Elliott Jaques
Des Systèmes Sociaux comme Défenses contre l'Anxiété Dépressive
et l'Anxiété de Persécution.
Contribution à l'étude psychanalytique des processus
sociaux. [1]
N.B. : je vous propose une note sur le « working through »,
non traduit dans cet article : ce terme anglais correspondrait à celui
de « perlaboration » ; mais les kleiniens ont introduit
quelques différences dans cette notion qui ne sont pas reconnues en France
et que Smirnoff avait traduit par « translaboration », dont
voici une définition :
Translaboration : spécifie une élaboration psychique hors
cure, dans le cours de l'évolution d'un sujet, puisqu'il existe des processus
permettant de résoudre et de dépasser spontanément certaines
positions affectives de l'enfance par un remaniement de ces affects et relations
objectales, réduisant ainsi le clivage intrapsychique en fonction d'éléments
internes comme externes et favorisant l'intégration du moi. Ceci est donc
lié au potentiel évolutif d'un sujet.
Beaucoup de phénomènes sociaux manifestent - on l'a souvent noté une
correspondance étroite, saisissante, avec des processus psychotiques individuels.
Melitta Schmideberg[2], par
exemple, évoque le contenu psychotique de bien des cérémonies
et rites primitifs. Bion[3] suggère
que la vie affective du groupe ne peut être comprise qu'en termes de mécanismes
psychotiques.
Mon expérience personnelle[4] récente
m'a montré, de façon impressionnante, combien les individus utilisent
les institutions dont ils sont membres pour renforcer des mécanismes individuels
de défense contre l'anxiété, en particulier contre le retour
de ces anxiétés primaires, paranoïdes et dépressives,
décrites pour la première fois par Mélanie Klein[5].
En reliant les comportements en société avec le fait de se défendre
contre l'anxiété psychotique, je ne souhaite d'aucune façon
suggérer que les relations sociales ne remplissent aucune autre fonction
qu'une fonction défensive de cette sorte. A titre d'exemples d'autres
fonctions, je citerai, aspect tout aussi important, l'expression et la satisfaction
des pulsions libidinales dans des activités sociales constructives, aussi
bien que la coopération sociale dans des institutions offrant des possibilités
de création et de sublimation.
Mon propos cependant est de me limiter, dans ce texte, à l'examen de certaines
fonctions de défense ; ce faisant, j'espère éclairer et
préciser les processus selon lesquels les mécanismes d'identification
projective et introjective relient les conduites individuelles et sociales.
L'hypothèse spécifique que j'examinerai est que l'un des éléments
primaires de cohésion reliant les individus dans des associations humaines
institutionnalisées est la défense contre l'anxiété psychotique.
En ce sens, on peut penser que les individus projettent à l'extérieur
les pulsions et les objets internes qui, sinon, seraient la source d'anxiété psychotique,
et qu'ils les mettent en commun dans la vie des institutions sociales où ils
s'associent. Ceci n'est pas dire que les institutions utilisées de cette
façon deviennent « psychotiques », mais ceci implique effectivement
que nous nous attendions à trouver dans les relations de groupe des manifestations
d'irréalisme, de clivage, d'hostilité, de suspicion et d'autres
formes de conduites mal adaptées. Ces manifestations sont le pendant social
- mais non pas l'équivalent - de ce qui apparaît comme symptômes
psychotiques chez les individus qui n'ont pas développé leur capacité pour
utiliser les mécanismes d'affiliation aux groupes sociaux afin d'éviter
l'anxiété psychotique.
Si l'hypothèse ci-dessus s'avère exacte, l'observation des processus
sociaux fournit probablement une vue amplifiée des mécanismes psychotiques
observables chez les individus, tout en offrant un cadre accessible à plus
d'un observateur. En outre, beaucoup de problèmes sociaux, économiques
et politiques - souvent imputés à l'ignorance humaine, à la
stupidité, aux attitudes mauvaises, à l'égoïsme ou à la
recherche du pouvoir - peuvent devenir plus compréhensibles, si l'on s'aperçoit
qu'ils recèlent des tentatives, dont les motivations sont inconscientes,
de la part d'êtres humains pour se défendre, de la meilleure façon à leur
portée à ce moment là, contre l'expérience d'anxiétés
dont ils ne pourraient pas consciemment contrôler les sources. Les raisons
de la difficulté de traiter le problème du changement de bien des
pressions sociales et de bien des tensions de groupe seront peut-être aussi
plus clairement évaluées si on les voit comme les « résistances » de
groupes de gens qui se cramponnent inconsciemment à leurs institutions,
parce que des changements dans les relations sociales menacent de perturber les
défenses sociales existantes qui protègent contre l'anxiété psychotique.
Les institutions sociales, au sens où j'utiliserai ce terme, sont des
structures sociales comportant des mécanismes culturels réglant
les relations internes. Les structures sociales sont des systèmes de rôles,
ou de positions, qui peuvent être adoptés et occupés par
des personnes. Les mécanismes culturels sont les conventions, coutumes,
tabous, règles, etc... qui sont utilisés pour régler les
relations entre les membres d'une société. Aux fins d'analyse,
les institutions peuvent être définies indépendamment des
individus particuliers qui occupent les rôles et qui manient ces mécanismes
culturels. Mais le fonctionnement effectif des institutions se déroule
par l'intermédiaire de gens réels maniant des mécanismes
culturels au sein d'une structure sociale ; et les fonctions inconscientes ou
implicites d'une institution sont déterminées de façon spécifique
par les individus particuliers associés dans l'institution, occupant des
rôles à l'intérieur d'une structure et maniant la culture.
Des changements peuvent se produire dans les fonctions inconscientes d'une institution à travers
un changement de personnel sans qu'il y ait nécessairement aucun changement
apparent aux niveaux manifestes des structures et des fonctions. Et réciproquement,
comme on le note si souvent, imposer un changement dans la structure manifeste
ou dans la culture, avec l'objectif de résoudre un problème, peut
fréquemment laisser le problème non résolu, les relations
inconscientes demeurant inchangées.
PROJECTION, INTROJECTION ET IDENTIFICATION DANS LES RELATIONS SOCIALES
Dans « Psychologie collective et analyse du Moi », Freud prend
comme point de départ de son étude de la psychologie des groupes
la relation entre le groupe et son chef. Il voit l'essence de cette relation
dans les mécanismes d'identification des membres du groupe avec le chef
et les uns avec les autres
[6]
En ce sens, les processus de groupe peuvent être reliés à des
formes plus primitives de comportement, puisque « l'identification est
connue de la psychanalyse comme la toute première expression d'un lien émotionnel
avec une autre personne »
[7].
Mais Freud n'a pas explicitement développé le concept d'identification
au-delà de l'identification par introjection, conception dérivée
de son travail sur la rétention des objets perdus par le processus de
l'introjection
[8].
Dans son analyse de la vie collective, il distingue pourtant l'identification
du moi avec un objet (ou identification par introjection), et ce qu'il nomme
remplacement du moi-idéal par un objet externe
[9].
Dans les deux exemples qu'il décrit, l'armée et l'église,
il montre que le soldat remplace son moi-idéal par le chef qui devient
son idéal, tandis que le chrétien incorpore le Christ comme son
idéal et s'identifie à lui.
Comme Freud, Melanie Klein voit l'introjection comme un des processus primaires
par lesquels le petit enfant établit des relations émotionnelles
avec ses objets. Mais elle considère que les processus d'introjection
et de projection interagissent dans la genèse de ces relations
[10].
Une telle formulation me semble conforme, bien que de façon non explicite,
avec les vues de Freud que nous venons d'exprimer. C'est-à-dire, l'identification
du moi avec un objet est une identification par introjection; ceci est explicite
dans Freud. Mais le remplacement du moi-idéal par un objet externe me
semble contenir implicitement la conception de l'identification par projection.
Ainsi, les soldats qui adoptent leur chef comme leur moi-idéal, en fait
s'identifient avec lui projectivement, ou déposent en lui une part d'eux-mêmes.
C'est cette identification projective commune ou partagée qui permet
aux soldats de s'identifier les uns aux autres. Dans la forme extrême
d'une identification projective de ce type, les subordonnés deviennent
totalement dépendant du chef, parce que chacun lui a abandonné une
part de lui-même
[11].
De fait, c'est précisément un tel extrême d'identification
projective qui pourrait expliquer le cas de panique décrit par Freud
[12] où les
Assyriens prirent la fuite en apprenant que Holopherne, leur chef, avait eu
la tête tranchée par Judith. Car non seulement l'objet externe
partagé en commun (cette figure de proue) qui les relie tous ensemble
est perdu, mais le chef ayant perdu sa tête, chaque soldat « perd
la tête », coïncidant avec le chef en s'identifiant projectivement à lui.
Je retiendrai comme base de mon analyse des processus de groupe, la conception
de l'identification dans la constitution des groupes décrite par Freud,
mais en me référant particulièrement aux processus d'identification
introjective et projective dégagés par Mélanie Klein.
Paula Heimann
[13] dans
un autre contexte, a proposé une telle forme d'analyse, avançant
la notion que introjection et projection peuvent être à la base
des processus sociaux même les plus complexes. Je tenterai de montrer
comment les individus font un usage inconscient des institutions en s'associant à celles-ci
et en coopérant inconsciemment au renforcement des défenses internes
contre l'anxiété et la culpabilité. Ces défenses
sociales comportent des relations réciproques avec les mécanismes
internes de défense. Par exemple, les défenses schizoïdes
et maniaques contre l'anxiété et la culpabilité impliquent,
toutes deux, des mécanismes de clivage et de projection, et par la projection,
un lien avec le monde extérieur; quand des objets internes sont partagés
avec d'autres et utilisés en commun aux fins de projection, des relations
sociales imaginaires peuvent être établies à travers l'identification
projective avec l'objet commun. Ces relations phantasmatiques sont élaborées
plus avant par l'introjection; et le jeu à double sens de l'identification
projective et introjective médiatise le double aspect des relations
sociales.
En parlant du «contenu et de la forme sociales phantasmatiques d'une institution »,
je me référerai à la forme et au contenu des relations
sociales au niveau des phantasmes individuels que les membres d'une institution
partagent en commun par l'identification projective et introjective. Phantasme
est utilisé dans le sens d'activité intrapsychique complètement
inconsciente, telle que la définit Susan Isaacs
[14].
De ce point de vue, le caractère des institutions est déterminé et
coloré non seulement par leurs fonctions explicites ou 'acceptées
consciemment de commun accord, mais également par leurs multiples fonctions
non reconnues, au niveau phantasmatique.
ILLUSTRATIONS DE MÉCANISMES DE DÉFENSE STRUCTURÉS SOCIALEMENT
Ce n'est pas mon intention d'explorer dans cet article, systématiquement
ou complètement, la façon dont opèrent les mécanismes
de défense sociaux. J'examinerai d'abord certaines anxiétés
et défenses paranoïdes, en les conservant séparées
dans une certaine mesure, dans des buts d'explication, et en présentant
des illustrations tirées de l'expérience de la vie quotidienne.
Ensuite, je présenterai des données provenant d'un cas d'une étude
sociologique dans une entreprise industrielle, qui pourra rendre plus claires
certaines des considérations théoriques, en montrant l'interaction
entre les phénomènes paranoïdes et dépressifs.
Défenses
contre l'anxiété paranoïde
Un exemple des mécanismes sociaux de défense contre les anxiétés
paranoïdes est celui qui consiste à placer des objets internes
mauvais
[15] et des pulsions
mauvaises dans le psychisme de certains membres particuliers d'une institution
; quelle que soit leur fonction explicite dans une société, ceux-ci
sont choisis inconsciemment, ou bien ils choisissent eux-mêmes d'introjecter
les objets et pulsions ainsi projetés et de les absorber ou de les détourner.
Absorber se réfère au processus qui consiste à introjecter
les objets et pulsions et de les garder en soi; tandis que les détourner
implique qu'ils soient de nouveaux projetés, mais non pas dans les mêmes
membres dont ils avaient été introjectés.
La structuration sociale phantasmatique du processus d'absorption peut être
discernée, par exemple, dans le cas de l'officier en second d'un navire :
en plus de son devoir normal, il est tenu responsable de bien des choses qui
vont mal, mais dont il n'est pas, en fait, responsable.
Les mauvais objets et les pulsions mauvaises de chacun peuvent être placés
inconsciemment dans la personne de l'officier en « second » : il
sera considéré consciemment, d'un commun accord, comme la source
des difficultés. Ce mécanisme permet aux membres de l'équipage
de trouver inconsciemment un soulagement par rapport à leurs propres
persécuteurs internes. D'autre part, le commandant du navire, de ce
fait, peut être plus aisément idéalisé en une image
bonne, protectrice, avec laquelle on peut s'identifier. Le contenu anal de
l'attaque phantasmatique contre l'officier en second est manifeste dans la
phrase familière « le second doit encaisser toute la merde, et
il doit être préparé à être de la merde ».
On s'attend de la part d’officiers de Marine à ce qu'ils acceptent
ce rôle masochiste, dans le cours normal de leur carrière ; la
norme est de l'accepter sans murmure.
Le détournement des projections est un processus visible dans certains
aspects de la situation complexe des nations en guerre. La structure sociale
manifeste est celle de deux armées s'opposant, chacune appuyée
et soutenue par sa communauté. Au niveau phantasmatique, cependant,
nous pouvons envisager la possibilité suivante: les membres de chaque
communauté déposent leurs objets mauvais et leurs pulsions sadiques
dans le psychisme de l'ennemi extérieur, partagé et accepté en
commun. Ils se débarrassent de leurs pulsions hostiles, destructives,
en les projetant dans leurs armées, aux fins de détournement
contre l'ennemi. L'anxiété paranoïde dans la communauté totale,
armée et civils, peut être allégée, ou du moins
transformée en peur ci ennemis connus et identifiables, puisque les
pulsions et les objets mauvais projetés sur l'ennemi reviennent, non
pas sous forme de persécuteurs introjectés phantasmatiquement,
mais d'attaque physique effective qui peut être éprouvée
réellement. Dans des conditions appropriées, la peur objectivement
fondée peut être plus facilement maîtrisée que la
persécution phantasmatique. L'ennemi mauvais et sadique est combattu,
non dans l'isolement solitaire du monde intérieur inconscient, mais
en coopération avec des camarades d'armes dans la vie réelle.
Non seulement les individus se débarrassent de cette façon de
la persécution phantasmatique ; plus encore, les membres de l'Armée
sont momentanément libérés de l'anxiété dépressive,
puisque leurs propres impulsions sadiques peuvent être niées,
en imputant leur agressivité à l'accomplissement de leur devoir,
c'est-à-dire en exprimant les impulsions agressives qu'ils ont recueillies
et introjectées de la communauté. Les membres de la communauté peuvent
aussi éviter la culpabilité par l'introjection de la haine, approuvée
socialement, de l'ennemi. Cette approbation introjectée renforce la
négation de haines inconscientes et de pulsions destructrices contre
des objets bons, en permettant l'expression consciente de ces pulsions contre
un ennemi extérieur réel, commun à tous, haï publiquement.
La coopération sociale, au niveau de la réalité, peut
ainsi permettre une redistribution des objets mauvais et des pulsions mauvaises
dans les relations phantasmatiques des membres d'une société
[16].
En connexion avec une telle redistribution, l'identification introjective permet
aux individus de se prévaloir de sanctions et de supports sociaux. Le
but premier des mécanismes d'absorption et de détournement est
de réaliser le non retour, au niveau phantasmatique, des mauvais objets
et des mauvaises pulsions phantasmatiques qui ont fait l'objet de projections.
Mais les mécanismes sociaux de défense procurent quelque bénéfice,
même là où absorption et détournement ne sont pas
un succès complet (et les mécanismes, au niveau phantasmatique,
ne peuvent jamais être complètement contrôlés). Paula
Heimann
[17] décrit
l'introjection dans le moi de mauvais « objets » projetés
et de leurs pulsions connexes, où ils sont maintenus en état
de clivage, assujettis aux projections intrapsychiques, et attaqués.
Dans les cas décrits ci-dessus, le moi reçoit le soutien des
sanctions sociales qui sont introjectées et qui légitiment, au
niveau intrapsychique, la projection et l'agression. L'officier en second,
par exemple, peut être introjecté, et les pulsions projetées
dans son psychisme peuvent également être introjectées.
Mais dans la situation sociale phantasmatique, l'on s'identifie à d'autres
membres de l'équipage qui attaquent aussi l'officier en second par introjection,
partiellement au niveau du moi, et partiellement au niveau du surmoi.
Le moi est ainsi renforcé par la possession des membres de l'équipage
intériorisés, qui, tous, prennent part à l'attaque des
objets mauvais qui ont fait l'objet de ségrégation à l'intérieur
du moi ; et la rigueur du sur-moi se trouve allégée par l'apport
qui lui est fait d'objets qui, socialement, approuvent et légitiment
l'attaque.
Ces exemples, bien évidemment, ne sont pas complètement élaborés
; nous ne visons pas non plus à ce qu'ils le soient. Ce sont des abstractions
tirées de situations de la vie réelle dans lesquelles une analyse
plus complète montrerait des défenses contre l'anxiété dépressive
et de persécution, interagissant entre elles et avec d'autres fonctions
plus explicites du groupe. Mais ils suffisent, peut-être, à montrer
comment l'usage des concepts d'identification introjective et projective, considérés
comme des mécanismes en interaction, peut servir à prolonger
l'analyse par Freud de l'armée et de l'église. Nous pouvons noter
aussi que les mécanismes sociaux qui ont été décrits
comportent, dans leurs aspects les plus primitifs, des traits qui peuvent être
rapprochés des toutes premières tentatives du petit enfant, décrites
par Mélanie Klein
[18] pour
traiter l'anxiété de persécution liée aux objets
dont on a été séparé au moyen de clivages, projections
et introjections des objets et pulsions, tant bons que mauvais.
Envisageant, maintenant, la question des défenses sociales contre les
anxiétés dépressives, nous pourrons illustrer plus avant
certains de ces points généraux.
Défenses
contre l'anxiété dépressive
Considérons d'abord certains aspects des problèmes soulevés
par les phénomènes de bouc émissaire portant sur un groupe
minoritaire. Du point de vue de la communauté dans son ensemble, celle-ci
est scindée en deux parts : une majorité bonne, et une minorité mauvaise
- clivage cohérent avec le clivage en bons et mauvais des objets internes
et avec la création d'un monde intérieur bon et mauvais. Le groupe
persécuteur préserve sa croyance qu'il est lui-même le
bien en entassant mépris et attaques contre le groupe bouc émissaire.
Les mécanismes de clivage interne et la sauvegarde des bons objets internes
des individus, l'attaque et le mépris des objets internes mauvais, persécuteurs,
sont renforcés par des identifications introjectives des individus à d'autres
membres qui participent à l'attaque, collectivement approuvée,
contre le bouc émissaire
[19].
Si nous nous tournons à présent vers les groupes minoritaires,
nous pouvons nous demander pourquoi seules certaines minorités sont
vouées à la persécution, tandis qu'il n'en est rien pour
d'autres. Un aspect souvent négligé dans l'examen des problèmes
de minorité peut offrir ici quelque secours.
Les membres de la minorité persécutée entretiennent communément
contre leurs persécuteurs une haine et un mépris caractérisés,
rivalisant en intensité avec le mépris et l'agression auxquels
eux-mêmes sont exposés. Qu'il doive en être ainsi n'est
peut-être pas surprenant. Mais, en considération du facteur sélectif
dans le choix des minorités persécutées, il nous faut
envisager la possibilité qu'un des facteurs actifs de ce choix soit
le consensus du groupe minoritaire, au niveau phantasmatique, à rechercher
de la part des autres mépris et souffrance de façon à alléger
une culpabilité inconsciente. Autrement dit, il existe une coopération
(ou collusion) inconsciente, au niveau phantasmatique, entre persécuteur
et persécuté. Pour les membres du groupe minoritaire, une telle
collusion renforce leurs propres défenses contre l'anxiété dépressive
- par des mécanismes tels que la justification sociale des sentiments
de mépris et de haine à l'encontre d'un persécuteur extérieur,
avec allégement consécutif de la culpabilité et renforcement
du mécanisme de négation destiné à protéger
les bons objets internes.
L'allégement de l'anxiété dépressive par des mécanismes
sociaux peut être réalisé par une autre voie : la négation
maniaque d'impulsions de destruction et de la destruction de bons objets, le
renforcement, enfin, des bonnes impulsions et des bons objets, par la participation à l'idéalisation
du groupe. Ces mécanismes sociaux reflètent, dans le groupe,
les mécanismes de négation et d'idéalisation dont Mélanie
Klein a montré l'importance dans les défenses contre l'anxiété dépressive
[20].
L'action de ces mécanismes sociaux est perceptible dans les cérémonies
de deuil. Chacun se joint à ceux qui portent le deuil pour la manifestation
en commun de leur douleur et la réitération publique des bonnes
qualités du défunt. De la comparaison entre les insuffisances
des survivants et les bonnes qualités du défunt se dégage
un sentiment de culpabilité commune partagée. On se débarrasse
des mauvais objets et des pulsions mauvaises par projection inconsciente dans
le cadavre, projection masquée parla décoration du cadavre; ils
sont prudemment mis de côté par identification projective sur
le mort durant la cérémonie d'enterrement ; par de tels mécanismes
on vise inconsciemment à éviter d'être persécuté par
des forces démoniaques.
En même temps, de bons objets et des pulsions bonnes sont aussi projetés
dans la personne morte. L'idéalisation publique socialement approuvée
du défunt renforce ainsi le sentiment que, après tout, l'objet
bon n'a pas été détruit, car « ses bonnes oeuvres » sont
tenues de survivre dans la mémoire de la communauté comme de
la famille, souvenir réifié dans la pierre tombale. Ces mécanismes
tendent par une visée inconsciente à éviter d'être
hanté par des esprits suscitant la culpabilité. De ce fait, les
cérémonies de deuil fournissent à la communauté et à la
famille endeuillée l'occasion de coopérer inconsciemment à scinder
l'objet aimé en une mauvaise part, détruite, et une part aimée,
d'ensevelir les mauvais objets et les pulsions mauvaises, et de protéger
la partie bonne, aimée, comme un souvenir éternel.
Trait général commun à chacun des exemples cités,
les systèmes sociaux phantasmatiques qui sont instaurés ont une
valeur de survie pour le groupe, tout en offrant aux individus une protection
contre l'anxiété. Dans le cas des funérailles, par exemple,
l'idéalisation sociale et la négation maniaque permettent à une
personne venant de perdre un être cher de réduire en elle le chaos,
de tempérer le choc immédiat et intense de la mort, et de s'engager
dans le processus de maturation intime du travail de deuil, au moment et à l'allure
[21] qui
lui sont propres. Mais il existe aussi bien un gain social général
: tous ceux qui sont associés aux funérailles peuvent poursuivre
leur travail interne de deuil, et continuer - processus de toute la vie - le « working
through »
[22] des
conflits non résolus de la situation dépressive infantile. Comme
Mélanie Klein l'a décrit, « il semble que tout progrès
dans le processus du travail de deuil se traduit par un approfondissement de
la relation de l'individu à ses objets internes par le bonheur de les
recouvrir après avoir éprouvé leur perte (« Paradis
perdu et retrouvé »), dans une confiance et un amour accrus à leur égard
du fait qu'ils s'affirment somme toute bons et secourables
[23]».
Ainsi, à travers les funérailles, la tolérance à l'ambivalence
s'accroît et l'amitié peut être renforcée dans la
communauté; ou bien encore, dans le cas de l'officier second, l'équipage
du navire, dans une situation que l'étroite réclusion et l'isolement
loin des autres groupes rend difficile, est mis à même de coopérer
avec le commandant à l'exécution des tâches requises et
consciemment planifiées, en isolant et en concentrant leurs objets et
leurs pulsions mauvaises, dans un réceptacle humain à leur portée.
ÉTUDE DE CAS
L'examen d'un cas venant de l'industrie va nous permettre de procéder à un
examen plus détaillé et complet des systèmes sociaux phantasmatiques
en tant que mécanismes de défense pour l'individu et également
en tant que mécanismes permettant au groupe de poursuivre ses tâches
objectives ou de survivance. On pourra noter que le concept de « tâche
objective » provient de la notion de Bion de la tâche objective
du groupe de travail ou W. group
[24].
je m'abstiens d'utiliser le schéma conceptuel plus poussé par
lequel Bion définit ce qu'il appelle les « hypothèses de
base» des groupes, car les relations opératoires entre les hypothèses
de base et les phénomènes de dépression et de persécution
restent à élaborer.
Le cas rapporté ici fait partie d'une étude plus vaste, réalisée
dans une entreprise de matériel électrique, la « Glacier
Metal Company », entre juin 1948 et le moment présent. Les relations
avec la firme sont d'ordre thérapeutique; le travail n'est fait que
sur demande émanant de groupes ou d'individus situés dans cette
entreprise, d'aide pour le « working through » des tensions dans
les groupes, ou pour l'examen de problèmes d'organisation. La relation
entre le psychosociologue-conseil (ou thérapeute) et les gens avec qui
il travaille est une relation de confiance ; les seuls comptes rendus publiés
sont ceux étudiés avec les personnes concernées, et dont
ils acceptent la publication. En me conformant à ces termes de référence,
j'ai publié un rapport détaillé portant sur les trois
premières années du projet
[25].
L'illustration que j'utiliserai ici est tirée du travail réalisé avec
l'un des départements de l'usine
[26].
Ce département utilisait environ soixante personnes. Son organisation
comportait, à sa tête, un chef de département. Sous ses
ordres un superintendant, responsable à son tour de quatre contremaîtres,
qui, chacun disposait d'un groupe de travail de dix à seize agents.
Les agents avaient élu cinq représentants, dont deux étaient
magasiniers, pour négocier avec le chef de département des problèmes
concernant ce département. L'un de ces problèmes touchait le
changement des méthodes de paiement des salaires. Le personnel de l'atelier était
payé aux pièces (c'est-à-dire un salaire de base, plus
une prime dépendant de leur production). Cette méthode de paiement était
ressentie, depuis un certain nombre d'années, comme insatisfaisante.
Du point de vue des travailleurs cela se traduisait par une incertitude sur
le montant de leurs salaires hebdomadaires ; pour la direction, par des fixations
compliquées de taux, et des arrangements administratifs. Pour tous les
intéressés, les disputes, qui n'étaient pas rares, étaient
ressenties comme une perturbation non nécessaire. La possibilité de
revenir à une méthode de paiement basée sur un taux uniforme
avait été discutée durant plus d'un an, avant le début
du projet. En dépit du fait que le changement était généralement
désiré, les intéressés n'avaient pu arriver à une
décision.
Une
période de négociation
Le travail commença dans ce département en janvier 1949, par
l'assistance aux discussions d'un sous-comité composé du chef
de département, du superintendant et de trois représentants des
ouvriers. Le ton général des discussions était amical.
Les membres du comité insistaient sur le fait qu'il existait de bonnes
relations dans le département et que chacun voulait s'efforcer de les
améliorer davantage. De temps en temps, cependant, des désaccords
aigus se produisaient sur des points spécifiques ; ces désaccords
conduisirent les représentants ouvriers à déclarer qu'il
y avait de nombreuses questions sur lesquelles ils sentaient ne pouvoir faire
confiance à la direction. A cette déclaration de suspicion, les
membres de la direction répondaient en soulignant que, pour leur part,
ils avaient grande confiance, eux-mêmes, dans le sens des responsabilités
des ouvriers.
La suspicion des ouvriers à l'encontre de la direction se révéla,
aussi, au cours de discussions tenues au niveau de l'atelier entre les représentants élus
et leurs constituants ouvriers. Le but de ces discussions était de dégager,
de façon détaillée et concrète, les vues des ouvriers
sur le changement proposé. Les ouvriers, dans l'ensemble, étaient
en faveur du changement ; mais ils avaient quelque doute quant à la
confiance qu'ils pouvaient accorder à la direction pour mettre en œuvre
et pour administrer ce changement d'une manière équitable. Quelles
garanties avaient-ils donc, demandaient-ils, que la direction ne leur joue
pas quelque tour de passe-passe ? Les ouvriers montraient, au même moment,
une attitude ambivalente envers leurs représentants. Ils les pressaient
et leur confiaient le soin de continuer les négociations avec la direction
; mais, en même temps, ils suspectaient leurs représentants d'être
des hommes de paille de celle-ci et de ne pas suffisamment tenir compte des
points de vues des ouvriers. Cette attitude négative envers leurs représentants
s'exprimait plus clairement dans les interviews individuels faits avec les
ouvriers ; là, ils exprimaient que, bien que les représentants élus étaient
connus comme des syndicalistes militants, pourtant ils pouvaient être
roulés par la direction, et ne pas remplir leur rôle de représentant
aussi efficacement qu'ils l'auraient pu.
Les relations de travail, au jour le jour, entre contremaîtres et ouvriers étaient
tout à fait différentes de ce que l'on aurait escompté en
conséquence de ces vues. Le travail en atelier était accompli
avec un bon moral et les contremaîtres étaient ressentis comme
faisant leur possible pour les ouvriers. Une forte proportion de l'atelier était
employée dans la société depuis cinq ans ou plus, et des
relations personnelles véritablement bonnes s'étaient établies.
Les discussions dans le comité composé d'éléments
de la direction et de représentants élus, allèrent leur
train durant sept mois, entre janvier et juin 1949. Ils rencontraient de grandes
difficultés à s'acheminer vers une décision : ils s'embrouillaient
dans des discussions parfois assez chaudes sans autre cause évidente
que la suspicion des ouvriers vis-à-vis de la direction, compensée
par l'idéalisation des ouvriers par celle-ci. Beaucoup de cette suspicion
et de cette idéalisation, cependant, était autistique : en ce
sens que bien qu'elles étaient éprouvées consciemment,
elles n'étaient pas ouvertement exprimées comme concernant la
direction et les ouvriers. Ces attitudes se manifestaient beaucoup plus nettement
quand les représentants élus et les éléments de
la direction se réunissaient séparément. Les ouvriers
exprimaient leur profonde suspicion et leur méfiance, cependant que
les dirigeants exprimaient quelques unes de leurs anxiétés quant à la
mesure dans laquelle les ouvriers pouvaient être responsables, anxiétés
qui coexistaient chez ces dirigeants avec leur sens accusé de la responsabilité des
ouvriers et leur foi en eux.
Analyse de la phase de négociation
Je souhaiterais maintenant appliquer à ces données certaines
de nos formulations théoriques. Ceci ne vise, d'aucune façon, à une
analyse complète de ce matériel. Beaucoup de facteurs importants
tels que des modifications dans l'organisation de la direction de l'atelier,
des attitudes individuelles, des changements de personnel et des variations
de la situation économique et de la production, tout cela contribue à déterminer
les changements qui se produisirent. Mais je souhaite montrer - si l'on accepte
l'hypothèse que les défenses contre l'anxiété paranoïde
et dépressive agissent au niveau social phantasmatique - comment nous
pouvons expliquer quelques-unes des très grandes difficultés
rencontrées par les membres de ce département.
Je voudrais également souligner ici que ces difficultés furent
rencontrées en dépit du moral élevé qu'impliquait
la bonne volonté des gens concernés, à regarder en face,
et à « work-through » sérieusement les tensions de
groupe qu'ils éprouvèrent au cours de leurs tentatives pour arriver à un
but désiré par tous.
Le degré d'inhibition de cette suspicion et de cette idéalisation
autistiques devient compréhensible, je pense, si nous faisons les hypothèses
suivantes sur les attitudes inconscientes au niveau phantasmatique. Les ouvriers
dans l'atelier avaient clivé les membres de la direction en bons et
en mauvais : les bons étant ceux avec qui ils travaillaient; et les
mauvais, étant les mêmes, mais dans la situation de négociation.
Inconsciemment, ils avaient projeté leurs pulsions hostiles destructrices
dans leurs représentants élus. De cette façon, les représentants
pouvaient détourner ou re-diriger ces pulsions contre les mauvais « patrons »,
avec qui les négociations continuaient, tandis que bons objets et pulsions
bonnes pouvaient être placés dans la personne réelle des
chefs dans la situation quotidienne de travail. Ce clivage de la direction
en bon et mauvais et l'identification projective, contre les mauvais patrons,
avec les représentants élus servaient deux fins.
Au niveau de la réalité, cela permettait le maintien des bonnes
relations nécessaires à l'accomplissement des tâches du
département. Au niveau phantasmatique, cela fournissait un système
de relations sociales renforçant les défenses individuelles contre
l'anxiété paranoïde et dépressive.
Ce fait, de déposer leurs pulsions bonnes dans les dirigeants qu'ils
avaient en situation de travail, permettait aux ouvriers de ré-introjecter
les bonnes relations avec la direction, et, de ce fait, de conserver indemne
un bon objet et alléger l'anxiété dépressive. Cette
anxiété dépressive fut évitée aussi en effectuant
un renversement à la position paranoïde dans la situation de négociation
[27].
Pendant les négociations, les ouvriers évitèrent partiellement
l'anxiété paranoïde en déposant leurs pulsions mauvaises
dans leurs représentants élus. Sur un plan conscient, les représentants
négociaient pour les ouvriers ; inconsciemment, ils devenaient les représentants
des pulsions mauvaises de ceux-ci. Ces pulsions mauvaises, ainsi clivées, étaient
en partie contrôlées et évitées parce qu'elles étaient
dirigées contre les objets mauvais placés dans la direction en
situation de négociation par les ouvriers et leurs représentants.
Un autre mode de traitement par les ouvriers de leurs propres mauvais objets
et mauvaises pulsions, projetés, consistait à s'attaquer à leurs
représentants avec un sentiment de désespoir quant à une
issue favorable des négociations. Ces sentiments tendaient à s'exprimer
lorsque les individus étaient seuls. Les ouvriers qui ressentaient cela
avaient introjecté leurs représentants comme des objets mauvais
et les maintenaient comme une part isolée de leur moi. L'identification
projective avec d'autres ouvriers, qui maintenaient que les représentants
ne faisaient pas correctement leur office, venaient appuyer la projection intrapsychique
et l'agression contre ces mauvais objets introjectés pour renforcer
la projection intrapsychique et pour se protéger des contre-attaques
provenant des mauvais représentants intériorisés. En plus
d'une défense contre des persécutions intérieures, l'introjection
des autres ouvriers fournissait une sanction sociale pour considérer
les représentants intériorisés comme mauvais; ceci compensait
la rudesse des récriminations du sur-moi contre l'attaque d'objets contenant
un élément tant bon que persécuteur.
Du point de vue des représentants élus, leur acceptation inconsciente
des pulsions et des objets mauvais de tous les ouvriers réduisait leur
anxiété à l'égard des pulsions mauvaises. Ils pouvaient
avoir le sentiment que leurs propres pulsions hostiles et agressives ne leur-
appartenaient pas, mais appartenaient aux gens au nom desquels ils agissaient.
Ils étaient ainsi en état de recueillir une sanction sociale
externe couvrant leur agression et leur suspicion hostile. Mais le mécanisme
n'opérait pas avec complet succès, car leurs propres suspicion
et hostilité inconscientes restaient encore à traiter, ainsi
que la réalité de ce qu'ils considéraient être la
bonne direction extérieure. Il y avait ainsi de l'anxiété et
un sentiment de culpabilité, celle d'endommager les bons directeurs.
Le mécanisme primaire de défense contre l'assaut d'une anxiété dépressive était
le repli sur la position paranoïde. Cela se manifestait par le fait de
s'accrocher de façon rigide à des attitudes de suspicion et d'hostilité,
même lorsqu'ils sentaient consciemment qu'une part de cette suspicion
n'était pas justifiée par leur expérience dans la situation
présente.
La direction, de son côté, contrait l'attitude paranoïde
des représentants élus par la réitération de l'opinion
que l'on pouvait compter sur la participation des ouvriers. Cette attitude
positive contenait, inconsciemment, à la fois une idéalisation
des ouvriers et un désir d'apaiser les représentants hostiles.
L'idéalisation peut se comprendre comme un mécanisme inconscient
pour réduire la culpabilité; culpabilité stimulée
par la crainte de blesser ou de détruire des ouvriers ' dans la situation
de travail quotidienne, par l'exercice de l'autorité directoriale. Cette
autorité - il y a de bonnes raisons de le croire - est ressentie inconsciemment,
au moins à quelque degré, comme incontrôlée et toute
puissante. Dans la mesure où les dirigeants ressentaient leur autorité comme
mauvaise, ils craignaient les représailles de la part des ouvriers.
Ceci, derechef les conduisait, afin de se défendre contre l'anxiété paranoïde, à renforcer
l'idéalisation des représentants élus - moyen d'apaiser
l'hostilité des ouvriers et donc d'apaiser les persécuteurs internes.
Ces mécanismes d'idéalisation et d'apaisement étaient
utilisés dans les réunions avec les représentants élus,
de sorte que les mécanismes de réalité, moins encombrés
de phantasmes non contrôlés, pouvaient fonctionner dans les relations
avec les ouvriers dans la situation de travail.
Ainsi, des attitudes inconscientes, paranoïdes chez les ouvriers, idéalisantes
et apaisantes chez la direction, étaient complémentaires et se
renforçaient réciproquement. Un processus circulaire était
mis en mouvement.
Plus les représentants des ouvriers attaquaient la direction, plus ceux-ci
les idéalisaient pour les apaiser. Plus la direction faisait des concessions,
plus les ouvriers ressentaient de la culpabilité et la crainte d'anxiété dépressive
et plus donc ils se repliaient vers des attitudes paranoïdes comme moyen
d'éviter l'anxiété dépressive.
Description et analyse de la phase postérieure aux négociations
En juin, six mois après le début des discussions, ces attitudes,
plutôt que le problème des salaires, furent retenues pendant un
certain temps comme principal foyer d'attention. Une résolution partielle
intervient
[28] et les
ouvriers décidèrent, après un scrutin dans tout le département,
d'essayer une méthode de paiement à taux uniforme. Ce changement,
cependant, fut subordonné à la mise en place d'un comité,
composé de membres de la direction et de représentants élus
qui aurait compétence pour déterminer la politique du département
- procédure dont le principe avait déjà été établi
dans la société. Le principe majeur était de prendre toutes
les décisions à l'unanimité, et d'être d'accord
pour « work-through » tous les obstacles à des décisions
unanimes, en découvrant les sources de désaccord de telle façon
qu'elles puissent être résolues.
Il semblait que la discussion ouverte des attitudes autistiques facilitait
une restructuration des relations sociales phantasmatiques dans le département,
restructuration amenant un plus grand degré de conscience ou de contrôle
du moi sur ces relations. L'histoire ultérieure du comité d'atelier
montra pourtant que la restructuration des relations sociales phantasmatiques était
seulement partielle. A la suite du passage à la méthode de paiement à taux
uniforme, le comité se heurta en effet au problème majeur de
la réévaluation des temps dans lesquels des tâches données
devaient être faites.
Les salaires aux pièces nécessitaient ces évaluations
des temps, à la fois pour calculer les primes des ouvriers et pour fournir
aux clients des estimations de prix. Avec des taux uniformes ces évaluations
n'étaient nécessaires que pour les estimations destinées
aux clients ; mais les temps ainsi établis constituaient nécessairement
des objectifs pour les ouvriers. Avec le salaire aux pièces, si un ouvrier
n'atteignait pas l'objectif, cela signifiait qu'il perdait sa prime; autrement
dit, il payait lui-même pour toute baisse de son effort. Avec des taux
uniformes, cependant, une chute en deçà de l'objectif revenait à ce
que l'ouvrier reçut le paiement d'un travail qu'il ne faisait pas. Une
exploration détaillée des attitudes
[29] des
ouvriers montra que le passage des tarifs aux pièces aux tarifs uniformes
n'avait modifié en rien leurs objectifs personnels et leurs cadences
individuelles de travail. Ils se sentaient coupables, chaque fois qu'ils arrivaient
au-dessous de leurs objectifs estimés, parce qu'ils ne payaient plus
pour la différence. Afin d'éviter cette culpabilité, les
ouvriers exercèrent une forte pression pour maintenir les temps estimés
des tâches à un niveau aussi élevé que possible,
et également pour que les temps « serrés » (temps sur
des tâches qui étaient difficiles à respecter) soient réévalués.
Tout changement dans les méthodes d'évaluation des tâches
se heurtait à de fortes résistances, ces changements signifiant
pour les ouvriers la possibilité que des objectifs difficiles à atteindre
leur soient fixés.
Du côté de la direction, l'adoption des taux uniformes remuait
inévitablement les anxiétés inconscientes qu'ils pouvaient
avoir sur l'autorité. Avec les salaires aux pièces, en effet,
la prime elle-même jouait le rôle d'une discipline impersonnelle
et indépendante garantissant que les ouvriers fassent l'effort nécessaire.
Avec les taux uniformes, il appartenait à la direction de veiller au
maintien des cadences raisonnables de travail. Ceci leur imposait une responsabilité plus
directe de contrôle de leurs subordonnés, et les mettait plus
directement en contact avec l'autorité qu'ils détenaient.
Le comité, nouvellement constitué, avec ses membres de la direction
et ses représentants élus, avait de grandes difficultés à faire
face à l'anxiété dépressive plus manifeste, à la
fois dans la direction et parmi les ouvriers. Du point de vue de la direction,
ceci montrait que le comité pourrait bien se révéler une
mauvaise chose, freinant le développement de la gestion du département.
Des opinions similaires - que le comité ne fonctionnerait pas, qu'il
se pourrait à l'épreuve qu'il ne vaille pas la peine - jouèrent
quelque peu dans la décision prise par cinq des six représentants élus
de ne pas se présenter aux nouvelles élections dans l'atelier
qui eurent lieu 16 mois après l'installation du comité. Ces cinq
personnes furent remplacées par cinq nouveaux représentants élus
: à leur tour, ils apportèrent avec eux une quantité considérable
de suspicion. C'est dire qu'il y eut, de nouveau, un repli sur la position
paranoïde, cependant que l'anxiété dépressive des
dirigeants continuait de se manifester, dans une certaine mesure, par l'expression
de sentiments de découragement à l'égard du fonctionnement
du comité. Ce ne fut que lentement, après une période
de deux ans, que le comité fut capable de fonctionner dans la situation
nouvelle, comme procédure constitutionnelle pour arriver à un
accord sur la politique, et en même temps pour servir, intuitivement, à contenir
les relations sociales phantasmatiques. Une exploration du problème
des réévaluations fut acceptée. Elle se poursuit avec
l'aide d'un conseiller industriel extérieur.
Cette étude de cas illustre donc le développement d'une institution
sociale explicite, celle de réunions entre la direction et les représentants élus,
qui permit l'établissement de mécanismes inconscients au niveau
phantasmatique pour traiter les anxiétés paranoïdes et dépressives.
Les principaux mécanismes étaient, de la part de la direction,
l'idéalisation des ouvriers hostiles, et, de la part des ouvriers, le
maintien d'une attitude de suspicion à l'égard de la direction
pratiquant cette idéalisation. Dans la mesure où clivage et identification
projective opéraient avec succès, ces mécanismes inconscients
aidèrent les individus à traiter leurs anxiétés
en les introduisant dans les relations sociales phantasmatiques sécrétées
par le groupe de membres de la direction et de représentants élus.
De cette façon, les anxiétés furent éliminées
de la situation quotidienne de travail ; ceci permettait d'effectuer de façon
efficace les tâches objectives et d'assurer de bonnes relations de travail.
On notera, cependant, que le groupe des représentants élus et
de la direction était aussi chargé d'une tâche objective,
celle de négocier de nouvelles méthodes de paiement des salaires.
Ils éprouvèrent de la difficulté à progresser dans
cette tâche objective. D'après la théorie que nous avons
exposée ici, ces difficultés provenaient de la façon dont
les relations phantasmatiques, inconscientes, prédominantes dans le
groupe chargé de la négociation, allaient à l'encontre
des exigences de la tâche objective.
En d'autres termes, une procédure, constitutionnelle dans son essence,
celle de représentants élus se réunissant avec un organe
exécutif, était d'un maniement difficile, car utilisée
au niveau phantasmatique d'une façon non reconnue pour contribuer à traiter
les anxiétés dépressives et paranoïdes des membres
de l'ensemble du département.
QUELQUES OBSERVATIONS SUR LE CHANGEMENT SOCIAL
Dans cette étude de cas, le changement social était recherché,
pourrait-on dire, quand la culture et la structure ne satisfaisaient plus les
exigences des membres du département, en particulier les membres de
la direction et les représentants élus. Des changements manifestes
furent réalisés ; ils semblèrent conduire, à leur
tour, à une restructuration considérable de la forme et du contenu
social phantasmatique de l'institution. Le changement une fois réalisé,
cependant, les individus se trouvèrent enserrés dans des relations
nouvelles auxquelles ils devaient s'adapter puisqu'eux-mêmes les avaient
créées. Mais ils avaient amené plus que ce qu'ils avaient
cherché, en ce sens qu'il fallait avoir fait l'expérience des
nouvelles relations avec des taux uniformes et avec le comité décidant
de la politique avant de pouvoir pleinement apprécier leurs implications.
Les effets du changement sur les individus furent différents selon les
rôles qu'ils occupaient. Les représentants élus pouvaient
changer de rôles tout simplement en ne se présentant pas pour être
réélus. Cinq des six représentants, on le notera, eurent
recours à cet expédient. Mais les membres de la direction étaient
dans une position très différente. Ils ne pouvaient abandonner
ou changer leurs rôles sans changer, d'une façon majeure, leurs
positions et peut-être leur statut dans l'ensemble de l'organisation.
Leur adaptation à la nouvelle situation impliquait donc pour eux, pris
individuellement, de supporter des tensions personnelles considérables.
Il est improbable que les membres d'une institution puissent jamais apporter
des changements sociaux qui conviennent parfaitement aux besoins de chaque
individu. Le changement une fois entrepris, il est plus que probable que des
individus devront s'ajuster et changer personnellement pour ne mettre au niveau
des changements qu'ils ont produits. Tant que certains réajustements
ne sont pas faits au niveau phantasmatique, les défenses sociales de
l'individu contre l'anxiété psychotique risquent d'être
affaiblies. Il est fort possible que les résistances au changement social,
et en particulier au changement social imposé, soient dues aux effets
de ces changements sur les systèmes inconscients de défense des
individus contre l'anxiété psychotique.
Car c'est une chose pour l'individu de se réajuster à des changements
qu'il a lui-même contribués à amener; c'en est une toute
autre d'être requis de réajuster ses systèmes internes
de défense afin de se conformer à des changements provoqués
par quelque agent extérieur.
RÉSUME
ET CONCLUSIONS
Freud a soutenu que deux processus principaux agissent dans la formation
de ce qu'il appelle des groupes artificiels, comme l'armée et l'église
: l'identification par introjection, et le remplacement du moi idéal
par un objet. J'ai suggéré que ce dernier processus contenait
implicitement le concept formulé par Mélanie Klein, de l'identification
par projection.
Mélanie Klein, d'ailleurs, déclare explicitement que la base
des toutes premières relations d'un enfant en bas âge avec ses
objets réside dans l'interaction entre l'identification introjective
et l'identification projective. Le caractère de ces toutes premières
relations est déterminé par la façon dont le petit enfant
tente de traiter ses anxiétés paranoïdes et dépressives,
et par l'intensité de ces anxiétés.
Adoptant ces conceptions de Freud et de Mélanie Klein, mon opinion,
telle que je l'ai proposée, est que la défense contre l'anxiété paranoïde
et dépressive est l'une des principales forces dynamiques amenant les
individus dans des associations institutionnalisées; et réciproquement,
que toutes les institutions sont utilisées inconsciemment par leurs
membres comme mécanismes de défense contre ces anxiétés
psychotiques. Les individus peuvent déposer leurs conflits internes
dans des personnes du monde extérieur, suivre inconsciemment le cours
du conflit au moyen de l'identification projective, et réintégrer
enfin le cours et l'issue du conflit, perçu à l'extérieur,
au moyen de l'identification introjective. Les sociétés fournissent
des rôles institutionnalisés dont les tenants sont habilités
ou astreints à prendre en eux les objets ou les pulsions projetés
par d'autres membres. Les tenants de tels rôles peuvent absorber ces
objets et ces pulsions, c'est-à-dire, les prendre en eux-mêmes
et devenir le bon ou le mauvais objet avec les pulsions correspondantes ; ou
bien ils peuvent détourner ces objets et ces pulsions, c'est-à-dire
les placer dans une personne perçue extérieurement, alliée
ou ennemie, qui est alors aimée, ou bien attaquée. C'est dans
la coopération inconsciente avec d'autres membres de l'institution ou
du groupe utilisant des mécanismes similaires de projection, que réside
le gain, pour les individus, de cette projection d'objets et de pulsions, et
de cette introjection de leurs carrières dans le monde externe. L'identification
introjective assure alors davantage que le retour pur et simple des objets
et des pulsions projetés. L'individu prend en lui également les
autres membres, qui légitiment et renforcent les attaques contre les
persécuteurs internes, ou appuient l'idéalisation maniaque d'objets
aimés, renforçant de ce fait le refoulement de pulsions destructrices à leur égard.
La coopération inconsciente, au niveau phantasmatique, entre les membres
d'une institution, est structurée en termes de ce que nous appelons,
ici, la forme et le contenu social phantasmatique des institutions.
La forme et le contenu des institutions peuvent ainsi être considérés à deux
niveaux distincts. D'une part, celui de la forme et du contenu manifeste et
consciemment accepté ; ceci inclut la structure et la fonction : il
se peut qu'elles ne soient pas reconnues, elles sont néanmoins dans
le préconscient des membres de l'institution et peuvent donc être
identifiées de façon relativement aisée par une étude
consciente. D'autre part, le niveau de la forme et du contenu phantasmatiques
; ceux-ci, inconsciemment évités et niés, demeurent -
parce que totalement inconscients - non identifiés par les membres de
l'institution.
Une étude de cas a été présentée pour montrer
comment un organe institutionnel, un comité de membres de la direction
et de représentants élus des ouvriers a été utilisé au
niveau phantasmatique, à l'intérieur d'un département
d'une usine, pour isoler les relations d'hostilité, des bonnes relations
entretenues dans le travail quotidien de production de ce département.
Mais, lorsqu'une tâche de négociation sérieuse et consciente
fut confiée à ce comité, ses membres rencontrèrent
de grandes difficultés en raison du contenu phantasmatique, socialement
approuvé, de leurs relations mutuelles.
Quelques observations ont été faites sur la dynamique du changement
social. Le changement se produit là où les relations sociales
phantasmatiques à l'intérieur d'une institution ne servent plus à renforcer
les défenses individuelles contre l'anxiété psychotique.
L'institution peut être restructurée au niveau manifeste et phantasmatique;
ou bien seulement au niveau phantasmatique, la structure manifeste étant
maintenue. Les individus peuvent changer de rôles ou quitter tout à fait
l'institution ; ou bien encore le changement apparent, au niveau manifeste,
peut souvent cacher le fait qu'aucun changement réel n'a eu lieu, la
forme et le contenu social phantasmatique de l'institution n'ayant pas été touchés.
Le changement social imposé, qui ne tient pas compte de la façon
dont les individus utilisent les institutions pour faire face à leurs
anxiétés psychotiques inconscientes, a de fortes chances de se
heurter à des résistances.
En définitive, si les mécanismes qui viennent d'être décrits
ont quelque validité, deux conséquences au moins peuvent en découler.
En premier lieu, l'observation des processus sociaux peut fournir un moyen
d'étudier, comme à travers une glace grossissante, l'action des
anxiétés paranoïdes et dépressives et des défenses érigées
contre elles. A la différence de la situation psychanalytique, de telles
observations peuvent être faites, au même moment, par plus d'une
personne. En deuxième lieu, il est possible que cela permette de voir
plus clairement pourquoi le changement social est si difficile à réaliser
et pourquoi tant de problèmes sociaux sont si irréductibles.
En effet, du point de vue élaboré ici, les changements dans les
relations et dans les procédures sociales appellent une restructuration
des relations au niveau phantasmatique, ce qui exige en conséquence,
de la part des individus, l'acceptation ou la tolérance de changements
dans la structure actuelle de leurs défenses contre l'anxiété psychotique.
Un changement social effectif requiert probablement l'analyse des anxiétés
communes et des collusions inconscientes sous-jacentes aux défenses
sociales, qui déterminent les relations sociales phantasmatiques.
[1] Elliot JAQUES, « Social
System as a defence against Persecutory and Depressive Anxiety »,
pp. 478-498,
New Directions in Psychoanalysis, London, Tavistock Publ., 1955.
Trad. Fr.:
Psychologie
sociale: textes fondamentaux anglais et américains, réunis
par André Lévy, Dunod 1978, pp.546-565.
[2] « Le rôle
des mécanismes psychotiques dans le développement culturel » Int.
J. Psycho-Anal., vol. XII.
[3] W. R. Bion, Group dynamics,
a review,
New directions in Psychoanalysis, op. cit.
[4] E. JAQUES « The
changing culture of a factory » (Londres, Tavistock, 1951).
[5] Les vues de M. KLEIN évoquées
dans cet article sont développées dans ses deux livres, The psycho-analysis
of children (London, 1932), et Contributions to Psycho-analysis (London 1948),
et dans des articles publiés récemment dans
Developments
in Psycho-analysis (London, Tavistock). 1952.
[6] Op. cit., p. 8o : il
déclare « Un groupe primaire, c'est un certain nombre d'individus
qui ont adopté un seul et même objet comme idéal du moi
et se sont par conséquent identifiés les uns aux autres dans
leur moi ».
[7] Op. cit., p. 60.
[8] « Deuil et Mélancolie »,
collected papers, vol. IV (Londres, 1925).
[9] OP. cit., p. 110.
[10] Cf. « Notes
sur quelques mécanismes schizoïdes », p. 293, « J'ai
souvent exprimé mon opinion que les relations objectales existent depuis
le commencement de l'existence... J'ai suggéré, de plus, que
la relation au premier objet implique son introjection et sa projection, et
que, dès le début, les relations objectales sont structurées
par une interaction entre introjection et projection, entre les objets et les
situations internes et externes ». In
Dévelopments in Psycho-analysis,
op. cit.
[11] Cf. « Notes
sur quelques mécanismes schizoïdes », P. 301, « La projection
dans la mère de bons sentiments et de parties bonnes de lui-même
est essentielle pour la capacité du petit enfant à développer
de bonnes relations objectales et pour intégrer son moi. Cependant,
si ce processus projectif est mené à l'excès, l'enfant
ressent la perte de parties bonnes de sa personnalité, et en ce sens
la mère devient le moi-idéal ; il en résulte aussi un
affaiblissement et un appauvrissement du Moi. De tels processus s'étendent
très vite à d'autres gens, et le résultat peut être
une dépendance trop forte vis-à-vis des représentants
extérieurs de ses propres parties bonnes. » In
Developments
in Psycho-analysis, op. cit.
[12] Op. cit., P. 49.
[13] Cf. « Functions
of introjection and projection ", p. 129, « De telles absorptions et expulsions
constituent un jeu d'interactions entre l'organisme et le monde extérieur
; toutes les relations de sujet à objet reposent sur cette structure
primordiale, quelle que soit l'apparence complexe, élaborée,
de ces relations. (je crois que, en dernière analyse, nous pouvons le
trouver à la base de tous nos agissements compliqués les uns
avec les autres). La nature semble utiliser peu de modèles, mais elle
est inépuisable dans ses variations, in
Developments in Psycho-analysis,
op. cit.
[14] Nature and Functions
of Fantasy in
Developments in Psycho-analysis, op. cit.
[15] La nature des objets
projetés et introjectés (ex. fèces, pénis, seins),
le canal de l'introjection et de la projection (ex. anal, urétral, buccal),
et le mécanisme sensoriel de l'introjection et de la projection (kinesthésique,
visuel, auditif, etc. ... ) sont des variables d'une importance fondamentale
dans l'analyse des relations de groupe. Ici, cependant, je n'examinerai pas
du tout ces variables ; mais j'espère montrer dans des publications
ultérieures que leur introduction permet une explication systématique
des différences entre bien des types d'institutions.
[16] Cf. la description
de Freud de la redistribution de la libido dans le groupe. Op. cit., P. 43
[17] Notes préliminaires
sur certains mécanismes de défense dans des états paranoïdes
Int. Jour. PSYCh. (1952).
[18] Cf. (1945) « Le
complexe d'Œdipe à la lumière des anxiétés
du premier âge » Contributions to psycho-analysis et (1946) « Notes
sur certains mécanismes schizoïdes » in
Developments
in Psycho-analysis,
op. cit.
[19] Cf. La description
par Mélanie Klein de l'action des mécanismes de clivage dans
la situation dépressive (1934) « Une contribution à la psychogenèse
des états maniaco-dépressifs » in
Contributions
to Psycho-analysis, p. 329.
[20] « Le deuil
et ses relations avec les états maniaco-dépressifs » in
Contributions to Psycho-analysis, op. cit.
[21] Cf. Melanie Klein, « De
nombreux endeuillés ne peuvent faire que des pas lents vers le rétablissement
de leurs liens avec le monde extérieur, car ils luttent contre le chaos
qui est en eux », in
Contributions to Psycho-analysis, p. 329.
[22] Working-through
: expression intraduisible se référant au processus d'élucidation
progressive en psychanalyse; littéralement : « travail au travers
de » (N.d.T.).
[23] OP. cit., P. 328.
[24] W. R. Bion, Work
group or W. Group, in Group dynamics, a review,
New Directions
in Psychoanalysis,
op. cit.
[25] E. JAQUES, The changing
culture of a factory, London, Tavistock, 1951.
[26] Le matériel
de ce cas est un condensé du matériel beaucoup plus détaillé fourni
dans deux articles : E. JAQUES, Collaborative group methods in a wage negociation
situation, Ilum ROI, Vol 111, 1950 ; E. JAQUES, A. RICE, et E. TRIST, The social
and psychological Impact of a change in methods of wage payments, Hum. Rel.,
vol. II, 1951.
[27] Mélanie KLEIN
a montré comment les craintes et les suspicions paranoïdes sont
souvent utilisées comme défense contre l'état dépressif.
Cf. par exemple (1934) « The Psychogenesis of manic Depressive States » in
Contributions to Psycho-analysis, p. 295.
[28] Le processus de « Work
through est en partie décrit dans les articles auxquels nous nous sommes
référés plus haut, ainsi que la manière dont les
phénomènes de transfert furent maniés en situation de
groupe restreint. Une analyse du processus du « work through » sortirait
du cadre du présent article, et nous n'y faisons donc référence
qu'en paissant.
[29] Cf. « The
social and psychological impact of a change in method of wage payment »,
Human Relations (1951).