiance
narratif difficilement excusable et leurs onze millions de lecteurs sont parfaitement
en droit de se sentir floués – sans parler des dizaines de milliers
de "multiples" qui ont calqué leur vie sur le martyre de sainte Sybil.
Mettons donc d’énormes points sur les "i", afin que les choses
soient bien claires : tout cela fut bien, oui, fabriqué de part
en part et pour les motifs les plus vils, les plus cyniques. Mais fabriqué
ne veut pas forcément dire faux ou irréel. Quels qu’aient
pu être les mensonges et les manipulations de Wilbur et de Schreiber,
il reste que Shirley [véritable prénom de « Sybil »],
par naïveté ou par calcul, a bel et bien joué le jeu
et que cette simulation fut des plus réelles. On en revient toujours
à la question de l’acteur, du mime qui fait semblant et par là
même fait être le semblant. Shirley n’a pas seulement été
l’objet passif des interprétations de Wilbur et des corrections
de Schreiber, elle les a activement devancées et vérifiées,
en devenant Sybil, et Vicky, et Peggy, et Sid, et Marcia [ses autres personnalités] »[27].
La corde est raide qui s’efforce de relier la question légitime
de savoir « si les "faits" découverts par Wilbur durant l’analyse
de Sybil n’étaient pas teintés d’interprétation »[28],
ce qui suppose, les guillements étant ici inutiles et trompeurs, qu’il
existe bien une réalité qui ne dépend d’aucune
interprétation, et l’autre question, essentielle à
la démarche constructiviste, de savoir comment, les guillemets redevenant
alors nécessaires, des « faits » peuvent être
dans le même temps engendrés dans et par leur interprétation :
« Tout "Credo" », continue Borch-Jacobsen, « est
un fiat, en ce sens que c’est une décision de vivre selon
la légende et par là même de performer celle-ci, d’en
opérer la promesse »[29].
Cela pose deux problèmes.
Pour un sociologue constructiviste, savoir si les gens mentent ou non est
une question exclue par la démarche même. Si tout est co-construit
dans et par l’interaction, la vérité ou la fausseté
de la situation résultante sont des variables dépourvues de
sens, tant du moins que l’interaction se prolonge. L’essentiel,
c’est que des interprétations mutuellement satisfaisantes continuent
à se développer, le fait immanent de l’interaction continuée
étant la seule chose à prendre en compte. Admettre du vrai
ou du faux (au sens où l’on pourrait s’appuyer dessus pour
porter un jugement moral), ce serait nier l’immanence de l’interaction !
Quel est donc le point de vue extérieur, transcendant, qui autorise
à dire que Shirley « ne demandait pas mieux que de se
laisser faire, de se laisser droguer, de se laisser hypnotiser,
dissocier, suggérer, influencer, manipuler : tout était
bon, pourvu qu’elle ne soit responsable de rien » ?[30]
Si l’on est constructiviste et conséquent, voilà plutôt
le genre de propos qu’on doit s’interdire a priori. Car
de deux choses l’une : ou bien les individus sont effectivement
mis en place et construits par le jeu auquel ils participent, et leur responsabilité
n’a rien à faire là-dedans, ou en réalité
ils sont responsables et conscients, et resurgit alors derrière la
belle phraséologie constructiviste l’inusable « moi
autonome » de la psychologie idéaliste classique, qui, lui,
on peut en être sûr, n’a été socialement construit
par personne... Sans doute, on peut pointer des distorsions flagrantes dans
l’anamnèse de Shirley, imputables à Wilbur et Schreiber.
Mais je me demande sérieusement si quelqu’un qui entre dans ce
genre de construction extrême serait près à avouer qu’il
ment, et s’il serait en cela moralement condamnable. Ne dirait-il pas :
« Oui, ou je ne peux pas être sûr, ou tout ce que vous
m’opposez de factuel contredit ce qui s’est passé ;
mais néanmoins, c’est la réalité pour moi,
d’une façon dont j’ai considéré, en somme,
qu’elle faisait partie de mon parcours intime de guérison ».
Et les thérapeutes de se réfugier derrière cette réponse,
même si par ailleurs elle est source d’avantages indéniables
(argent, prestige, etc.). A un moment, ne faut-il pas s’arrêter
sur le fait que la co-construction tient ?
C’est enfin porquoi je suis effaré de lire la conclusion que
donne Borch-Jacobsen à toute cette affaire :
« Mais le 8 octobre [1965], lorsqu’il fut temps de déménager
avec Wilbur, ses seize personnalités fusionnèrent comme par
miracle, instantanément et définitivement. Est-ce parce que
ce désir de guérir n’était que l’envers de
son désir d’être malade ? Ce que le désir a
fait, il peut bien le défaire »[31].
Bonnes gens, cessez de prendre vos médicaments ! Interrompez des
psychothérapies illusoires ! Le processus psychique que vous imaginez
traverser est abrégeable par un pur acte insondable de votre volonté.
Votre désir n’a nulle inertie interne, aucune structure, et pas
la moindre temporalité propre : vous êtes malades et dupes
de croire cela. De plus, il n’a rien qui vous concerne personnellement,
subjectivement, au degré du moins où vous pourriez vous imaginer
qu’une part de ce désir est « inconsciente »
(mot diabolique, pur artefact sur lequel s’engraisse votre psychanalyste).
Votre désir vous déplaît ? Changez-en !
En outre, quand commence à soupçonner quelqu’un de mentir
(et pourquoi pas ?) on peut toujours trouver dans les faits qu’il
avance de quoi entretenir le soupçon. Revenons à Freud. Je trouve
stupéfiant que Borch-Jacobsen puisse ainsi affirmer que Freud n’a
jamais eu d’hystérie, ni donc n’en a jamais guéri
par le truchement de sa légendaire « auto-analyse »,
parce qu’en fait, il souffrait juste de symptômes coronariens
et d’un abus de cocaïne[32].
Et si je le trouve stupéfiant, c’est parce que c’est présenter
comme un argument quelque chose dont personne ne peut prouver que ce soit
faux (ni donc vrai). Une fois qu’on a éliminé le subjectif,
il n’existe tout simplement aucun vécu qui résiste au
choc de sa dissolution par le paradigme de l’artefact mimétique.
Freud en a donc été la victime en se construisant comme hystérique
pour se construire ensuite comme guéri de son hystérie par un
procédé en son fond farfelu. Et tout peut servir de même
de motif à une interprétation négative, disqualifiante.
On vit en effet dans un monde où la seule « réalité »,
ce sont des images captivantes, auxquelles personne ne saurait résister
(sauf le sujet moral autonome que nous appelons tous de nos vœux) et
de pures réactions instantanées de personne à personne.
Dans ce monde d’où ont été expurgées toute
inertie interne de la subjectivité, toute consistance du désir
échappant à la volonté consciente et qui poursuit souterrainement
ses fins, dans ce monde, en un mot, où la « réalité
psychique » est frappée d’une non-croyance (Unglauben)
radicale au nom de l’exigence d’objectivité et d’universalité
de la science, on a reconnu le monde du paranoïaque lacanien. Or il ne
faut pas s’en étonner, dirait Borch-Jacobsen : la psychanalyse
est précisément construite pour définir comme paranoïaques
ces adversaires qui voient de la suggestion partout. C’était
également le pressentiment de Fliess. Mais pourquoi n’auraient-ils
pas tous raison ?
Borch-Jacobsen s’aperçoit évidemment des difficultés
de fond qui découlent du statut de la fraude (typiquement celle de
Freud, mais pas seulement, comme on vient de le voir), et de sa relative incompatibilité
avec un argument constructiviste. Aussi faut-il examiner ligne à ligne
le « Post-scriptum de 1998 » à un des textes qui
en son temps avait réussit l’exploit bien rare de faire hurler
la communauté psychanalytique française, « Neurotica ».
Car Borch-Jacobsen y reconnaît que si l’on impute à Freud
d’avoir tout inventé, on ne comprend pas pourquoi il n’a
pas tout inventé d’un coup, mais s’est repris, corrigé,
a tenté de sauver le navire en perdition, etc. Il lui fallait donc
bien avoir au départ de quoi alimenter sa spéculation. Il lui
fallait des données suffisamment concordantes pour en amorcer la pompe.
Mais si l’on commence à mettre le doigt dans l’engrenage
fatal de reconnaître qu’il y avait de telles données concordantes,
où va-t-on ? C’est là où le concept de « folie
à plusieurs », où les pseudo-confirmations cliniques
des uns alimentent les folles spéculations des autres, qui resuggestionnent
les premiers, etc., trouve sa limite. Car, pour varier les images, il est
faux de dire qu’on puisse entrer dans un tel cercle en créant
ex nihilo son point de départ, celui où l’on entre
dans le cercle :
« Ce que j’entends souligner ici, d’un point de vue
purement historique, est que les premiers patients de Freud (du moins les
fidèles, comme Elise Gomperz, Emma Eckstein ou M. E.) ont bien dû
accompagner et étayer ses hypothèses théoriques, sinon
ses spéculations se seraient vite taries faute de "confirmations".
De façon plus générale, j’aimerais suggérer
que c’est là le seul type de "confirmations" auxquelles on peut
s’attendre en psychanalyse, ainsi d’ailleurs que dans n’importe
quelle autre recherche psychologique »[33].
Certes, on peut tout à fait, ensuite, à supposer que la suggestion
ne soit pas un mot explicatif vide, faire tourner le cercle tout seul. Mais
il faut qu’il commence. Et il faut bien, en ce sens, que les hystériques
de Freud lui ait présenté, pour lui en donner une idée
plausible, quelque chose comme des réminiscences de scènes
de séduction infantile. Car on ne peut pas croire à quelque
chose sans croire à quelque chose qui existe, et qui existe indépendamment
de la croyance elle-même. En ce sens, non seulement une croyance
(même spéculative) élève une prétention
à l’objectivité, mais elle ne peut pas du tout se développer
sans appui objectif. Cet appui objectif, guillemets ou pas autour du terme
trois fois maudit de « confirmations », il n’a donc
pas manqué. Je ferai juste remarquer qu’il n’a pas dû
manquer qu’à Freud, sauf à considérer sur le mode
du complot l’extension assez rapide de l’explication psychanalytique
à des personnalités parfois assez rassises de l’establishment
psychothérapeutique mondial. Et que même aujourd’hui,
ce minuscule germe de plausibilité prospère dans la pratique
clinique des moins freudiens des psychiatres – qui se gardent cependant
de s’en suggérer davantage.
Malheureusement, si l’on suivait jusqu’au bout ce raisonnement,
qu’on ne saurait cantonner à un « point de vue purement
historique » parce qu’il touche au cœur de l’argument
de Borch-Jacobsen, on s’apercevrait que la solution de Freud n’est
pas aisément contournable. Elle consiste à dire, tout à
fait d’ailleurs comme Bernheim[34],
qu’on ne se laisse suggérer que ce qu’on désire
déjà (et, en un sens patent, sans en avoir conscience).
Autrement dit, lorsque les premiers patients de Freud ont étayé
ses hypothèses (disons, sur la séduction), ils ont fait un peu
plus qu’« accompagner » ces hypothèses, comme
s’exprime Borch-Jacobsen, qui tient à ce que la construction
freudienne et l’interpréfaction en quoi elle consiste (créant
l’état de choses qui lui correspond), avancent pari passu.
Non, si les choses se présentent assurément comme des co-constructions,
l’assymétrie n’y est pas moins essentielle au processus.
On peut s’amuser des gens qui cherchent qui « de l’œuf
ou de la poule », fut le premier. L’œuf et la poule demeurent
des réalités fort distinctes, et les processus causaux qui les
rapportent l’un à l’autre, indépendants. On ne peut
pas donc soustraire aux premiers patients de Freud (pas plus qu’aux
patients actuels) ni l’accès privilégié, ni le
souci qui était le leur de souvenirs allusifs à des scènes
comme celles sur quoi reposent la théorisation freudienne. Que,
par la suite, ils se soient approprié une description en termes de
« séduction » ou de « complexe d’Œdipe »,
ce n’est pas du tout en cause. Mais on doit alors, encore une fois,
réitérer le raisonnement : les auraient-ils acceptées,
si de telles re-descriptions (moins naïves, c’est évident)
n’avaient pas rencontrées en eux quelque chose = x, qui permette
à son tour à d’autres éléments de la construction,
venant d’eux et non du psychanalyste, de se mettre à leur
tour en place ? En aucun cas, les intentions ne peuvent pas être
unilatérales, même si le total de l’interaction est à
imputer aux deux partenaires. Mais c’est très exactement ce que
la notion de désir présentifie chez Freud. C’est la couche
d’intentionnalité subjective endogène dont on peut
donner une peinture pas trop insatisfaisante en disant qu’elle est la
source de ce que nous désirons, et même de ce que nous désirons
croire – peu important, par ailleurs, que ce soit faisable ou logiquement
possible. Je me sers du mot endogène pour qu’il évoque
la bizarre encapsulation du fameux appareil Χ de l’Entwurf,
qui est justement bien séparé de la couche perception-conscience
de l’appareil psychique – et qui donc, s’il est autre chose
que la conscience, n’en supprime en rien l’existence à
part. Dès lors, comment ne pas sursauter devant ce jugement de Borch-Jacobsen,
évoquant un patient de Freud qui avait évoqué devant
un des adversaires de ce premier, Löwenfeld, l’outrance de ses
interprétations :
« Le patient cité par Löwenfeld, par exemple, niait
avoir jamais cru à la réalité des "scènes" évoquées,
mais non que ces scènes lui soient venus à l’esprit. Etant
donnée l’insouciance méthodologique de Freud [je souligne],
ce type de "confirmations" lui suffisait amplement à continuer à
aller de l’avant »[35].
Nous sommes au point central du débat. Ce que Borch-Jacobsen appelle
« insouciance méthodologique », c’est au
contraire, me semble-t-il, ce dont Freud a le plus grand souci méthodologique :
c’est le principe cardinal de l’association libre, ce qui atteste
de la présence d’un contenu mental déterminé, quelle
que soit l’attitude de croyance ou de croyance du sujet à son
égard autrement dit ses modalités de défense à
l’égard de ce qu’il énonce (N’allez pas croire
que je pense que...). Et il est parfaitement faux, à cet égard,
qu’il devienne du coup impossible de se défaire d’une imputation
quelconque (d’avoir, par exemple, tel ou tel souhait œdipien) :
car s’il s’agit de désir, alors il ne saurait se manifester
uniquement sous cette forme (il y faut, Freud y insiste, la récurrence
d’un certain matériel hors des symptômes proprement dits,
dans les obsessions, les actes manqués significatifs, les rêves,
les rêveries éveillées, voire les mots d’esprit
qui mettent spécifiquement en joie le sujet, d’une manière
relativement claire à ses yeux pas moins qu’à ceux du
psychanalyste).
Voilà à quoi Borch-Jacobsen se refuse le plus farouchement :
« Ce point est en effet excessivement important, car c’ est
ce présupposé charcotien – et, faut-il l’ajouter,
extrêmement naïf – qui a permis à Freud de s’aveugler
si longtemps sur sa propre intervention dans les phénomènes
qu’il observait chez ses patients. Dès lors que l’hypnose
était rabattue sur l’"état" hystérique, lui-même
conçu sur le mode de l’autohypnose, il n’y avait plus à
s’inquiéter des interférences suggestives contre lesquelles
Bernheim mettait en garde, puisque le traitement hypnotique ne faisait en
somme que ramener à la surface un déterminisme psychique interne
et autonome. Telle était la confiance de Freud dans ce déterminisme
psychique qu’il le pensait capable de "résister" à toute
influence externe, et notamment aux pressions les plus insistantes du thérapeute.
Ainsi qu’il le redira encore en 1910, à une réunion de
la Société psychanalytique de Vienne : "[...] on ne peut
éviter certaines questions suggestives si l’on veut arriver à
quelque chose. Le patient n’est d’ailleurs suggestible que dans
la direction qui est la sienne" »[36].
Dans ce passage crucial (celui je crois où Borch-Jacobsen et moi divergeons
du tout au tout), on peut se dispenser d’explorer l’hypothèse
de Charcot sur l’hypnose. Je suis persuadé au contraire que c’est
à la thèse de Bernheim et de Delbœuf de la suggestibilité
commandée par ce que les gens désirent en fait profondément
que Freud fait allusion, et non à l’hypothèse d’un
déterminisme psychique stricto sensu, qui n’existe pas
chez Charcot, sauf au titre de la fameuse « diathèse »
hystérique, qui est une manière biologisante de parler de prédisposition.
Mais voilà le hic : s’il y a co-construction
de la « vérité » en psychanalyse, comment
priver de son pouvoir constructeur propre le patient ? Comment
ne pas lui accorder qu’il évoque de son propre chef quelque chose
comme une scène de séduction, et que l’interprétation
en termes de « scène-de-séduction-œdipienne-dans-le-cadre-de-la-névrose-de-transfert »
est bien quelque chose comme ce qu’il évoque ? Ce
qui m’échappe, et que je crois en son fond inintelligible chez
Borch-Jacobsen, c’est la double affirmation que le semblant est à
deux faces, ou qu’il y a ajustement réciproque, et que
du côté du suggestionné, il n’y a rien qu’aliénation
au cadre de la relation mimético-suggestive. Disant cela, je suis
loin de considérer que la thèse freudienne d’un « déterminisme
psychique » du désir soit transparente – j’en
isole uniquement la visée[37].
Elle fait qu’assurément la construction explicitement assumée
par Freud (on oublie que le mot même est entré en circulation
aussi avec son sens psychanalytique : « construction en analyse »),
est toujours individualisée. On ne peut justement jamais résoudre
d’emblée, sans ce travail de perlaboration subjective singulière,
à quoi que ce soit, en partant du complexe d’Œdipe. Autre
impasse de cette conception en réalité unilatérale
de la suggestion, que développe Borch-Jacobsen, c’est l’extrême
diversité de sa réception dans les tableaux de la psychiatrie.
Babinski, le grand oublié de ces querelles sur l’hystérie,
l’avait rappelé avec bon sens. Ceux qui croient que la suggestion
peut tout devraient essayer de désuggestionner un paranoïaque
persécuté, ou bien, après avoir accrédité
l’existence d’une maladie organique chez un hypocondriaque, tenter,
de le contre-suggestionner. Qu’ils tentent, après avoir contre-suggestionné
sans mal un obsédé qui aurait eu l’idée de se lancer
dans quelque aventure, de lui suggérer qu’il peut réussir
ce qui l’inhibe intensément. Bref : dès qu’on
s’efforce de faire fonctionner une suggestion de chair, et pas une suggestion
de papier, toute sorte d’assymétrie surgissent, et il est tout
bonnement inévitable de les attribuer, horribile dictu, à
quelque chose comme un « déterminisme psychique »
qui est tout simplement l’inertie intrinsèque de tel ou tel caractère
pathologique, qui ne se laisse pas ployer à tous les vents. Comme on
voit, nul besoin d’avoir recours à Freud, ici. Tout cela n’a
rien à voir avec la psychanalyse (Babinski est aux antipodes de l’idée
d’inconscient psychologique) : c’est là une base commune
de la clinique, sur laquelle le plus beau des constructivismes mimético-suggestifs
ne peut rien.
Ce n’est pas le lieu de développer plus avant ma thèse
positive sur Freud – celle selon laquelle le désir chez Freud
est à la fois une raison explicative et une disposition (Anlage),
qui joue le rôle d’une détermination psychique et d’une
motivation intentionnelle. Ni non plus de la défendre contre diverses
objections.
De façon purement négative, on devrait uniquement conclure de
tout ceci qu’il n’y a pas de cure psychanalytique qui puisse se
dispenser d’interroger le patient et l’analyste sur ce qu’ils
s’auto-suggèrent (l’un à l’autre et chacun
pour soi), et que la naïveté ou la malhonnêteté psychanalytiques
ne sont pas, du coup, structurales. Or ces dispositions subsistent,
actualisées différemment, quelle que soit la plasticité
indéniable des échanges du thérapeute et du patient.
Et ce sont elles qui fournissent régulièrement le point d’entrée
dans le cercle enchanté de la suggestion : ce sont elles, en un
mot, qui stabilisent le jeu de miroir infini dans lequel Borch-Jacobsen veut
dissoudre l’expérience psychothérapeutique. Paradoxalement,
ce qui répugne à Borch-Jacobsen, c’est que quelque chose
« puisse devenir si souvent vrai [... ». On pourrait toutefois
lui retourner sa surprise : comment peut-il se faire qu’à
l’âge des psychotropes, de la liquidation de la psychanalyse dans
l’enseignement officiel de la médecine mentale, de la critique
virulente des impostures de Freud et de ses disciples, de la psychiatrie cognitive
et du féminisme émancipateur, tant de gens se « découvrent »
quelque chose comme un complexe d’Œdipe ? Se contre-suggestionnent-ils
contre les contre-suggestions ambiantes ? Admirable effort ! Ce
qui est sûr, c’est que les formes dans lesquelles ils font ce
genre de découvertes sont souvent bien éloignées des
scènes que Freud racontait.
Ce qu’on est bien forcé de concéder en revanche, c’est
que le mythe freudien repose sur l’idée que seule la psychanalyse
rendrait raison de la suggestion, de l’hypnose et des effets des
autres thérapies (par le transfert). Mais si Borch-Jacobsen martèle
ce dernier point, à juste titre, il est loin d’être ce
qu’il veut le plus prouver. Et il en diminue grandement la portée
en répétant que toutes les psychothérapies, et même
toutes les théories psychologiques, ne sont en leur fond que des artefacts
mimétiques. Du coup, on se demande si l’on a beaucoup avancé
en remplaçant « seule la psychanalyse » explique
tout (une idée extrêmement répandue, notamment avec son
corollaire obscurantiste : « en dehors de la psychanalyse,
il n’y a que la suggestion, quelle que soit la thérapie ! »)
par « seul l’artefact mimétique » explique
tout[38].
En somme, Borch-Jacobsen tient pour acquise la fausseté intrinsèque
de la théorie freudienne sur le plan de ses raisons, et cela paralyse
sa lecture. Il ne voit pas que les prétendus objections à la
consistance de la théorie relèvent de problèmes philosophiques,
où c’est une certaine philosophie de l’esprit, (i.e.
de l’interprétation, du lien de l’esprit au corps,
etc.), qu’on défend, contre une autre philosophie qu’on
prête à Freud (le pire exemple de contresens systématique
restant celui de Grünbaum, à cet égard). Ainsi, non seulement
on accuse Freud de se laisser séduire par des « artefacts »,
mais on devient incapable d’évaluer la réponse qu’il
donne à l’objection. Toute élaboration technique des concepts
psychanalytiques tombe sous le coup du soupçon. Ce ne sont pas des
raisons, mais des rationalisations. On peut les lire, les citer, oui, mais
sans perdre de vue qu’il ne s’agit que de couvrir un mensonge
par une fuite en avant dérisoire et ridiculement abstraite. Au total,
on n’a donc pas vraiment le sentiment que le retour aux polémiques
sur l’hypnose à la fin du 19ème siècle
ait éclairci le débat. Non seulement Borch-Jacobsen ne fait
que reconduire l’indécidabilité des situations hypnotiques
(Les gens étaient-ils conscients ou bien inconscients ? Quelle
était la nature de leur éventuelle complaisance ?), mais
en plus, en se battant pour que Freud soit incapable de s’extraire de
ces apories, Borch-Jacobsen rend son propre point de vue ou indécidable
ou contradictoire. Il doit soutenir à la fois que Freud mentait, et
qu’il se rendait bien compte qu’il mentait, et avouer que ce mensonge
était producteur de situation originale exactement comme toute situation
psychothérapeutique, ce qui abolit le référent (la « vérité »
de la situation psychothérapeutique) qui permet de dire que Freud mentait.
D’où la nouvelle forme de l’argument du chaudron[39],
dans la réfutation contemporaine de Freud :
Mais que se passe-t-il pour que cette « construction »
marche, et s’avère satisfaisante – bien plus en tous cas
que la méthode Coué, par exemple ? Que la construction
en question puisse s’imposer sans avoir rien touché ni
des structures ni des dispositions de chacun, c’est tout bonnement inintelligible.
Au risque de l’analogie, c’est supposer que n’importe quelle
foi religieuse, si farfelue soit-elle, pourrait prétendre à
l’universalité, sans tenir compte ni de la logique interne du
dogme ni de sa généralisation éthique potentielle.
L’imprécision foncière de la notion se répercute
ensuite dans tout l’ouvrage. Le plus frappant de ce point de vue est
l’effort d’y réconcilier une ambition constructiviste fidèle
aux connotations sceptiques, relativistes et historicistes du mot (chez Bruno
Latour, notamment) et une théorie de l’imitation inspirée
par Tarde et Girard. Il y a peu à dire du néo-tardisme qui imprègne
l’ouvrage. Jamais de toutes façons les objections traditionnelles
à cette approche ne sont abordées. On y tient l’imitation
comme un processus dynamique intrinsèque, qui sert d’explication
causale aux paradoxes de la suggestion et à la propagation de proche
en proche, individu par individu, dans des généalogies intellectuelles
ou médicales, notamment, de dogmes qui suscitent des groupes, puis
du social. Mais c’est tout bonnement aux antipodes de toute thèse
nominaliste. La confrontation avec Hacking, à cet égard, est
révélatrice. Car Borch-Jacobsen ne paraît pas voir à
quel point le nominalisme de Hacking exclut de la façon la plus
radicale les explications supplémentaires mimético-suggestives
sur la relation inter-individuelle. Car un constructiviste nominaliste comme
Hacking n’a justement jamais besoin d’expliquer cette dernière.
La thèse-clé du nominalisme goodmanien de Hacking, en effet,
c’est de rappeler ire que si une classification existe, c’est
qu’elle était utile. Une fois qu’elle existe, il n’y
a pas à chercher plus loin pourquoi elle existe, ni ce qui la fait exister, et surtout pas entre tels et tels individus. Au contraire, le
nominalisme, et pas juste celui de Goodman et de Hacking, mais tout nominalisme,
pose qu’il n’y a aucune ressemblance entre les individus (mimétique,
analogique, etc.) avant le nom qui les catégorise ensemble.
Si donc il existe des « maladies mentales transitoires »,
un paradigme que Borch-Jacobsen s’annexe, me semble-t-il, indûment,
ce n’est aucunement parce qu’il y aurait là une quelconque
contagion imitative. C’est parce que la catégorie nosographique
« fugue hystérique », ou « personnalité
multiple », ou bien sûr « hystérie »,
s’avère opératoire dans une niche écologique donnée
(selon Hacking). Chacune est d’emblée un concept général
muni de sa règle d’application aux cas particuliers, règle
qui n’est pas incompatible avec d’autres règles, et qui
s’articule au contraire à un contexte épistémique
riche, sans avoir besoin (ce qui est la pointe du nominalisme) de se fonder
dans un « ordre des choses » éternel ni d’avoir
plus de légitimité que son simple usage. Mais ce n’est
jamais une généralisation à partir de cas isolés
(par induction) ni la construction d’une abstraction sur la base de
simples ressemblances (par analogie). Recourir à la fois à Hacking
et à Tarde, à cet égard, c’est mêler la glace
et le feu.
Comment éclate cette incompatibilité entre la théorie
mimétique et le constructivisme relativiste, historiciste, qui prend
pour cible les étiquettes nosographiques (traitées comme les
universaux essentialistes de la théologie scolastique) ?
Par deux voies. Tout d’abord, précisément pour maintenir
la dimension critique, voire dénonciatrice de son propos, Borch-Jacobsen
est obligé de dire que la relation mimétique n’est pas
une construction, mais, quoi qu’il dise, du réel, et du vrai
de vrai. Car c’est ce qui sert à construire tout le reste comme
n’en étant pas (notamment les fumisteries freudiennes et les
impasses de l’hypnotisme). Or on ne voit pas pourquoi les fameux artefacts
mimétiques censés expliquer tout ne sont pas eux aussi des constructions ;
l’impasse dialectique de toutes les théories constructivistes
actuelles, ou presque, c’est d’être incapable, d’une
part, de donner un statut à ce qu’elles supposent de non-construit
pour construire le reste, et d’autre part, de se mettre elles-mêmes
en question comme des constructions dont la visée se laisserait à
son tour problématiser. Quand on prend une théorie aussi totalitaire
que la psychanalyse, et qu’on en démonte par des procédés
constructivistes aussi affirmés que ceux ici débattus la nature
intime, le risque est grand de remplacer un effet de maîtrise totale
du champ par un autre. C’est pourquoi j’ai tant mis en exergue
les passages où Borch-Jacobsen finit par supposer qu’il n’existe
pas de théories psychologiques logiquement indépendantes, ni
non plus de tableaux cliniques des maladies mentales objectivement différenciés.
C’est quand il tient ce discours extrémiste que l’impasse
du constructivisme mimétique est patent. D’un second point de
vue, maintenant, je trouve le procédé facile. Car Borch-Jacobsen
commence par recueillir des problèmes de taxinomie isolés en-dehors
de ses travaux (il y a des hystériques, des dépressifs, des
personnalités multiples, certains apparaissent, d’autres disparaissent),
puis il plaque sur eux une explication psychosociologique dont j’ai
dit qu’elle était infalsifiable, et qui leur va bien sûr
comme un gant. Or ce qu’on aimerait, c’est un cas où l’explication
par l’épidémie mimétique n’aurait pas l’air
à ce point ad hoc. Autrement dit, un cas où Borch-Jacobsen
décrirait la constitution d’une catégorie nosologique
en démontrant que l’approche mimétique y décèle
des aspects jusque-là ignorés. C’est l’impuissance
de Tarde à faire mieux que redécrire dans un lexique explicatif
stérile ce qu’on savait déjà par ailleurs qui a
sonné le glas de sa pensée en sociologie. Une fois le phénomène
social objectivé, on pouvait lui appliquer le paradigme de la diffusion
inter-individuelle à la façon de la « mode »
(l’exemple cardinal de Tarde), et d’une théorie non-spécifiée,
aussi vague que possible, de la suggestion ou du magnétisme[41].
C’est par la méthode durkheimienne, qui est holiste, mais peut-être
encore plus nominaliste qu’on ne le suppose ordinairement, qu’on
peut apprendre du neuf, et en particulier, apprendre à distinguer l’influence
inter-individuelle (dont nul ne nie qu’il y en ait) d’un phénomène
sociologique global. Une fois encore, la mise en circulation d’une notion
à valeur générale (comme les étiquettes nosographiques)
ne repose pas plus sur l’interaction des individus qui, en s’imitant,
finissent par créer du « même », que le suicide,
pour reprendre le contre-exemple de Durkheim, ne suit de cartes centrées
sur des foyers suicidogènes, avec diffusion de proche en proche. On
peut (on doit !) être constructiviste de façon nominaliste :
ce sont les raisons de suivre une règle dans l’application d’un
concept qui crée l’homogénéité et la
ressemblance des objets classés sous le concept. C’est pourquoi
ceux-ci ne déterminent rien qui soit transhistorique dans nos
classifications (pas plus l’hystérie éternelle de Mitchell
que les artefacts mimétiques à tout faire de Borch-Jacobsen).
C’est aussi pourquoi il convient d’avoir égard aux raisons
d’articuler dans leur contexte historique les classifications nouvelles
aux classifications anciennes – car on ne construit qu’avec ordre
et méthode, et c’est cela qui est structurellement incompatible,
dans le fond, avec la fraude et le mensonge.
En revanche, pour mettre « d’énormes points sur les
"i" afin que les choses soient bien claires », je veux souligner,
touchant ma lecture sceptique de Borc-Jacobsen, trois points :
[1] Borch-Jacobsen (2002).
[2] Je présume que le mot,
chez Borch-Jacobsen, généralise le concept classique de Martin
Orne (1959).
[3] Hacking (1998) et Castel (...).
[4] Cioffi (1998²).
[5] Luhrman (2000)
[6] Je discute pour lui-même
du livre de Pignarre dans Castel (2003).
[7] Borch-Jacobsen (2002 :
205-6).
[8] Micale (1993). Je souligne que
le thème de la « disparition » de l’hystérie
vers 1910 est régulièrement mis entre guillemets par les historiens
de la psychopathologie. De plus, au niveau documentaire (archives, certificats,
manuels, etc.), cette disparition n’est nullement évidente. Pour
avoir travaillé dans quelques services hospitaliers, je puis témoigner
de la survie vivace du diagnostic, en France, dans une approche d’ailleurs
plutôt psychiatrique (celle défendue dans les dernières
éditions du manuel d’Henri Ey), et moins psychanalytique. L’impression
d’une disparition progressive du diagnostic est étroitement liée
aux institutions qu’on juge représentatives. Par exemple, en
France, elle touche surtout les hôpitaux de type universitaire et les
journaux savants ; nullement les hôpitaux généraux
ou la psychiatrie du cadre. Dans les pays anglo-saxons, tout est très
différent.
[9] Mitchell (2000).
[10] Borch-Jacobsen (2002 :
313).
[11] Borch-Jacobsen (2002 :
314).
[12] Par exemple, je crois tout
à fait fausse l’idée que les maladies américaines
taxée d’hystérie collective (comme les cultes sataniques,
voire le Chronic Fatigue Syndrome) soient de l’hystérie post-freudienne,
ou s’expliquent le moins du monde par l’identification hystérique
au sens précis que Freud donne à ce concept . Voir Castel (2003).
[13] Castel (1998b).
[14] Castel (1998a).
[15] Car pour Freud, il ne suffit
certes pas d’avouer ! La justesse d’une interprétation
dépend d’une induction par convergence, où ce qui
se passe dans un rêve, un acte manqué, un souvenir impossible
(comme le souvenir-écran, où le sujet se voit lui-même
dans la scène), voire un trait d’esprit, partage une structure
homologue à celle du symptôme. Si une guérison solide
est à espérer, elle ne saurait découler que de la modification
globale des dispositions du sujet, actualisées dans toutes ou
du moins plusieurs de ces dimensions. C’est cette radicalité
du changement durable qui pose alors problème. A. Grünbaum a parfaitement
mis en évidence ce point chez Freud, en l’opposant à la
critique de Popper, qui n’imaginait qu’un pauvre inductivisme,
purement énumératif, dans les arguments freudiens. Mais il suffit
de considérer le réseau surdéterminé que constituent
L’interprétation du rêve, l’article sur le
souvenir-écran, La psychopathologie de la vie quotidienne, et
le livre sur le Witz.
[16] Que l’analyse des énoncés
suggestifs soit retorse et subtile, j’en ai moi-même fait la douloureuse
expérience : Castel (2003).
[17] Ce n’est pas le lieu
de le développer, mais comme le lecteur l’a deviné, c’est
aussi le point d’entrée dans le corpus théorique de la
psychopathologie d’une référence en pointillé aux
théorèmes de Gödel sur l’indécidabilité
et la consistance, dont l’usage par Lacan est régulièrement
pris pour cible par ses détracteurs. Mais si on peut effectivement
discerner dans toute suggestion un énoncé de la forme :
« Si vous croyez que je dis la vérité, alors p »,
alors on aura du mal à en contourner le massif. En tous cas, c’est
là un essai véritablement analytique pour ne pas se contenter
du mot « suggestion » et d’en articuler le
concept.
[18] Borch-Jacobsen (2002 :
168). Il s’agit du cas « Sybil », à l’origine
de l’épidémie de « personnalités multiples »
aux Etats-Unis, un des meilleurs passages du livre. Borch-Jacobsen n’y
va pas ici de main morte, d’ailleurs, dans son constructivisme relativisme
anti-rationaliste et anti-psychiatrique : « Placée dans
d’autres situations et confrontées à d’autres médecins,
elle aurait tout aussi bien pu devenir angoissée, déprimée,
neurasthénique, borderline, anorexique. N’importe quoi, à
la limite [je souligne], aurait pu faire l’affaire, du moment que
cela lui permettait d’être malade » (2002 : 167-8).
C’est étonnant de voir tout ce qu’on est prêt à
accorder aux médecins et aux circonstances extérieures, pourvu
qu’il n’y ait surtout aucune, aucune « réalité
psychique » ni subjective !
[19] Entres autres : Erwin
(1996), Lynn & Vaillant (1998). Voir aussi, un cran en-dessous, Crews
(1998), pour qui la fraude freudienne est un fait brut, et sa dénonciation
systématique vide d’enjeux généraux intéressants.
[20] Gellner (1985, 1990).
[21] Dans ses livres sur « L’homme
aux loups » (1984), « L’homme aux rats »
(1986) et « Dora » (1996). Mais il y aurait tant de choses
à dire sur ces enquêtes rétrospectives.
[22] Anzieu (1988).
[23] Le comble est atteint quand
Borch-Jacobsen cite un rêve de Freud trahissant son ambition derrière
ses idées et ses échecs (2002 : 102 n.2). On retrouve quand
même un peu facilement des aveux de mensonge ou de fraude chez Freud !
Mais accepter que des rêves et des commentaires freudiens de
rêves peuvent tenir lieu de preuves, c’est concéder l’essentiel,
me semble-t-il.
[24] Voir par exemple sa désastreuse
mise en œuvre par Moustapha Safouan : Borch-Jacobsen (1995 :
54 n.1).
[25] Borch-Jacobsen (2002 :
249-51).
[26] Davidson in Guttenplan (1995 :
231-5).
[27] Borch-Jacobsen (2002 :163).
[28] Borch-Jacobsen (2002 :131).
[29] Borch-Jacobsen (2002 :
164).
[30] Borch-Jacobsen (2002 :
166). Phrase à mes yeux savoureuse, parce que lorsque Borch-Jacobsen
attribue au « transfert » la fonction de dissimuler au
patient sa « demande d’irresponsabilité »,
un psychanalyste orthodoxe applaudira des deux mains : c’est exactement
ce qui fait du transfert un moyen de la cure, qui est également
une résistance, et que toute la difficulté est de résoudre
et de dissoudre ultimement ce transfert, ce qui ne se fait que si la responsabilité
du sujet (à l’égard de désirs dont il n’avait
pas conscience) est en fin de compte clairement engagée. Serait-ce
pousser trop loin le paradoxe que de faire de Borch-Jacobsen un freudien qui
s’ignore ? Non. Il y a certainement des convictions éthiques
communes entre adversaires et partisans de la psychanalyse.
[31] Borch-Jacobsen (2002 :
166).
[32] Borch-Jacobsen (2002 :
310).
[33] Borch-Jacobsen (2002 :
109). « E. » est le mystérieux patient suivi par
Freud pendant la période cruciale de la rédaction de la Traumdeutung.
La correspondance avec Fliess en parle souvent. Peter Swales pense l’avoir
enfin identifié, mais à l’heure où j’écris,
ses révélations ne sont pas disponibles.
[34] Castel (1998a : 76-83).
[35] Borch-Jacobsen (2002 :
108).
[36] Borch-Jacobsen (2002 :
79-80).
[37] Elle est même positivement
obscure : Castel (1998b : 291-2).
[38] Je l’ai entendu décliner
sur tous les tons, notamment dans la bouche de psychanalystes parlant des
thérapies comportementales et cognitives, et dans l’ignorance
totale, en particulier de la théorie de l’attribution.
[39] Freud (1900, 1967 :
111).
[40] Borch-Jacobsen (2002 :
225).
[41] Castel (1998 : 216-35).
[42] Borch-Jacobsen (1995) et
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(1998).
[43] Israëls (1999).
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