L’Association Française de Thérapie
Comportementale et Cognitive (AFTCC) présente les thérapies
comportementales et cognitives comme « un nouvel
apprentissage » qui viendrait rectifier un comportement pathologique,
je cite, elles « (...) ont en commun un support
théorique : la démarche scientifique expérimentale et
les théories de l’apprentissage. En situation clinique, un
comportementaliste considère qu’un comportement inadapté
(par exemple une phobie) a été appris dans certaines situations,
puis maintenu par les contingences de l’environnement. La thérapie
cherchera donc, par un nouvel apprentissage, à remplacer le comportement
inadapté par celui que souhaite le patient. Le thérapeute
définit, avec le patient, les buts à atteindre et favorise ce
nouvel apprentissage en construisant une stratégie
adaptée »
[1]. Les TCC
fondent leur autorité sur l’évaluation qui montrerait une
efficacité supérieure à tout autre traitement chimique,
psychothérapeutique ou psychanalytique. Ce résultat serait
vérifié par des
études « contrôlées » qui
confirmeraient cette réussite en particulier pour les phobies, les
troubles anxieux, compulsifs et sexuels, sans oublier « la
réhabilitation » des patients psychotiques chroniques.
Ces
thérapies orientent leur action selon trois points : selon les
causes actuelles du comportement, selon le changement durable qui est le
critère majeur de leur évaluation, et selon la
reproductibilité des traitements par n’importe quel
thérapeute auprès de n’importe quel patient pourvu
qu’il manifeste le trouble identifiable de façon
objective.
Ces thérapies comportementales ne sont
qu’apparemment nouvelles. Elles existent en fait depuis Pavlov et Skinner,
et ne font aujourd’hui que bénéficier des apports du
cognitivisme qui, en permettant l’éclairage de la fameuse boite
noire du béhaviourisme, leur donnent accès aux idées de
leurs patients, au-delà du comportement observable.
Pour
l’essentiel, elles restent une technique de conditionnement comme
l’indique l’AFTCC et le rapport de l’INSERM (2004) sur
l’évaluation des psychothérapies, nous le citons :
« Les thérapies comportementales et cognitives
représentent l’application à la pratique clinique de
principes issus de la psychologie expérimentale. Ces thérapies se
sont fondées tout d’abord sur les théories de
l’apprentissage : conditionnement classique, conditionnement
opérant et théorie de l’apprentissage social. Puis elles
ont pris pour référence les théories cognitives du
fonctionnement psychologique, en particulier le modèle du traitement de
l’information. Les principes du conditionnement classique
(répondant ou pavlovien) sont fondés sur la notion qu’un
certain nombre de comportements résultent d’un conditionnement par
association de stimuli
(...) »
[2].
On
l’aura compris, les TCC forment un ensemble de techniques
d’apprentissage, de conditionnement, bref de réhabilitation
à un milieu socio-technique, et non plus naturel, comme l’exprimait
déjà G. Canguilhem dans son article célèbre
Qu’est-ce que la
psychologie ?
[3], je
cite : « Les recherches sur les lois de l’adaptation et de
l’apprentissage (...) admettent toutes un postulat implicite commun :
la nature de l’homme est d’être un outil, (...) Et c’est
pourquoi il faut en venir à la question cynique : qui désigne
les psychologues comme instruments de
l’instrumentalisme ? »
[4].
La
conclusion s’impose : les TCC ne peuvent pas prétendre
à un statut de psychothérapie, leurs méthodes
relèvent de techniques de réhabilitation à l’image
d’une rééducation de patients
cérébraux-lésés.
À distance de
l’arène médiatique, il convient de lever des malentendus
produits par l’équivocité et la polysémie du terme
« psychothérapie ». La psychothérapie traite
le conflit psychique et procède d’un soin psychique qui
excède la logique
médicale
[5]. Depuis près
d’un siècle, la psychanalyse a constitué par sa
méthode et ses concepts un référentiel majeur des pratiques
psychothérapiques. Au point que l’on pourrait très justement
considérer la psychothérapie comme une « psychanalyse
compliquée »
[6].
C’est-à-dire qu’épistémologiquement parlant on
peut circonscrire la psychothérapie authentiquement psychanalytique
à la mise en acte de la méthode de la psychanalyse dans des
pratiques dont le cadre se doit d’être ajusté aux
spécificités des situations cliniques au sein desquelles le
psychanalyste œuvre. En somme, la psychothérapie n’est
qu’un cas particulier du travail
psychanalytique
[7].
Les
choses se sont compliquées ces dernières années pour au
moins deux raisons liées au malaise dans notre culture et à la
part toujours plus grande que prend la
logique
iatrique[8] médicoscientifique dans la réhabilitation de
« l’homme
performant »
[9] du
néolibéralisme. D’une part, les psychothérapeutes ont
produit leur propre malheur en demandant à notre culture une
reconnaissance sociale de leurs actes qui la désavoue structurellement
parlant. Ils sont, malheureusement, tombés dans leur propre piège
en devenant le
symptôme de la civilisation dont notre
société est
malade
[10]. D’autre part,
l’évolution des pratiques psychomédicales depuis plus de
vingt cinq ans
[11] évolue aux
États-unis vers une psychologie « environnementale »
qui vise à promouvoir l’individu modelé à
l’image de l’entreprise néolibérale et réduit
à la somme de ses
comportements
[12]. Ici point
d’ontologie, d’épistémologie, d’éthique
ou d’état d’âme... Ces psychologues se veulent
pragmatiques et l’évaluation n’est rien d’autre
qu’un simple calcul d’intérêt, la spéculation
d’un profit dans « l’esprit du capitalisme »
dont un Max Weber dénudait les racines.
Ces techniques de
« rééducation » n’ont que peu de rapport
avec la psychiatrie biologique ou les neurosciences avec lesquelles elles ne
feignent d’avoir des affinités que pour mieux porter des coups
à la psychanalyse. Ces « alliances objectives » se
révèlent comme des affinités sans assises
épistémologiques. Ce dont témoigne
Le livre noir...
où la psychologie apparaît dans le mode grotesque dont Canguilhem
prophétisait les caractéristiques : « de bien des
travaux de psychologie, on retire l’impression qu’ils
mélangent à une philosophie sans rigueur une éthique sans
exigence et une médecine sans
contrôle »
[13].
[1] Cf. le Site internet de
l’AFTCC :
http://www.aftcc.org/therapie.html
[2] Cf., S. Thibierge et C. Hoffmann, A propos du rapport sur les
psychothérapies remis aux membres du Sénat, in
Psychologie
Clinique N° 17, 2004, L’
Harmattan.
[3] G. Canguilhem,
« Qu’est-ce que la psychologie ? »,
Revue de
Métaphysique et de Morale, N°1,1958.
[4] G. Canguilhem,
op. cit., p. 89.
[5] R. Gori,
M.J. Del Volgo, 2005,
La Santé totalitaire. Essai sur la
médicalisation de l’existence. Paris :
Denoël.
[6] P.
Fédida, 2001,
Des bienfaits de la dépression. Éloge de
la psychothérapie. Paris : Odile
Jacob.
[7] C. Stein,
La mort
d'Œdipe, Paris : Denoël,
1977.
[8] R. Gori, 2004,
« la surmédicalisation de la souffrance psychique au profit de
l’économie de marché ».
Psychiatrie
française, 4,
76-92.
[9] A. Ehrenberg, 1991,
Le culte de la performance. Paris :
Hachette.
[10] J. Lacan,
Télévision,
Seuil.
[11] M. Foucault,
Naissance de la biopolitique Cours au Collège de France.
1978-1979. Paris : Seuil,
2004.
[12] Cf. Hannah Arendt,
(1958),
Condition de l’homme moderne, trad. G. Fradier, Paris,
1961, « Ce qu'il y a de fâcheux dans les théories
modernes du comportement, ce n'est pas qu'elles sont fausses, c'est qu'elles
peuvent devenir vraies, c'est qu'elles sont, en fait, la meilleure mise en
concepts possible de certaines tendances évidentes de la
société
moderne ».
[13] G.
Canguilhem, op. cit., p. 77.