Sigmund Freud
Lettre à Istvan Hollos (1928)
Vienne, octobre 1928.
« Cher Docteur,
Ayant été avisé que j’ai omis de vous remercier de
votre dernier livre, j’espère qu’il n’est pas trop tard
pour réparer cette omission. Celle-ci ne provient pas d’un manque
d’intérêt pour le contenu, ou pour l’auteur dont j’ai
appris par ailleurs à estimer la philanthropie. Elle était plutôt
consécutive à des réflexions inachevées, qui m’ont
préoccupé longtemps encore après avoir terminé la
lecture du livre, lecture de caractère essentiellement subjectif.
Tout en appréciant infiniment votre ton chaleureux, votre compréhension
et votre mode d’abord, je me trouvai pourtant dans une sorte d’opposition
qui n’était pas facile à comprendre. Je dus finalement m’avouer
que la raison en était que je n’aimais pas ces malades ; en
effet, ils me mettent en colère, je m’irrite de les sentir si loin
de moi et de tout ce qui est humain. Une intolérance surprenante, qui
fait de moi plutôt un mauvais psychiatre.
Avec le temps, je cesse de me trouver un sujet intéressant à analyser,
tout en me rendant compte que ce n’est pas un argument analytiquement valable.
C’est pourtant bien pour cela que je n’ai pas pu aller plus loin
dans l’explication de ce mouvement d’arrêt. Me comprenez-vous
mieux ? Ne suis-je pas en train de me conduire comme les médecins
d’autres à l’égard des hystériques ? Mon
attitude serait-elle la conséquence d’une prise de position de plus
en plus nette dans le sens d’une primauté de l’intellect,
l’expression de mon hostilité à l’égard de ça ?
Ou alors quoi ?
Recevez, après-coup, mes excuses, mes remerciements et toutes mes salutations,
Votre Freud. »
Istvan Hollos, ami de Ferenczi et de Federn,
membre de l’Association psychanalytique hongroise, médecin psychiatre
qui vient de lui dédier son livre ; dans « Souvenirs de
la Maison-Jaune », Hollos évoque les interrogations que son
expérience avec la folie a suscitées en lui et l’importance
de l’apport freudien dans son engagement