Ludwig Jekels et Edmund Bergler
Transfert et amour (Übertragung und Liebe)
Imago,
Internationale Zeitschrift für
psychoanalytische Psychologie, 1934, XX, n° 1.
[1]
« Les plus grandes difficultés
résident
là où nous ne les cherchons
pas. »
Goethe
I.
Le prodige de l'investissement d'objet
« La libido narcissique ou libido du moi nous parait
être le grand réservoir d'où sont déversés les
investissements d'objet et où ils sont à nouveau
rassemblés. L'investissement libidinal narcissique ou investissement du
moi, apparaît lui, comme l'état primitif réalisé dans
la première enfance, qui ne sera que recouvert par les décharges
ultérieures de la libido, et est au fond resté intact
derrière
celles-ci ».[2]
Voilà
un état de choses qui suscite vraiment une foule de questions. Car, le
fait que le moi se démette d'une partie de sa libido au profit d'un moi
étranger, qu'il s'en défasse, est tout autre chose qu'une
évidence qui rendrait superflue tout questionnement concernant les causes
; c'est bien plutôt un prodige, dont l'explication apparaît
hautement nécessaire. Pourquoi le moi fait-il ceci ? Quels motifs l'y
poussent ? En retire-t-il – comme on peut le concevoir – des
avantages et lesquels ?
D'après ce que nous savons, il n'y a qu'une
seule indication directe qui traite de cette énigme dans la
littérature analytique. Elle provient de Freud, qui, dans
« Pour introduire le Narcissisme » est d'avis que le moi a
recours à l'investissement d'objet afin d'éviter une stase plus
forte de la libido dans le moi qui pourrait être éprouvée
comme déplaisante. Il s'agit là d'une tentative d'explication
énergétique, dont on ne peut certes pas contester l'exactitude.
Notre recherche a pour fin d'aller plus loin, de déduire les motifs
psychologiques qui pourraient de quelque façon éclairer le prodige
de l'investissement d'objet, qu'on admet d'ordinaire avec tant d'évidence
et si peu d'exigence.
II. Le vouloir
être aimé
Tout d'abord un exemple clinique, déjà
évoqué par ailleurs
[3],
que nous reprenons ici en raison de sa plasticité.
Il s'agit du cas
d'une femme mariée d'environ quarante ans qui, lors de la dernière
consultation, fit à l'analyste un aveu très pénible. Cet
aveu touchait à sa moralité et portait durement atteinte à
sa personnalité. À cette séance, elle rapporte en
sanglotant au médecin : « Hier soir, j'avais le sentiment que
vous m'aviez abandonnée » et quelques minutes plus tard, elle
ajoute : « hier soir j'avais le sentiment de ne plus vous avoir
du tout, de ne plus savoir où vous êtes, de ne pas être assez
bien pour vous. »
Nous pensons que tout analyste
expérimenté connaît une abondance d’exemples
semblables et qu'il est donc superflu d'en citer d'autres. Il ne peut y avoir de
doute sur la façon de comprendre et d'interpréter ce comportement
de la patiente : l'angoisse a ici pour contenu le fait que la patiente
pourrait être abandonnée par son analyste, séparée de
son surmoi. Cette angoisse d'être séparé de son surmoi est
du reste très justement comprise dans la psychanalyse comme angoisse
d'une menace de perte d'amour. L'identification narcissique à l'analyste
sert sans aucun doute à prévenir également cette angoisse
de perte d'amour, comme l'a déjà souligné le co-auteur de
cet article dans son travail sur le
plagiat
[4]. À partir de
l'observation suivante : comme il est fréquent qu'un patient
répète presque mot pour mot les vues du médecin, sans aucun
souvenir de la source dont elles proviennent, le co-auteur interprète ce
plagiat inconscient dans l'analyse, cette identification, comme défense
contre l'angoisse, c'est-à-dire comme le fait de vouloir être
aimé, qui revient à la formule : « je suis comme toi, et
puisque tu t'aimes, il faut que tu m'aimes moi
aussi. »
L'au-delà de cette interprétation
(angoisse de la perte d'amour) est à prendre en considération.
Cette angoisse trouve presque toujours et sans équivoque son expression
dans la représentation d'une séparation spatiale. Il est à
peine besoin d'une observation plus précise pour le constater. Cet
état de fait mérite d'autant plus notre attention, que Freud, dans
Inhibition, Symptôme, Angoisse, définit l'angoisse comme
réaction à une perte, à une séparation. Mais selon
Freud, l'angoisse du nourrisson et du petit enfant n'en a pas moins pour unique
condition le manque de l'objet. Et, cet objet auquel s’adresse la demande,
dont l’absence provoque l'angoisse, est bien, d'après les
conceptions en vigueur, la mère aimée et désirée, ou
le substitut ce cette dernière. Et le manque d'elle doit certes
être éprouvé par l'enfant pour une raison économique,
c'est-à-dire à la suite de la montée des tensions issues du
besoin, parce que les intensités d'excitation ont atteint le stade du
déplaisir. Cette explication, dont la justesse est indubitable,
présuppose l'expérience qu'un objet extérieur, qu’on
peut saisir par la perception, puisse mettre fin à cette situation
dangereuse et menaçante ; alors, l'angoisse comme signal du danger,
concerne le manque de cet objet.
Cette tentative d'explication sommaire
(« expérience ») offre, selon nous, une structure.
Avant tout, nous nous proposons de prendre, en quelque sorte au ralenti, les
faits psychiques qualifiés plus haut d'expérience, et nous
espérons par un examen minutieux saisir la relation d'objet dans ses tous
débuts. Et là, nous arrivons déjà à la
conclusion, comme on doit pour le moment le communiquer ici de façon
péremptoire, que la séparation spatiale comme expression de
l'angoisse, provient, bien au-delà de la relation d'objet libidinale
à la mère, dans ce qu'elle a de plus profond, du sentiment de
menace porté à l'unité narcissique. Pour la
démonstration de cet état de choses, la circonstance suivante doit
nous servir de guide : d'après les conceptions dominantes en
psychanalyse, le sentiment de culpabilité et l'angoisse correspondent
à un
ne-pas-être-aimé-du-surmoi et respectivement,
à l'angoisse de la perte d'amour. Ce qui nous conduit directement au
problème de l'amour. Mais pour pouvoir éclairer ce
phénomène dans toute sa nature psychologique, il nous parait
indispensable de nous tourner d'abord vers le problème du
surmoi.
III. Le
développement du surmoi
Dans les changements de sens que le concept de surmoi a subi au cours
des temps, le cheminement du développement de la psychologie freudienne
des pulsions se reflète clairement. Car ce "niveau du moi" fut
découvert à une époque où la libido était le
seul facteur connu. Dans l'antithèse pulsionnelle d'alors (pulsions
sexuelles et pulsions du moi) elle seule était au premier plan parce que
les pulsions du moi ne pouvaient en aucune façon être
définies. À cette époque, on appelait cette
différenciation dans le moi,
idéal du moi mais sa nature
fut définie de la façon suivante : « lui, (l'être
humain), ne voulait pas se passer de la complétude narcissique de son
enfance, et quand il ne pouvait pas la retenir... il cherchait à la
regagner dans la nouvelle forme de l'idéal du moi »
(« Pour introduire le narcissisme »). Pourtant sept ans plus
tard, ce moi idéal est déjà conçu comme
« somme de toutes les limitations auxquelles le moi doit se
plier » (« Psychologie de masse et analyse du
moi »). Depuis le remplacement de cette fameuse opposition
pulsionnelle par l'antithèse Éros / Thanatos, et dans la mesure
où de manière générale la signification de
l'agression était de plus en plus reconnue, la conception du contenu et
du caractère de cette instance appelée dès lors
surmoi se déplaça au profit de l'agression, pour en arriver
à la conception exclusivement en valeur aujourd'hui : « par un
choix partial, le surmoi semble n'avoir retenu que la dureté et la
sévérité des parents, leur fonction d'interdit et de
punition, tandis que leur sollicitude pleine d'amour n'est ni admise ni
retenue » (
Nouvelle suite des conférences). Au
demeurant, ce surmoi conservait cependant le caractère ou la fonction du
moi idéal antérieur : « il est aussi le support de
l'idéal du moi, auquel le moi se mesure, auquel il aspire, dont il
s'efforce de satisfaire l'exigence de perfection toujours plus poussée.
Sans aucun doute, cet idéal du moi est le résidu de l'ancienne
représentation parentale, l'expression de l'admiration à
l'égard de cette fameuse perfection, que l'enfant leur conférait
en ce temps là » (
Nouvelles suite des
conférences).
Malgré ces indications claires, on peut
constater en parcourant la littérature analytique, qu'il règne une
certaine confusion en ce domaine. Et nous ne sommes pas les seuls à en
avoir l'impression. Ainsi Nunberg écrit par exemple : « si en
outre l'idéal du moi doit être considéré comme une
reproduction dans le moi des objets aimés, et le surmoi comme celle des
objets haïs et craints, comment se fait-il que ces deux concepts aient
été confondus, et qu'on utilise l'un pour l'autre
? »
[5]Pour ce qui en
est de la lutte entre Éros et Thanatos, nous sommes d'avis que le point
de vue que nous allons exposer ici éclairera et précisera la
conception indubitablement juste de Freud touchant spécifiquement au
surmoi. Nous nous attacherons à l'étude détaillée
des relations spécifiques entre le surmoi et l'idéal du moi. Nous
concevons, en effet, l'idéal du moi un peu comme une « zone
neutre » située entre deux pays voisins. Nous pensons en outre
que, tout comme en temps de guerre, tous les efforts des deux parties
belligérantes portent avant tout sur l'occupation de ce bout de terrain
encore indifférencié, de la même manière ici la
possession de l'idéal du moi est le but et l'objet fondamentalement
propres à la lutte toujours oscillante entre les deux grands ennemis,
Éros et Thanatos. Cette conception du caractère neutre en soi de
l'idéal du moi est bien le résultat de la réflexion qui va
suivre sur le développement de l'idéal du moi.
D'après
nous, ce développement est très progressif et passe par toute une
série d'étapes préliminaires. Mais nous croyons que les
deux pulsions fondamentales sont à l'œuvre à chaque stade de
ce développement. Et, sous cet angle, en schématisant à
l'excès, on peut parler avec raison de deux racines dans la formation de
l'idéal du moi. L'une d'elles consiste en la tentative du moi de faire
dériver sur des objets l'agression de la pulsion de mort dirigée
contre le moi ; ce faisant, ces objets deviennent effrayants : il s'agit donc
d'une substitution à un danger intérieur d'un danger
projeté à l'extérieur. C'est une tentative
ratée.
Lorsque la pulsion de destruction prend le dessus,
Éros la contrecarre en admettant ces objets source d'angoisse dans le
moi, où ils deviennent éléments du narcissisme
propre.
Il faudrait considérer comme deuxième racine le
processus suivant : le sentiment de toute puissance de l'enfant est fortement
ébranlé par les rappels à l'ordre du réel, tels que
les intervalles entre deux tétées, l'éducation à la
propreté etc., en un mot l'exigence du monde extérieur.
Après une série de tentatives échouées de
restitution, l'enfant se trouve devant l'alternative suivante : ou bien renoncer
à son sentiment de toute puissance, ou bien le conserver, même au
prix d'un compromis. Un tel compromis se rencontre dans le processus
décrit par Freud comme suit : « Nous pouvons dire que celui-ci
a érigé en lui un idéal... C'est à ce moi
idéal que s'adresse maintenant l'amour de soi, dont jouissait le moi
véritable dans l'enfance. Le narcissisme apparaît
déplacé sur ce moi nouveau et idéal, qui se trouve, comme
le moi infantile, en possession de toutes les perfections valorisées.
Comme toujours dans le domaine de la libido, l'être humain s'est
montré ici incapable de renoncer à la satisfaction qu'il a
éprouvé une fois. Il ne peut pas se passer de la complétude
narcissique de son enfance, et quand il n'a pas pu la conserver,
dérangé par les mises en gardes qui lui étaient faites
durant sa période de développement, et son jugement s'étant
éveillé, il cherche à la regagner sous la nouvelle forme de
l'idéal du moi » (« Pour introduire le
Narcissisme », G.S Tome VI, p.178).
Si Éros
réussissait cette défense vis à vis de Thanatos par
l'instauration de l'idéal du moi, celui-ci serait exclusivement lieu
d'amour, ce qu'il n'est pas en fait. Car Thanatos ne se donne pas pour battu, il
ébrèche au contraire l'arme qu'Éros s'était
forgée. La formation de l'idéal repose, on le sait, sur des
identifications, qui commencent très tôt. On peut les constater
à tous les degrés de l'organisation de l'individu. Mais nous
savons maintenant suffisamment, que parallèlement à chaque
identification, advient une désexualisation.
Le problème de
la désexualisation, qui doit donc être ainsi compris comme
l'œuvre de Thanatos, est un domaine de la psychanalyse peu exploré
jusqu'à présent. Qu’il nous soit permis de combler ce
manque. Le concept de désexualisation est le plus souvent mis totalement
sur le même plan que celui de sublimation. À tort, selon nous. Car
la désexualisation est le concept global et la sublimation n'est qu'un
cas particulier de désexualisation. Nous nous représentons
celle-ci en revanche comme un processus continu, qui suit la libido comme son
ombre, c'est-à-dire qui se déroule à toutes les
étapes de son développement. Sous l'influence de la pulsion de
destruction, le moi s'efforce déjà dès le stade
prégénital, de libérer les fonctions orales, anales et
urétrales de leur composante sexuelle et de les transformer en pures
fonctions du moi - prise de nourriture, élimination des déchets
corporels du système intestinal et urinaire. À ce stade, il n'y
arrive qu'avec un succès limité, comme nous le savons,
succès, qui au stade phallique - génital fera totalement
défaut au moi. Ce qui paraît compréhensible, si nous nous
rappelons que le stade génital ne possède pas de fonction du moi,
mais ne sert que la fonction sexuelle. Ainsi la désexualisation
équivaudrait, somme toute, à une extinction de la sexualité
- comme le démontre à l'évidence la phase de latence, dans
laquelle elle a réellement lieu – elle serait une façon de
jeter l'enfant avec l'eau du bain.
On le sait, la névrose conduit au
résultat opposé ; son résultat consiste justement dans la
sexualisation des fonctions du moi. Mais en ce qui concerne la phase phallique -
génitale, la sexualisation, qui se produit normalement après
l'achèvement de la période de latence, est du fait du processus
névrotique, soumise a une désexualisation nouvelle (impuissance,
frigidité).
Le moi ne peut enregistrer un plein succès de ses
efforts à désexualiser qu'après la destruction du complexe
d'Œdipe. Et ceci pour la raison précédemment citée :
parce que la désexualisation concerne ici l'organe originellement propre
à la sexualité, qui lui sert exclusivement. Mais aussi
peut-être parce qu'après tant de tentatives ratées, un
relâchement à la fois momentané et résigné des
essais pour satisfaire directement la libido, devrait pouvoir se
produire.
Toutes les explications précédentes, et en
particulier l'indication sur la genèse de l'idéal du moi, le fait
qu'il provient du processus d'identification et de la désexualisation qui
lui est liée, devraient servir de supports à notre conception de
l'idéal du moi comme zone neutre. Mais ce faisant nous nous apercevrons,
que tant par cette affirmation, que par l'argumentation que nous avons
menée pour en faire la preuve, nous nous trouvons visiblement à
proximité immédiate d'un problème déjà
posé par Freud ; comme nous allons le voir tout de suite, il nous semble
qu'il faille lui accorder une signification plus générale et plus
importante.
Nous avons là en vue ce fameux passage dans
« Le Moi et le ça », si souvent débattu et
maintes fois commenté, qui fait suite à l'hypothétique
tentative d'expliquer la transformation directe d'affects en leur contraire
objectif, transformation indépendante du comportement de l'objet. Ainsi
l'amour devient haine, comme dans les cas de paranoïa de
persécution, ou la haine devient amour, comme on le constate dans de
nombreux cas d'homosexualité, où une rivalité hostile a,
à l'origine, précédé l'amour. Freud est d'avis
qu'une semblable transformation directe des affects remet fortement en question
la différenciation entre les deux types de pulsion, voire même la
renverse, puisque cette différenciation repose sur l'hypothèse de
« processus physiologiques fonctionnant de manière
opposée ». On pourrait toutefois expliquer autrement ce
phénomène de la transformation de l’affect sans contredire
pour autant la théorie des deux sortes de pulsion et y porter aucunement
atteinte. Et ce, à condition d'admettre l'idée qu'un motif
purement économique est à la base de cette transformation
d'affects dont la cause exclusive est la considération des
possibilités de décharge les plus avantageuses. Cette tentative
d'explication ne repose bien sûr pas sur une preuve, nous dit toujours
Freud, mais sur une pure hypothèse : « c'est comme s'il y
avait dans la vie psychique - on ne sait encore si c’est dans le moi ou le
ça - une énergie déplaçable,
indifférenciée en soi, mais qui peut s'ajouter à une motion
érotique ou à une motion destructrice qualitativement
différenciée et augmenter l'investissement global de celle-ci.
Nous ne nous en sortons pas sans admettre l'hypothèse de cette
énergie déplaçable. Il s'agit seulement de savoir,
d'où elle provient, à qui elle appartient, et ce qu'elle
signifie. »
Voilà ce que dit Freud. Mais nous croyons
pouvoir considérablement étayer son hypothèse et lui donner
valeur de démonstration. Il nous faut alors partir de nos explications
précédentes et insister précisément sur
l'idéal du moi comme représentant cette énergie
indifférenciée déplaçable que Freud a
postulée. On nous contredira d'autant moins que ces
caractéristiques prises en considération par Freud au sujet de
cette énergie indifférenciée (issue de la réserve de
libido narcissique et d’Éros désexualisé) sont en
toute certitude propres à l'idéal du moi.
Ne nous dissimulons
pas cependant, qu'il y a ici visiblement une contradiction ; car narcissisme et
indifférenciation ne sont pas simples à associer. Cette
contradiction perd toutefois beaucoup de sa force, lorsqu'on sait que cet
Éros a subi une désexualisation. Ce qu'il en reste après,
n'est plus que l'ombre de lui-même. On pourrait plutôt dire que
quelque chose de la pulsion de mort est collé à lui, puisque la
désexualisation est déjà une œuvre de Thanatos. En
outre les personnes introjectées étaient effrayantes
jusqu'à l'intervention d'Éros qui du reste, a fortement
atténué ce caractère effrayant. Au bout du compte cet
idéal du moi se présente comme une institution non homogène
et par-là tout à fait imparfaite ; un alliage pas vraiment
réussi de deux substances qui ne sont pas de même valeur. L'une est
le narcissisme primaire, extrêmement résistant, pratiquement
invincible ; l'autre les imagos des personnes introjectées ; on ne peut
de loin leur accorder la même faculté de
résistance.
Quoi d'étonnant, étant donné cette
constitution de l'idéal du moi que ces deux sortes de pulsions se rendent
tour à tour aisément maîtresse de cette énergie, qui
devient ainsi, tantôt la proie de l'une, tantôt celle de l'autre,
selon l'excédent, et porte alors les couleurs du vainqueur du moment - on
pense involontairement au noir et au rouge -. Comme les héros
d'Homère, qui dans l'Hadès s'éveillent à une
nouvelle vie, après avoir bu du sang, cette ombre, Éros
désexualisé, peut aussi être ranimée par l'apport de
l'énergie d'une des deux pulsions.
Ce jeu alterné des
pulsions nous permet de comprendre que, d'après Freud, le surmoi est
à double face, ce qu'il a caractérisé par les deux formules
: « tu dois » et « tu ne peux pas te permettre
de ». Comme on le voit, les deux courants sont différents sur
le plan pulsionnel, psychologique et génétique. Le « tu
dois » correspond à l’idéal du moi, dont nous
venons d'esquisser le portrait. Le « tu ne peux pas te permettre
de » est autre. Il doit sa genèse à l'agression de
Thanatos dirigée contre le moi ; celui-ci s'efforce à tout prix de
la décharger sur des objets, afin de ne pas être lui-même la
proie de son annihilation. Mais cette décharge ne peut réussir que
partiellement, déjà à cause de l'impuissance de l'enfant
qui ne peut convertir en actes aucune agression fondamentale.
L'incompatibilité de l'auto-agression et de la position narcissique du
moi entraîne une projection de l'agression vers l'extérieur qui est
alors ressentie comme une menace venant de l'extérieur. Toutefois, ces
personnes ressenties à l'origine comme menaçantes sont admises par
la suite dans l'idéal du moi comme on l'a déjà
mentionné. En conséquence, ceci modifie fondamentalement
l'appréciation de leur caractère menaçant. Elles sont bien
devenues élément du narcissisme et l'agression du moi qui
s'adresse à elles, doit nécessairement être diminuée
et atténuée, étant donné qu'en un certain sens elle
serait alors auto-agression. Il s'ensuit une stase de l'agression, ce qui
entraîne le danger qu'elle se retourne contre le moi, danger
signalé par l'angoisse.
Cette déviation du deuxième
contenu du surmoi où l'accent semble mis sur la tendance à
augmenter la force de la pulsion de mort et où par contre sa
détermination par l'objet et son lien à celui-ci sont
conçus comme très lâches, cette déviation est
essentiellement renforcée par un certain état de choses, dont
l'évidence a déjà été soulignée
à plusieurs reprises. La sévérité du surmoi provient
relativement rarement de la sévérité des parents telle
qu'elle a été vécue dans la réalité. On
constate plutôt la plupart du temps une disproportion, souvent même
une opposition entre les deux. Car, ce qui est décisif, nous semble
être ici la présence d'une assez grande énergie pulsionnelle
affluant du ça entravée dans sa décharge sur des objets.
Cette agression de la pulsion de mort, en dernier lieu dirigée contre le
moi, est reflétée dans la mythologie et les religions de
l'Antiquité par l'image du démon et nous l'utiliserons ici pour la
désigner, par commodité de langage. Donc, nous entendons par
démon l'aspect angoissant, le : « tu ne peux pas te permettre
de » du
surmoi.
L'hétérogénéité de
l'idéal du moi facilite extraordinairement les desseins du démon.
Elle permet avant tout au démon de se servir tout d'abord de
l'idéal du moi et de son énergie indifférenciée
comme d'un modèle muet toujours présenté au moi
intimidé, qui devient ainsi la source de sentiments de
culpabilité. Il s'ensuit que les personnes admises dans l'idéal du
moi s'avèrent des alliés peu sûrs du moi. Elles attaquent
pour ainsi dire le moi par derrière et deviennent indirectement des
suppôts de Thanatos. Et ce, déjà par le simple fait qu'elles
atténuent l'agression du moi et sont elles-mêmes remplies de
contradictions. Ce qui est manifestement un écho de
l'inconséquence de toute éducation C'est grâce à cela
que le démon peut poser au moi les conditions les plus opposées,
donc totalement irréalisables. D'une part, il est contre tout
investissement d'objet, parce que cette décharge d'agression soulage le
moi ; d'autre part, le démon pousse le moi à investir l'objet en
lui présentant sans cesse le modèle muet de l'idéal du moi,
modèle qui est, lui aussi, un résidu d'objets. Enfin le
démon se tourne contre le narcissisme qui se suffit à
lui-même en tant qu'expression d'Éros.
En utilisant
l'idéal du moi à ses fins, le démon mobilise Éros
contre... Éros, le bat pour ainsi dire de ses propres armes et
anéantit ainsi les desseins qu'Éros poursuivait lors de
l'instauration de l'idéal du moi.
Il n'est cependant pas question
d'une défaite définitive d'Éros qui s'efforce
inlassablement d'intercepter les poussées de Thanatos, de les
contrecarrer et de faire sortir l'idéal du moi de son
indifférenciation. L'agression dirigée contre le moi - aux tous
débuts sans aucune relation aux objets du monde extérieur - est,
au moyen de la projection ressentie comme venant du monde extérieur, afin
d'épargner le narcissisme menacé. Car, même le besoin de
punition
[6] peut être
conçu comme une prévention et il en faut rechercher la cause dans
la tendance à l'intégrité narcissique. Peut-être
est-ce là le véritable sens de la conception nietzschéenne
du sentiment de culpabilité : volonté de puissance contre sa
propre impuissance.
Mais tandis que ces processus représentent de
simples mesures de protection ou de défense d'Éros,
l'éventualité d'un triomphe total ne lui est ménagée
que lorsqu'il parvient à érotiser la punition, à en faire
une source de plaisir masochiste
[7].
Le masochisme est bien un triomphe d'Éros, mais certes pas un triomphe
isolé. Car comme le co-auteur de cet article l’a montré dans
un travail antérieur sur le sentiment de
culpabilité
[8], ce dernier
n'est pas seulement une conséquence, mais aussi une impulsion
nécessaire à de nouveaux desseins d'Éros dans son combat
contre la pulsion de mort, de sorte qu'il parvient non seulement à
maîtriser l'agression, mais encore à s'en servir pour arriver
à ses fins.
Mais même face à l'attaque, le moi
harcelé ne recule pas dans cette lutte défensive et
désespérée qui est la sienne. Il ne manque probablement pas
d'expressions de cette tactique défensive du moi qu'on représente
habituellement comme par trop massif dans ce combat - qu'on pense ici au mot
d'esprit, à la
comédie
[9], à l'humour -
comme un travail de l'auteur en préparation tentera de la montrer - et
last not least, à la manie. Par essence, ce ne sont rien d'autre
que des irruptions de l'agression du moi contre l'idéal du moi, plus ou
voilées, voire même sursignifiées comme la manie. Mais par
leur sens, elles représentent des tentatives visant à arracher au
démon l'outil avec lequel il torture le moi. Ici l'agression est
mobilisée par le moi narcissique contre l'agression du démon. Il
faut que le démon soit battu avec ses propres armes. L'agression semble
ici mise au service d'Éros, et être la totale contrepartie à
l'utilisation de l'idéal du moi par le démon. Là,
Éros contre Éros, ici Thanatos contre Thanatos - quel total
règlement de compte !
IV. Amour et sentiment
de culpabilité
L'amour est à vrai dire un problème psychologique non
résolu jusqu'à ce jour et ceci malgré bien des efforts de
longue date comme en témoignent d'innombrables recherches, études
et essais. Mais pour arriver à un point de vue sur la question, il
n’est même pas nécessaire de partager le pessimisme de
Schopenhauer qui écrit dans sa
Métaphysique de l'Amour
:
« On devrait... s'étonner qu'une chose qui joue un
rôle si important tout au long de la vie de l'homme soit tenue pour
quantité négligeable par les philosophes et reste un
matériau brut. Celui qui s'y est encore le plus attaché est Platon
surtout dans
Le Banquet et le
Phèdre, mais ce qu'il en
avance reste dans le domaine des mythes, des fables et des plaisanteries et
concerne surtout l'amour des éphèbes. Le peu que dit Rousseau de
notre thème dans son "Discours sur l'Inégalité", est faux
et insuffisant. La façon dont Kant traite du sujet dans le
troisième chapitre de son "Traité sur le Sentiment du Beau et du
Sublime", est incompétent et très superficiel, donc en partie
également inexact. »
Mais donnons la parole à un
auteur moderne, étranger à la psychanalyse, Monsieur
Rosenthal : « Découvrir les courants spirituels qui
s'étendent en partie sous la surface et ont déterminé le
cours du développement de l'amour physique des origines à la
conception idéale, moderne, est une tâche difficile, jusqu'à
présent non accomplie » (« L'Amour, sa Nature et sa
Valeur »).
En psychanalyse, c'est toujours à Freud qu'il
revient d'être allé le plus loin dans l'élucidation la plus
large et la plus globale de ce problème. Nous empruntons à sa
publication, « Pulsions et Destins des Pulsions », la
conception qui veut que les relations du moi aux objets, sous-tendues par la
libido prégénitale, soient tout au plus les étapes
précédant l'amour, mais en aucun cas déjà de
l'amour. Ceci ne vaut pas seulement, toujours selon Freud, pour les relations
d'objets de la phase orale, mais avant tout et dans une forte mesure pour celles
de la phase sadique anale, qu'on doit à peine distinguer de la haine. Par
contre, on pourrait parler d'amour, seulement quand la relation du moi global
aux objets puise dans l'organisation génitale de la libido, quand
celle-là est déjà constituée. L'amour est
indissolublement lié à l'organisation génitale, est
déterminé par elle, et devient alors, toujours selon Freud, le
contraire de la haine.
Voici des découvertes non seulement
certaines, mais pratiquement inébranlables ; on peut leur accorder
aujourd'hui valeur d'axiomes analytiques. Un doute peut simplement naître
quant au caractère exhaustif de cette explication. Il peut reposer
très facilement, d'une part, sur le fait qu'à l'époque de
cet essai ces deux conceptions - peut-être les plus grandes de Freud -
n'étaient pas encore élaborées, sa théorie des deux
forces qui gouvernent le psychisme - Éros et Thanatos -. Mais,
d’autre part, la structuration métapsychologique de la
personnalité n'était pas encore connue.
En parlant du surmoi,
nous avons esquissé la lutte des deux pulsions originaires. Nous pensons
que l'amour est lui aussi l'expression de cette lutte. Car, là aussi, il
s'agit de désarmer le démon en lui arrachant son instrument de
torture, l'idéal du moi - et en associant à la tendance
érotique l'énergie indifférenciée de l'idéal
du moi. De là, la similitude souvent frappante entre l'amour à sa
phase aiguë et l'exaltation du maniaque, ainsi que leur parenté
métapsychologique indubitable. Si ce n'est que dans l'amour, une autre
méthode est employée pour désarmer le démon, car, si
dans la manie l'arme a été arrachée au démon au
moyen de l'agression, dans l'amour il perd son pouvoir par le fait que
l'idéal du moi est projeté sur l’objet. Car cette situation
représente l’état idéal toujours
désiré, où aucune tension n'existe plus entre le moi et
l'idéal du moi. Admettons pour l'instant que, selon notre point de vue,
la quête de l'amour ait pour condition
sine qua non un
excédent de tension entre le moi et l'idéal du moi. Pour le moi,
l'amour a sens et valeur de preuve « irréfutable » de
la non existence de cet état de tension insupportable entre le moi et
l'idéal du moi. Aussi bien pourrait-on concevoir l'amour comme une
tentative de désaveu, du reste réussie, par opposition à la
manie. Inutile de souligner que là où il n'existe pas de tension
notable, pour ainsi dire en état normal, ce mécanisme de
désaveu n'a pas besoin d'être mis en marche.
Tout d'abord le
désarmement du démon, aussi bien que la grande satisfaction
narcissique éprouvée quand on a la preuve d'être aimé
par son idéal du moi, sont les sources de l'ivresse maniaque de l'amour,
de la « folie amoureuse », de la
« frénésie amoureuse » (« Folie
amoureuse ! Pléonasme ! L’amour est déjà
folie » - Heine).
Cette projection de l'idéal du moi sur
l'objet qui a lieu sous la pression du démon, provient d'une tendance du
moi à renouveler l'idéal du moi à partir de la perception
endopsychique, que l'idéal du moi, tel qu'il était jusqu'à
présent, s'était montré trop faible face à
l'agression du démon et que sa protection a été ressentie
comme insuffisante. Cette projection « investissement de l'objet
accompagné de libido » tente avant tout d'établir une
analogie entre l'objet et l'idéal du moi, telle qu'on éprouve le
besoin de la fantasmer dans sa détresse et donc telle qu'on la
souhaite.
Comme deuxième acte, pour ainsi dire, une reprise
partielle de l'idéal du moi projeté suit cette projection, une
réintrojection dans le moi, ce qui dit implicitement que l'objet a
été investi de libido narcissique. Cette réintrojection
représente, par rapport au premier acte de la projection,
l'élément déterminant le plus définitif du processus
amoureux ; il est l'essentiel de l'amour. On ne peut parler d'amour que
là où une réintrojection a eu
lieu.
Résumons-nous. Dans l'amour, l'idéal du moi est
projeté sur l'objet, puis « renforcé »,
réintrojecté, ce qui désarme le démon. La
conséquence en est la prépondérance d’Éros qui
a aussi attiré à lui l'énergie indifférenciée
de l'idéal du moi. Il s'ensuit le phénomène si souvent
observé qui caractérise tout amour : celui-ci est à cent
lieues de toute considération logique ou rationnelle. De là cette
surestimation extravagante de l'objet d'amour qui fait penser à la folie.
Derrière l'objet aimé se trouve à vrai dire le moi propre,
plongé dans les délices de l'ivresse maniaque d'être
aimé. Le moi qui a trouvé l'objet digne de représenter dans
la réalité ce qu'il a de plus précieux sur terre : son
idéal du moi.
Notre conception revient à dire en dernier lieu
que l'amour représente une tentative pour restaurer l'unité
narcissique et l'intégrité de la personnalité que le moi
ressent comme menacée. Et certes durement menacée par 1e
démon, autrement dit le sentiment de culpabilité, qui
représente en effet une lourde atteinte à l'unité
narcissique.
L'amour serait-il donc la conséquence du sentiment de
culpabilité, nous entendons-nous objecter par le lecteur
étonné ? Cette affirmation qui est la nôtre peut
paraître étrange mais nous la maintenons dans sa totalité,
et croyons aussi pouvoir la démontrer à la lumière du
phénomène du transfert. Soulignons déjà ici la
caractéristique la plus frappante qui le différencie de l'amour.
Nous sommes certains d'avoir l'approbation de tout analyste puisant dans le
corpus de sa pratique lorsque nous soulignons les manifestations suivantes du
transfert qui, selon nous, le caractérise de manière
particulièrement frappante :
1°) Sa survenue inévitable,
que le choix de l'objet se fasse ou non de la façon la plus arbitraire,
qu'il y ait ou non complète incohérence dans ce choix ; ceci se
manifeste par un mépris total pour l'âge, le sexe et par une
indifférence pour la présence ou l'absence de toute qualité
personnelle ;
2°) Le deuxième aspect frappant du transfert
c'est son anticipation, dont l'impétuosité et le rythme, quoique
dissimulés, se trahissent cependant fréquemment dans certains cas,
où le transfert se met déjà en place, dans la salle
d'attente, avant même que le patient n’ait vu le
médecin.
À présent, il importe simplement d'opposer
à ces manifestations du transfert les manifestations correspondantes de
l'amour, afin de mettre à jour la grande différence
phénoménologique entre les deux. Face à l'absence de choix
et à l'aspect inévitable de la survenue du transfert, ayons en
mémoire, en comparaison, avec cruelle intensité et quelle rigueur
l'amour est lié à certaines conditions, combien l'amour naissant
est susceptible et instable lorsque ces conditions ne sont pas remplies, si ce
n'est entièrement, du moins en partie. C'est en raison de cette
détermination et à la suite de la vérification de ces
conditions, qu'on ne peut parler d'un caractère précipité
et irréfléchi de l'amour, excepté pour les cas de coup de
foudre qui doivent bien trouver une toute autre explication.
Cette
différence phénoménologique recouvre certes amplement la
différence psychologique. Dans ce cas, peut-il encore subsister un doute
sur ce que signifient au fond ces caractéristiques du transfert que sont
l'aspect inévitable de sa survenue en toutes circonstances, pour ainsi
dire, et pour tous les cas, ainsi que son impétuosité. Ne voit-on
pas ici des caractéristiques évidentes d'un « quoi qu'il
en coûte », expression qui montre que le transfert est un acte
de désespoir issu d'un état de panique. Et cet acte est bel et
bien issu, comme chez l'amoureux, de cette connaissance intuitive de la
puissance de l'amour, elle qui protège contre le démon. Mais
quelle différence ! Car tel le combattant avisé, l'amoureux
s'entend à arracher l'arme de l'idéal de moi au démon,
à l'ennemi, dès la première rencontre, avant même que
l'ennemi ait pu totalement s'en rendre maître. D'où le triomphe sur
toute la ligne.
Considérons l'opposition que l'on ne peut trouver
que grotesque ; d'un côté le névrosé, qui,
plongé dans une attitude totalement passive, incapable d'initiative, ne
peut guère faire plus que de passer des années de divan dans les
« limbes » de la névrose de transfert. De l'autre
côté, par contre, l'amoureux armé de pied en cap de son
activité et de son initiative grâce à la projection de
l'idéal du moi, va à la conquête de l'objet qui doit
réaliser cet idéal du moi ; pensons à ses efforts
inlassables pour transformer cet objet, dans le sens du fantasme mis en souhait,
aussi bien que pour arracher de haute lutte à la réalité le
plus de choses possibles, le plus de choses favorables, pour cet idéal du
moi apparemment réalisé. Nous savons bien que non seulement la
foi, mais aussi l'amour, peuvent déplacer des montagnes. Ce qui nous
donne le droit de qualifier l'amoureux de combattant assuré de sa
victoire.
Tout se passe autrement pour le névrosé qui est
dépouillé d'emblée de ses armes, donc battu. Après
avoir connu l'épreuve de ces compromis malheureux que sont les
symptômes, il va, tel un
desperado, tenter la même
stratégie contre le démon. Car chez lui le démon s'est
depuis longtemps emparé de l'énergie indifférenciée,
au sens freudien du terme - c'est-à-dire de l'idéal du moi -; il a
ainsi augmenté son emprise et est devenu maître de la
situation.
La différence entre le transfert et l'amour
découlerait-elle seulement de la quantité de sentiment de
culpabilité ? Certes cette différence est très
considérable, si grande qu'elle décide même de la
méthode de défense qui, comme nous l'avons montré, est
différente dans les deux cas. Pour l'observation psychanalytique, cette
différence décisive saute déjà aux yeux, à
savoir : dans l'amour, seul l'idéal du moi est projeté sur
l'objet, dans le transfert par contre, tout le surmoi, donc par
conséquent l'idéal du moi et le démon y sont
également projetés. En d’autres termes : l'amour de
transfert se différencie de façon radicale de l'amour en ceci que
l'objet du transfert n'est pas seulement objet d'amour, mais qu'il est
également et peut-être dans une plus grande mesure, objet
d'angoisse. Car : « ... il n'y a pas de crainte dans l'amour,
mais l'amour jette dehors la crainte, car la crainte est une entrave »
(Évangile 1, Jean 4.18).
Ici nous allons faire place à
l'hypothèse suivante : alors que l'idéal du moi -
vraisemblablement grâce à la plasticité et à
l'élasticité des pulsions érotiques - est capable d'une
décharge projective totale, le démon, par opposition, ne peut
être semble-t-il que partiellement projeté . Semblent parler en
faveur de cette hypothèse les reproches, complètement
indépendants du comportement de l'analyste, les dépressions
fréquentes auxquelles les patients succombent longtemps après que
la projection se soit accomplie.
Mais revenons à l'amour. Nous
croyons entendre ici l'objection du lecteur : manifestement, il y a de la part
des auteurs soit négligence, soit inattention, soit même
déplacement
[10] intentionnel
du sujet, car chaque fois qu'ils partaient en campagne pour élucider le
problème de ce qu'est aimer, leurs explications se perdaient sans cesse
dans ce qu’est être aimé. Eh bien, il n’y a rien de
tout cela. La réalité, relatée avec exactitude, est que,
chaque fois qu'on aime, c'est au fond déjà être aimé,
c'est qu'en dernière instance, il n'y a absolument rien d'autre qu'un
vouloir-être-aimé. Et il dépend simplement du
mécanisme mis en jeu lors du soi-disant aimer pour que ce sens profond
qui est le sien, interprété par nous comme un
vouloir-être-aimé, vienne à jour d'une façon
ou d'une autre, ou alors reste complètement voilé.
Ici, on se
trouve en effet face à l'alternative suivante : ou bien l'objet
apparaît mis à la place de l'idéal du moi vis-à-vis
duquel le sujet, l'aimant, est mis en place en tant que moi, ou bien, c'est le
fait inverse qui l'emporte ; c'est-à-dire que c'est l'aimant qui se met
lui-même à la place de son idéal du moi et réduit
l'objet au moi.
Dans le processus psychique d'aimer, ces deux
mécanismes trouvent une correspondance tout à fait évidente
dans les modes d'apparition de l'amour, dans la mesure où nous nous
limitons aux extrémités opposées de cette longue
échelle aux graduations multiples par laquelle il se manifeste : car,
d'un côté, on connaît un type de sujet aimant qui,
élevant ses regards vers l'objet, se trouve dans une position
d'infériorité visible par rapport à lui, réclamant
avec insistance les soins attentifs de l'objet, et en jouissant, tout cela
allié à une exigence nettement prononcée d'amour
réciproque, de ce « être également –
aimé ». L'autre extrémité est
représentée par le type de sujet aimant qui se complait dans une
attitude totalement opposée, dont le souci principal s'oriente vers les
rôles de protecteur, de tuteur, de soutien et de donateur et pour lequel
il semble qu'une réponse à son amour, que ce
vouloir-être-également-aimé soit d'un poids
infiniment pus faible.
On peut caractériser à juste titre les
deux variantes que nous venons d'exprimer en dénommant la première
comme amour féminin, la seconde comme amour masculin. Ces
caractéristiques proposées reposent cependant seulement sur une
impression, de loin prépondérante il est vrai, sans que nous
allions jusqu'à affirmer qu'il y ait une coïncidence constante et
non exceptionnelle de ces formes d'amour et du sexe
concerné
[11].
Il nous
semble alors superflu de souligner que la différence psychologique entre
les deux types d'amour n'infirme nullement le fait que l'amour a pour
finalité de désarmer le démon. Simplement, dans ces deux
cas, la méthode seule diffère. Car là où le mode
viril d'aimer s'arroge les attributs de l'idéal du moi pour faire
disparaître ainsi toute tension entre l'idéal du moi et le moi, en
revanche le mode d'aimer féminin atteint ce but par l'illusion qu'il
pense satisfaire l'idéal du moi, étant donné qu'il serait
aimé de lui.
Nous voyons une preuve supplémentaire de
l’importance de la pertinence de notre explication du processus amoureux
en ceci qu'elle peut résoudre une contradiction dans la question du
narcissisme. Alors que Freud, en effet, dans « Pour introduire le
Narcissisme », a posé le
vouloir-être-aimé
comme l'essence du narcissisme dans sa relation à l'objet, il affirme
exactement le contraire dans « Les types libidinaux », le
vouloir-aimer actif étant selon lui révélateur du
type narcissique. Les deux types étudiés par Freud nous semblent
correspondre tout à fait à ce que nous avons défini comme
modes d'aimer féminin et masculin, et comme nous y avons fait maintes
fois allusions, l'un et l'autre reviennent en définitive à un
vouloir-être-aimé. Il s'avère donc que Spinoza avait
raison de dire : «
amor est titillatio concomitante idea
causæ
externæ ».
[12]Mais
l'amoureux n'est pas tout à fait aussi indépendant de l'objet que
la sentence lapidaire de Spinoza veut bien le dire. L'ivresse amoureuse
narcissique - telle que nous l'avons postulée - a pour condition que
l'objet remplisse dans le sens souhaité le rôle de l'idéal
du moi (qui lui a été attribué par projection, ce qui est
communément appelé « amour
réciproque », c'est à dire ce qui renforce le sentiment
d'être aimé. Tant qu'on entreprend surtout rien qui ne
détruise brusquement l'illusion, l'expérience montre qu'on est sur
le terrain d'étonnants leurres et qu'on a la possibilité de
fausses interprétations. Plus l'objet correspond totalement à
l'idéal du-moi, plus l'amour est fougueux, plus il donne de bonheur.
C'est là que réside, nous semble-t-il, la clé de la
compréhension de l'amour dès le premier regard, que les
Français appellent le « coup de foudre ». Comme
exemple, en même temps comme preuve de ce fait, nous citerons le jeune
Werther qui immédiatement, dès la première rencontre, tombe
amoureux de Charlotte et brûle pour elle d'une passion ardente. Ce qui
nous est totalement compréhensible si nous nous rappelons qu'elle lui est
apparue à ce moment-là dans la situation des plus significatives
de la mère bienveillante, c'est-à-dire distribuant du pain
à un essaim d'enfants.
Quand bien même il ne s'agirait pas
d'une réalisation aussi totale que dans ce cas, une quelconque
concordance entre l'idéal du moi souhaité et l'objet, parfois
très mince, est néanmoins nécessaire pour qu'ait lieu le
sentiment de l'amour réciproque. S'il se manifeste une différence
par trop évidente, ou même un rejet de la part de l'objet,
c'est-à-dire si la réponse à l'amour est insuffisante,
l'amoureux est sujet à un bouleversement émotionnel plus ou moins
grave, de caractère dépressif le plus souvent, à une forte
injure narcissique accompagnée d'une violente dépréciation
de soi-même. Le moi narcissique a raté son expédition contre
le démon qui jouit dès lors de sa victoire sur le moi. Car
l'idéal du moi arraché au démon est mis à nouveau au
service de ses visées, la dichotomie entre l'idéal du moi
fantasmé et l'idéal du moi réalisé est mise en
évidence, et le moi est précipité dans l'abîme de la
culpabilité allant jusqu'au sentiment de sa totale
dévalorisation.
La détermination, observable chez l'individu
normal, avec laquelle, malgré toutes les déceptions, il se tourne
une fois encore vers de nouveaux objets, provient de la tendance du moi à
se démontrer qu'il peut quand même être aimé de son
idéal du moi pour échapper au démon. Après une telle
déception, toute une gamme dans le choix des objets peut être
parcourue. Un processus très fréquent consiste dans cette
situation à recourir psychiquement d'abord à son propre sexe, et
pour ainsi dire à soi même, pour ensuite, mené par des
tendances à la dévalorisation et à la justification
vis-à-vis du démon, aller même jusqu'à ne pas faire
de choix pour ce qui en est de l'autre sexe.
La justesse de notre
conception du processus amoureux comme ré-introjection de l'idéal
du moi après projection préalable, se démontre - comme
d'ailleurs la justesse de toute explication - par sa mise en application,
c'est-à-dire par le fait qu'elle nous aide à mieux comprendre
certains faits demeurés obscurs jusqu'ici. Pour illustrer ceci, nous
choisirons un phénomène, dont Freud dit lui-même qu'il n'est
pas encore explicité et qui nous semble sans aucun doute d'une
énorme importance aussi bien pour la compréhension de
manifestations pathologiques que pour le problème de la formation du
caractère. Nous pensons au phénomène de la substitution de
l'investissement d'objet par identification, que Freud a constaté, comme
on sait d'abord dans l'homosexualité, puis plus tard dans la
mélancolie, pour revendiquer ensuite dans « le Moi et le
Ça » la validité de ce processus chez l'individu normal,
également en ce qui concerne la formation de son caractère. Nous
citons ici « le Moi et le
Ça »
[13] :
« S’il
faut renoncer à un tel objet sexuel, de son fait ou de celui de l'autre,
alors intervient fréquemment, pour ce faire, la transformation du moi,
qu'il faut décrire comme une instauration de l'objet dans le moi, comme
c'est le cas dans la mélancolie. Les conditions qui entourent cette
substitution ne nous sont pas encore connues. Peut-être cette
introjection, qui est une sorte de régression au mécanisme de la
phase orale, rend-elle plus facile ou possible au moi le renoncement à
l'objet. Peut-être cette identification est-elle la condition
sine qua
non à laquelle le ça renonce à ses objets. Quoi qu'il
en soit, le processus est très fréquent, surtout à des
phases de développement précoces, et permet de concevoir le
caractère du moi comme un résidu des investissements d'objets
abandonnés, qui contient l'histoire de ces choix
d'objet ».
Nous pensons que le manque souligné par Freud,
« les conditions qui entourent cette substitution ne nous sont pas
encore connues », ne tient plus à la lumière de notre
conception du processus amoureux. Car cette identification qui se substitue
à l'amour d'objet - notre ré-introjection - n'est pas une
manifestation surajoutée, mais au contraire se met en place dès le
début du processus amoureux et devient un élément
constitutif de l'amour. Du reste nous attirons l'attention sur le fait que notre
point de vue sur la ré-introjection et son importance décisive
dans le processus amoureux, est considérablement étayé par
la conception de Freud, qui dans « Pulsions et Destins des
Pulsions » dit de l'amour :
« Il est à
l'origine narcissique et se déplace ensuite sur les objets qui ont
été incorporés au moi élargi ». Ajoutons
simplement quelques mots sur la façon dont se termine l'amour. On sait
bien que la fin de l'amour est caractérisée par un réveil
douloureux avec pleurs et grincements de dents qui sont les punitions du
démon. Les conflits, complications etc., qui résultent de l'amour,
représentent par cette souffrance souvent chronique qui survit longtemps
à l’état amoureux, une pénitence en vue d'apaiser le
démon qui ne venge ainsi cruellement de son impuissance temporaire en
prenant des intérêts et des intérêts composés.
À la fin de la relation amoureuse, le moi traite l'objet avec la
même sévérité et le même esprit critique dont
le démon l'a régalé en abondance. Nous pouvons comprendre
ainsi les agressions contre l’ancien objet d'amour qui accompagnent si
souvent le retour à la lucidité de la façon suivante :
elles sont des tentatives du moi pour rejeter les munitions du démon sur
l'objet. Ceci représente en même temps une emprise sur le
démon selon la formule : « je n'aime certes pas
l'objet ».
V. La fiction
autarcique
Dans les débuts de la vie extra-utérine, l'enfant ne
peut non seulement connaître d'autres sources de plaisir que
lui-même, mais, de plus, il peut à peine se les représenter
; ceci devrait quelque part correspondre à la « période
de toute puissance inconditionnelle » décrite par Ferenczi. Qui
plus est, selon Freud, l'enfant éprouve pendant un certain temps l'objet
dispensateur de plaisir et de nourriture, le sein maternel, comme de son
appartenance, comme partie de son propre corps. Nous sommes d'avis, que cette
conception de Freud n'a pas été suffisamment
appréciée jusqu'ici dans sa signification fondamentale, voire
peut-être à peine reconnue. La conséquence immédiate
est bien la suivante, la fameuse et bien connue controverse : quand le moi
est-il découvert, devrait être remplacée de façon
incomparablement plus juste et plus fructueuse par cette question qui nous
semble plus appropriée : quand l'objet est-il découvert
?
Nous définissons comme « fiction autarcique »
du nourrisson, ce stade antérieur à toute appréhension de
l'objet lors duquel le moi infantile baigne avec délice dans l'illusion
de sa toute puissance. Nous voyons une preuve en faveur de cette conception dans
le phénomène connu de la phase où le nourrisson
privé du sein maternel, par intervalles ou constamment, le cherche tout
d'abord sur son propre corps et croit l'y trouver (essentiellement au niveau du
pénis). Ce qui démontre en outre, de quelle façon
récalcitrante le moi infantile sorti de l'œuf se pose vis à
vis des objets, et comment, s'accrochant à son sentiment de toute
puissance, il nie en premier lieu les objets.
L'analyse psychologique de
l'acte sexuel éclaire à quel point cette fiction autarcique est
persistante voir inaltérable.
Faisons tout d'abord un tour d'horizon
rapide de ce qu'en rapporte la littérature analytique : il faut
mentionner ici, premièrement le travail de Stärcke sur le complexe
de castration. Il fut le premier à signaler le problème de la
castration orale par le retrait du sein maternel. Ferenczi, dans son
« Essai pour une théorie génitale », a
attiré l'attention sur le fait que tout être humain, qu'il soit
masculin ou féminin, peut jouer avec son propre corps le double
rôle de l'enfant et de la mère, et le joue effectivement. Le
coït, selon lui, est caractérisé par une « tendance
régressive de type maternel », au cours de laquelle s'accomplit
une triple identification : identification de tout l'organisme avec l'appareil
génital, identification au partenaire et identification à la
sécrétion génitale.
Alors que, toujours selon
Ferenczi, le caractère rythmé de la succion sera conservé
comme élément fondamental de toute activité érotique
ultérieure, des quantités importantes d'érotisme oral et
anal seront déplacés sur le vagin. Comme Hélène
Deutsch l'a montré dans sa Psychanalyse des fonctions sexuelles chez
la femme, le vagin, sous l'influence stimulatrice du pénis
exercée par le va-et-vient dans le coït, assume le rôle passif
de la bouche qui tète dans une analogie : pénis = maman. Dans
cette fonction le coït signifie, selon elle, pour la femme le
rétablissement de la première relation de l'être humain avec
le monde extérieur, lors de laquelle l'objet était
incorporé par voie orale, une répétition de la
tétée du sein maternel, Donc une maîtrise du traumatisme du
sevrage. Rank, dans sa « Contribution à la genèse de la
génitalité », a montré que l'enfant trouve dans
ses propres organes génitaux un substitut du sein maternel et à la
question : comment le « maigre reste » de la libido est-il
déplacé de la phase orale à la phase génitale ;
il répond en mettant l'accent sur la masturbation du nourrisson.
Là le creux de la main remplace en premier lieu la cavité de la
bouche, d'après une donnée de Bernfeld ; et cette masturbation est
caractérisée plus tard par l'analogie : pénis propre =
sein, sécrétion séminale = sécrétion
lactée. L'acte sexuel normal ne serait donc pas seulement substitut, mais
en même temps vengeance sadique pour la frustration du sein maternel. Dans
leur travail « Le complexe maternel de
l'homme »[14], Bergler et
Eidelberg, s'appuyant sur un matériel subtil, ont souligné le fait
que l'enfant cherche à reproduire activement ce qui a été
vécu passivement en une compulsion de répétition connue
dans le jeu enfantin, ceci afin de venir à bout du traumatisme de sevrage
évoqué plus haut. Au lieu de recevoir massivement le lait
maternel, l'enfant devient, en s'emparant activement du pénis,
dispensateur actif d'urine (= lait). La profonde injure narcissique
occasionnée par le sevrage doit être dépassée et le
sentiment de toute puissance rétabli. Les auteurs de cet article se
fondent sur le fait que l'investissement du pénis a été
accompagné d'une intrication pulsionnelle d'Éros et de Thanatos,
et sont d'avis que la partie de ce mélange pulsionnel s'originant de la
pulsion de mort a déjà connu dans l'acte sexuel une transformation
si profonde, que sa satisfaction peut avoir lieu sans danger pour l'individu.
Dans le coït, l'homme parvient enfin à dominer psychiquement le
traumatisme du sevrage en s'identifiant à la mère phallique et en
reproduisant activement ce qui a été vécu passivement.
Ainsi, selon ces données concordantes de tous les auteurs cités,
l'acte sexuel porte en lui à vrai dire une répétition de la
situation de nourrisson. Quant à nous, nous dépassons la
conception du coït comme écho de la situation mère - enfant
telle qu'elle est admise par tous ces auteurs, dans la mesure où nous
affirmons le caractère profondément narcissique de l'acte sexuel.
L'accent mis ce faisant sur la relation d'objet ne nous semble absolument pas de
loin le plus décisif, avant tout parce que, sur la voie de
l'identification avec l'objet, on retrouve également sa propre situation
de nourrisson. Ce qui résulte en premier lieu de notre conception
citée plus haut est le fait que le vouloir-être-aimé,
qui est, comme on sait, le noyau de l'exigence ultérieure du moi envers
l'idéal du moi, se ramène à vrai dire à un ne-pas-vouloir-étre-séparé de cette source
intarissable qu'est le sein maternel. Avec cette restriction que cette nostalgie
ne s'adresse en quelque sorte pas à l'objet - le sein de la mère -
mais représente bien plus une tentative de restitution narcissique, car
elle s'adresse au sein de la mère, dans la mesure où celui-ci
était encore perçu comme partie du moi propre ;
représentation qui, après tout, est à considérer
comme la pierre angulaire de l'idéal du moi ultérieur. Combien
lourde de conséquences, combien fondamentale pour l'avenir sera cette
erreur majeure du nourrisson sit venia
verbo[15] sur l'appartenance du
sein dispensateur de lait, nous l'avons compris en étudiant le processus
amoureux. En dernier lieu, l'investissement d'objet dans le processus amoureux
provient de cette erreur, aussi extravagant que cela puisse paraître et ce
pour aider l'être humain à obtenir ainsi l'unité narcissique
perdue.
Ce point de vue qui est le nôtre, n'est certainement pas
contredit par l'affirmation célèbre de Freud :
« l’investissement libidinal narcissique ou investissement du
moi apparaît, lui, comme l'état primitif réalisé dans
la première enfance, qui ne sera que recouvert par les décharges
ultérieures de la libido, et est au fond resté intact
derrière
celle-ci. »[16]
Si
nous n'oublions pas la façon dont le moi s'efforce inlassablement - au
moyen des tentatives de restitution esquissées plus haut - de s'assurer
de son unité narcissique, alors nous comprenons totalement le
comportement du névrosé dans le transfert, tel que nous l'avons
décrit au début de cet essai. Tout d'abord, sa peur de la
séparation, mais également le fait que cette séparation
trouve une expression dans l'espace.
Nous comprenons aussi ce fait à
vrai dire très étonnant et qu'on accepte pourtant comme une
évidence - ce qui pour nous est incompréhensible - qu'on se
contente tout simplement d'expliquer en faisant allusion à un
mystérieux instinct de procréation, à savoir que l'amour
pousse impérativement à l'union et à la satisfaction
sexuelles. Nous pensons en effet que pour l'expliquer il faut découvrir
des déterminants psychiques extrêmement précis, comme nous
sommes habitués à les rechercher dans la psychanalyse et ailleurs,
car la mise à jour de tels éléments nous semble
indispensable pour comprendre le problème de l'amour. Montrer ces
déterminants n'autoriserait même pas à se passer de la
formule de Freud selon laquelle l'amour naît de l'aptitude du moi à
satisfaire une partie de son activité pulsionnelle de façon
auto-érotique par le gain en plaisir d'organe. Cela signifierait tout au
plus que nous devrions remplacer la question posée plus haut par celle-ci
: à quelles fins le moi accomplit-il tant de péripéties et
fait-il cet énorme détour par les objets pour retourner finalement
à son point de départ, c'est-à-dire pour atterrir de
nouveau chez soi.
Notre réponse est la suivante : aussi bien l'amour
tendre que l'amour sensuel ont en dernier lieu la même signification. Ils
sont tous deux, dans leur essence, des tentatives de restitution narcissique
soumises à la pression de la compulsion de
répétition.
N'oublions pas que l'acte sexuel exprime
physiquement pour ainsi dire la même chose que l'amour tendre. Car, ce qui
dans l'amour tendre, s'exprime par la réintrojection de l'objet mis
à la place de l'idéal du moi, s'exprime aussi déjà
dans l'amour sensuel par la simple pulsion de contact, ce besoin
impératif jusqu'à présent mystérieux qui pousse tant
les amants à s'étreindre, à s'enlacer le plus
étroitement possible, de façon à ne former pour ainsi dire
plus qu'un.
Seule la réunion des deux parties amoureuses - comme
étant la plus haute expression de l'unité - est la négation
la plus forte du sentiment de séparation, d'incomplétude,
d'atteinte portée au narcissisme. Pareil sentiment d'unité
porté à un tel summum, ne saurait sans doute être
dépassé que par la conception d'un enfant, matérialisation
de ce fantasme d'unité.
VI. Supplément
au problème du transfert
Dans son travail « Remarques sur l'amour de
transfert », Freud répond à la question d'une
éventuelle différence entre transfert et amour, en disant qu'une
telle différence n'existe pas du tout, que dans les deux cas, il s'agit
de la même chose, c'est-à-dire d'amour. Pour Freud, le transfert
est un amour soumis tout simplement à des conditions particulières
(analyse et résistance) et représente ainsi uniquement un cas
particulier de l'amour.
Si nous reprenons, en les complétant, nos
premières explications sur l'amour de transfert, nous soulignerons que la
différence entre les deux réside en ceci, que, dans l'amour,
l'objet a été mis à la place de l'idéal du moi par
projection, alors que dans l'amour de transfert, le médecin réunit
en lui par la voie de la projection, les deux éléments du surmoi,
aussi bien l'idéal du moi que le démon. Ici la peur domine de
façon prépondérante. Par contre, la surestimation de
l'objet est présente comme œuvre de l'amour. L'angoisse que suscite
le médecin, ou le vouloir-étre-aimé-de-lui, sont par
conséquent les dispositions caractéristiques de l'amour de
transfert.
Dans le transfert positif, le patient veut être
aimé de son médecin comme de son idéal du moi. La
conséquence de ce vouloir-étre-aimé par le
médecin et la peur que celui-ci suscite est une identification
narcissique au médecin. Répétons-le : le
« novau » de tout transfert positif est exactement comme
dans l'amour le processus narcissique du vouloir-ètre-aimé.
De même, ce qui a été dit auparavant sur l'amour actif et
aussi sur le vouloir-ètre-aimé passif, est valable pour le
transfert. Celui qui veut aimer activement, place son moi dans l'objet, qui, de
ce fait, représente le moi, alors qu'il aime lui-même son
idéal du moi ; pour ce qui est de celui qui veut être aimé
passivement, l'objet est l'idéal du moi dont il veut être
aimé, c'est l'amoureux lui-même qui est le moi.
Si nous
élargissons le thème traité, nous ajouterons ceci dans le
transfert négatif, c'est également au moi propre que s'applique la
haine qui s'adresse en apparence au médecin ou aux personnes de
l'enfance. Cette haine recouvre :
a) de façon multiple l'amour
(transfert positif sous l'apparence du négatif) ; par l'agression les
patients tentent tout simplement de mettre l'amour du médecin à
l'épreuve, de savoir ce que cet amour peut endurer ;
b) la
décharge sur l'objet de l'agression provenant du moi lui-même a
échoué. Ceci est, en même temps, la différence entre
haine normale et haine névrotique ; dans la première, la
dérivation de Thanatos sur les objets a réussi, dans la haine
névrotique celle-ci se dirige contre le moi propre par le détour
de l'angoisse et du sentiment de culpabilité.
Ceci nous mène
au problème de l'ambivalence, c'est-à-dire de la réunion de
disposition d'amour et de haine vis-à-vis du même objet. À
la lumière de ce que nous venons d'esquisser, l'image se déplace.
Amour = souhait d'être aimé par l'idéal du moi propre
projeté sur l'objet, haine = tentative de détourner Thanatos sur
l'objet. La tentative échoue, l'agression est entravée, car
l'objet est dans ce cas, l'idéal du moi propre en même temps, si
bien que l'agression s'adresse à nouveau au moi propre.
Nous voyons
donc, qu'aussi bien dans le transfert positif que dans le transfert
négatif, les éléments narcissiques sont prédominants
comme dans l'amour. La différence avec l'amour est, comme nous l'avons
dit dans l'excès d'élément du surmoi qui est projeté
sur l'objet, à savoir,dans l'amour, c'est l'idéal du moi seul,
dans le transfert, l'idéal du moi et le démon. Le progrès
dans la cure analytique réside en ceci que la projection du démon
sur le médecin est sans cesse repoussée de façon toujours
plus étendue au profit de l'idéal du moi de façon à
ce que cette projection soit dissoute à la fin du traitement.
Le
patient apprend vraiment à aimer. Il s'ensuit que l'identification par
défense contre l'angoisse fait place à celle que nous avons
auparavant qualifié de partie intégrante de l'amour.
VII. La double fonction des objets : tentative de restitution narcissique et décharge
d'agression
Résumons le résultat de nos recherches afin de pouvoir
répondre à la question posée au départ au sujet des
causes de l'investissement d'objet.
Il nous faut avant tout attirer de
nouveau l'attention sur ce fait : au début, c'est seulement à
contrecœur que le moi se tourne vers les objets ; en effet, pendant la
période de la fiction autarcique, le corps propre constitue bien en
même temps pour le moi le monde objectal. C'est seulement après
l'échec des tentatives qu'il a fait pour maintenir la fiction qu'il a
recours à d'autres méthodes afin de réparer les dommages
portés à son sentiment de toute puissance. Pour le moi ceci est la
fonction et la vocation primordiale des objets. D'où l'instauration de
l'idéal du moi et l'investissement libidinal des objets.
Il ne faut
toutefois pas oublier que, dans nos explications précédentes du
processus amoureux, nous avons décrit l'amour chez l'adulte comme un cas
particulier de l'investissement d'objet. Nous l'avons montré, on s'en
souvient, comme étroitement dépendant du sentiment de
culpabilité. Mais que se passe-t-il donc chez l'enfant ? Les premiers
investissements, le petit enfant doit bien déjà les
réaliser sur les objets qui lui sont offerts au niveau de ses
expériences des pulsions d'auto-conservation du moi et qui sont sources
de plaisirs. Ceci semble alors renverser notre idée de la
dérivation et du lien étroit entre processus amoureux et sentiment
de culpabilité, car visiblement il n'y a pas de place ici pour un
sentiment de culpabilité. En faveur de notre thèse, nous
renverrons à ce que nous avons dit plus haut, selon quoi l'auto-agression
accumulée parce qu'insuffisamment déchargée par inhibition,
contraint justement à exclure l'éventualité d'une absence
totale de sentiment de culpabilité.
Du reste, lors de son
exposé sur le besoin de communication chez les enfants, Dorothy
Burlingham a développé l'idée que ce besoin englobait en
fait, à côté d'une tendance exhibitionniste, le besoin
impérieux d'un partenaire en vue d'un gain de plaisir sexuel en commun.
Anna Freud a émis alors des remarques qui semblent d'une grande
importance pour notre problème. Elle pensait en effet qu'à la
lumière de cette conception, on pouvait comprendre pourquoi
l'éducation moderne, où tout est permis, ne se
différenciait en rien dans ses succès, c'est-à-dire dans
ses insuccès de l'éducation orthodoxe où tout est interdit.
Car, selon elle, ce qui importe en fait n'est pas la permissivité et la
tolérance, mais bien plus la participation au gain en plaisir sexuel,
participation que l'enfant exige et attend. C'est ainsi par exemple que la plus
grande tolérance à l'égard de l'onanisme « tombe
dans le vide ». Car, pour Anna Freud l'enfant considère comme
un rejet toute non-participation de l'adulte à son activité
sexuelle.
Or là, il n'y a selon nous qu'un pas à franchir
pour faire l'hypothèse d'un sentiment de culpabilité
également chez le petit enfant. Car, d'après ce que nous venons
d'avancer, l'enfant se rend vite compte qu'il se trouve par ses désirs et
ses aspirations en contradiction avec le point de vue des adultes et qu'il reste
ainsi très loin derrière son idéal du moi qui est en train
de se former.
À une éventuelle objection selon laquelle cette
hypothèse du sentiment de culpabilité chez l'enfant serait en
contradiction avec la conception en vigueur dans la psychanalyse, nous
répondrons qu'il s'agit ici en fait d'étapes préliminaires
à la constitution du surmoi dont les effets ne doivent cependant mas
être négligés, bien que le surmoi ne soit certes
définitivement constitué qu'après le complet déclin
du complexe d'Œdipe.
Ne négligeons pas en outre, qu'à
travers la question du sentiment de culpabilité, c'est du problème
de l'angoisse qu'il s'agit en dernier lieu et qu'il nous faut donc
considérer l'étroite parenté psychologique de ces deux
phénomènes. De même que chez l'adulte le sentiment de
culpabilité fonctionne comme cause de l'amour, de même,
pouvons-nous dire à juste titre que, chez l'enfant, c'est l'angoisse qui
en tient lieu. Nous avons au début de ce travail parlé du contenu
et de la nature psychologique de cette angoisse à partir de la conception
freudienne. Nous sommes parvenus à la conclusion que cette angoisse
était au fond l'expression du ne
pas-vouloir-être-séparé. Mais nous avons
déjà attiré l'attention sur le fait que nous ne
considérons pas ce
vouloir-ne-pas-être-séparé
de la mère postulé par nous, comme la cause ultime, la plus
fondamentale de l'angoisse, mais que nous la voyons bien plus et en premier lieu
lorsque l'unité narcissique est menacée. La fiction autarcique
nous montre clairement que l'angoisse réside en dernier lieu dans la
menace portée à cette unité fictive qui semble être
un paradigme pour la vie psychique. Donc, il faut considérer la
perturbation de cette fiction comme la plus pénible des brèches
faites dans le narcissisme vis-à-vis de laquelle l'investissement d'objet
a une valeur de compensation ce qui explique l'incoercibilité de cet
investissement qui évoque la compulsion
La façon dont l'objet
est utilisé aux fins de cette rééquilibration narcissique a
été déjà suffisamment soulignée dans nos
explications sur le phénomène amoureux. Il faut, de plus, rappeler
ici la conception psychanalytique selon laquelle le moi dérobe aux objets
la libido dont le ça les a investis pour s'édifier et
s'étendre aux frais des objets.
Ajoutons encore ici que la
ré-introjection n'est pas seulement une arme pour combattre le
démon, mais qu'à travers l'élargissement et le renforcement
du moi, elle agit dans une aussi forte mesure en direction de la fiction de
toute puissance. Ceci semble bien prouver une fois encore que l'amour est
à mettre au nombre de ces tentatives de restitution narcissiques
placées sous la pression de la compulsion de
répétition.
Un point s'éclaire à partir de tout
ce qui vient d'être dit : aussi grande que puisse être la valeur
heuristique de la différenciation entre investissement narcissique et
investissement libidinal d'objet, il ne nous apparaît en aucun cas
justifié de verser dans une différenciation et une
séparation de principe aussi poussée, voire même
d'établir une opposition comme cela arrive fréquemment. Nous ne
devons pas ignorer que l'investissement d'objet n'a, à vrai dire, pas
d'autre signification que celle d'une déclaration sur l'état de la
libido narcissique ; c'est donc simplement un indicateur. Cette façon de
voir les choses s'accorde totalement avec une très ancienne conception de
Freud - maintenue avec la plus grande ténacité pendant cinq
décennies jusqu'aux
Nouvelles Conférences - où il
est dit : « continuellement de la libido du moi est transformée
en libido d'objet et de la libido d'objet en libido du moi ».
La
deuxième fonction des objets pour le moi, c'est-à-dire la
décharge de l'agression de Thanatos destinée à l'origine au
moi propre, n'est certes pas d'une moindre importance que la première
pour l'économie psychique. Elle sert également les
intérêts de l'intégrité narcissique.
Si conforme
à l'esprit du temps que cela puisse paraître, nous ne sommes pas
assez malveillants pour affirmer que la relation d'objet mise au service de la
décharge d'agression serait la plus solide dont l'être humain soit
capable.
Il faut trouver ici à nouveau une cause expliquant pourquoi
de vrais objets sont nécessaires lors des pratiques de
répétition primaires que nous avons décrites. Pourquoi
l'être humain n'en reste-t-il donc pas à l'onanisme, bien plus
commode et si bien connu depuis l'enfance ? Assurément tout ceci pourrait
trouver également une expression partielle dans l'onanisme. Simplement il
n'y a pas au niveau du moi propre de possibilité de décharge
suffisante pour ces éléments agressifs si importants qui
constituent en partie le substrat de ces motions pulsionnelles, telles que la
vengeance ou autres sentiments teintés d'hostilité. À moins
qu'on ne choisisse l'issue masochiste, donc névrotique. C'est en effet le
stigmate de nombreux névrosés qui à cause d'une
décharge d'agression du moi propre sur les objets, insuffisante et
inhibée, doivent se contenter de l'onanisme. La décharge
insuffisante de l'agression dans l'onanisme nous semble être un fait dont
l'importance ne doit en aucun cas être
sous-estimée
[17]. Il nous
parait important à deux niveaux. Avant tout il explique que l'onanisme
n'apporte qu'une satisfaction incomplète, mais de plus, il met fortement
en question, voire conteste grandement, le caractère inoffensif et anodin
de l'onanisme, affirmé de si multiples manières.
Nous avons
posé au départ la fiction autarcique comme le paradigme de
l'aspiration à l'unité et à la totalité narcissique
que l'être humain poursuit sa vie durant à l'aide des objets. Il
est possible que l'appréhension intuitive de cet état de fait se
reflète, de façon très déformée toutefois,
dans ces fameux systèmes philosophiques qui nous enseignent que le monde
n'existe que dans notre seule représentation.
Il nous semble
cependant infiniment plus agréable de penser que la fiction autarcique
est finalement aussi à l'origine du fait que toute la vie humaine est
parcourue de fictions et est presque impossible sans
celles-ci.
[18]
[1] D’après une
conférence faite à la
Société psychanalytique de
Vienne le 8 novembre 1933.
[2] S. Freud,
Trois essais sur
la théorie sexuelle.
[3] Jekels, « Le
sentiment de culpabilité »,
Mouvement Psychanalytique,
IV, 1932, p. 345 sq.
[4] Bergler, « Le
plagiat »,
Mouvement Psychanalytique, IV, 1932. Cf. la
quinzième et la seizième forme inconsciente du plagiat, p.
414.
[5] H. Nunberg.
Allgemeine
Neurosenlehre, Bern, 1932. S. 124. Hans Huber Verlag.
Théorie
générale des névroses.
[6] Pensons aux grotesques
contorsions dont le moi est capable lorsqu'il est acculé, pour
évacuer vers l'extérieur ne serait-ce qu'une partie de l'agression
qui le menaçait à l'origine. Tel le cas où le démon
permet la décharge de l'agression à la condition que le moi soit
puni par l'objet. Une des rares concessions du démon est donc qu'il
n'accomplisse pas lui-même l'exécution, mais en laisse le soin
à l'objet. Ou bien, quand le vécu de l'agression et la punition
sont décomposés en deux actes séparés dans le temps
(symptôme en deux temps dans la névrose obsessionnelle). Selon
quoi, il ne faut pas rechercher la seule genèse du surmoi, mais aussi sa
sévérité dans le fait que la décharge de l'agression
vers l'extérieur par projection, échoue pour les raisons que nous
venons de citer. Un déplacement réussi de l'agression augmente le
narcissisme du moi et confère à Éros une
prépondérance passagère ; un déplacement raté
de l'agression renforce automatiquement Thanatos, déchaîné
contre le moi.
[7] Ici, nous sommes tout
à fait d'accord avec L. Eidelberg qui, partant d'autres points de vue, a
démontré dans son travail sur le masochisme, pour une
catégorie de ces pervers, qu'ils provoquent eux-mêmes leurs
défaites par un détour compliqué. Selon l'affirmation
très intéressante d'Eidelberg, il est nécessaire que la
défaite soit elle-même préparée, ce qui satisfait la
mégalomanie inconsciente.
[8] L. Jekels. « Das
Schuldgefühl ».
Psychoanalystische Bewegung, IV 1932, p.
345 (« Le sentiment de culpabilité », in
Mouvement
psychanalytique).
[9] Voir L. Jekels :
« Psychologie de la Comédie »,
Imago XII,
1926, p. 328.
[11] La non-adéquation
de la forme de l'amour avec le sexe exige une discussion exhaustive qui aura
lieu ailleurs. Nous nous contenterons ici d'affirmer que cette
non-adéquation est déterminée dans une large mesure par des
fixations, issues chez l'homme de la phase orale, chez la femme de la phase
phallique (désir du pénis).
[12] Il s'agit certainement
d'une confusion entre plusieurs livres de l'Éthique. La
« formule lapidaire » est en fait : «
amor est
Lætitia concomitante idea causæ externæ », livre
III, « Définition des Affections », Déf. 6.
Ed. Classiques G.F Vol. I, p. 370 (1934). « L'amour est une joie
qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure ». op. cit.,
p. 371. C'est dans la démonstration du livre IV que Spinoza emploie le
mot
titallatio en liaison avec l'amour et l'idée d'une cause
externe. «
Amor est Lætitia (per. Defin. 6 Affect)
concomitante idea causæ externæ : titillatio igitur (mer
Schol. Prop.II)
concomitante idea causa externæ Amor
est »,
op. cit. p. 88 Vol. II. « Ce qu'on appelle
l'Amour est une Joie (Def. 6 des Affections) qu'accompagne l'idée d'une
cause extérieure ; donc le chatouillement (Scolie de la Prop. II) est un
Amour »,
op. cit., p. 89, Vol II.
[13] "Das Ich und dans Es",
G.W. tome XIII, p. 373.
[14] Int. Zeitschrift
für Psvchoanalyse, XIX, 1933, p. 547.
[15] Citation latine courante
en allemand : « pardonnez-moi l'expression ».
[16] S. Freud,
Trois essais
sur la théorie sexuelle.
[17] Notre conception de
l'onanisme est proche de celle de Nunberg in
Théorie
générale des névroses.
[18] Une première
traduction fut faite par Michèle Lohner-Weiss, Colette Chambon et Solange
Falade pour
Documentation Psychanalytique. Elle est ici revue et
corrigée.