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Pierre Weber


Pierre Fédida : Des bienfaits de la dépression, Éloge de la psychothérapie

Éd. Odile Jacob, Paris 2001


Dans son dernier livre, Pierre Fédida[1] psychanalyste, membre de l'APF et professeur de psychopathologie, traite de la psychothérapie de la dépression. Pourquoi choisir ce thème en ce moment ? L'auteur s'alarme de l'abdication de la psychiatrie et de la dérive des psychanalystes (en France ?). « C'est, parce que nous nous trouvons au croisement de deux axes majeurs: 1) disparition de la connaissance psychopatholigique et de son projet clinique en psychiatrie qui se manifeste par la remédicalisation de la dépression - excès d'usage des antidépresseurs - « alors que la psychanalyse freudienne constitue, avec sa psychopathologie et sa clinique, la seule tentative pour maintenir au centre de l'expérience humaine la fonction d'une négativité (pulsion de mort, destructivité, culpabilité, masochisme originaire) qui entre dans la compréhension de la subjectivité de la vie psychique », et 2) les psychanalystes « sont eux-mêmes tentés d'abandonner le paradigme freudien de la vie psychique et de promouvoir une psychothérapie intersubjectiviste réglée sur les critères d'efficacité de la réadaptation de l'individu ». Finalement, « l'inflation dont bénéficie en ce moment l'idée de psychothérapie (...) témoigne d'un changement socioculturel dans les représentations de la vie psychique et de son traitement ».

C'est donc le moment d'écrire ce livre, note Pierre Fédida, pour rappeler que la vie psychique des humains s'appauvrit dès lors que sa productivité sera, dans l'accélération que nous vivons, mesurée à l'aune du temps de l'horloge qui n'est pas celui de la vie, de la parole à un autre, de l'écoute, mais celui de la norme opératoire et de la concordance espace-temps.

« Mais comment penser la vie psychique, puisqu'elle ne saurait être objectivée »? Fédida insiste sur la prévalence de la psychothérapie analytique dans l'approche de la vie psychique devenue, dans la dépression[2], vivante inanimée .

Et de prôner le « traitement psychique », de cette « maladie de l'humain ». Fédida propose une hypothèse: « celle de la différence qu'il convient d'établir entre la dépressivité, ou la capacité dépressive, inhérente à la vie psychique (la vie psychique est dépressive au sens où elle assure protection, équilibre et régulation à la vie) et l'état déprimé qui représente une sorte d'identification à la mort ou à un mort ».

« En caractérisant la vie psychique par la capacité dépressive, j'ai en vue, écrit l'auteur, une modalité économique de la vie fantasmatique à l'origine de ce qu'on appelle psychique. »

Si le clinicien peut aisément reconnaître les signes de la dépression, la question de savoir ce qu'ils signifient reste. Les causalités linéaires - facteurs biologiques, psychiques - ont échoué à expliquer le phénomène de la dépression et les hypothèses avancées par la psychanalyse restent modestes. Pour comprendre l'état déprimé, ne faut-il pas dépasser les références à la séparation, à l'abandon, aux carences affectives élémentaires, « ébranler la conviction de la doctrine des psychanalystes, encore trop largement dominée par une théorie du lien », solliciter une autre imagination, dépasser l'ontogenèse, à l'exemple de Freud s'inspirant des intuitions de Ferenczi[3], et inscrire « l'affect glaciaire » de la dépression dans les destins géologique de la terre ?

Il n'est pas facile de parler du livre de Pierre Fédida ni de décrire le système de référence conceptuel – il suffit de consulter ses références bibliographiques - qui guide son exposé tout au long de onze chapitres. La dépression, comme symptôme de l'agonie de l'âme, comme « mise en conservation du vivant sous une forme inanimée », articulée à la capacité dépressive du thérapeute, comporte une dimension existentielle vouée en quelque sorte au salut de la vie psychique: « la psychothérapie restitue au sujet déprimé sa capacité dépressive et, ainsi, sa créativité psychique ». Si « la dépression peut être tenue pour une crise survenant dans une vie » à la suite de ruptures, de séparations ou de deuils, elle assure aussi une protection, douloureuse, certes, elle a une fonction de régulation des rythmes et des temps intérieurs, des changements.

Ce livre n'est pas très accueillant pour le lecteur profane qui ne pratiquerait que modérément les textes disputés dans le temple. À la différence de Freud qui, déployant sa réflexion, a toujours le souci de « trouver le chemin de la clarté »[4], ne s'écarte qu'à contre-coeur de l'usage commun de la langue. Son lecteur a le sentiment d'être entraîné dans une démarche réflexive - Gedankengänge - invité à partager, au terme de la promenade, les lumières du maître, son compagnon. D'autres, comme Hanna Segal[5], ont le scrupule de s'interroger: comment rendre mon écrit assez intéressant pour les psychanalystes et cependant accessible aux lecteurs en général ? Une telle idée ne semble pas avoir été le premier souci de Pierre Fédida. Son livre, en tout cas, ne s'adresse pas « au lecteur en général ». Bien que son titre racoleur, par calcul commercial de l'éditeur, le fait ranger au rayon « Santé » des librairies populaires, dans la rubrique « Comment vaincre... ». Et la quatrième de couverture de suggérer: n'hésitez pas à acheter ce livre. L'auteur va vous apprendre à faire un bon usage de la dépression !.

L'auteur doit se retourner dans sa tombe. Ne dit-il pas que, pour guérir, il faut être deux?

En fait, il faudrait parler des Bienfaits du livre de Pierre Fédida. S'il soutient que la dépression n'est pas une maladie, mais la maladie humaine de la modernité, il n'exclut pas que les avancées de la biologie vont faire disparaître la notion de dépression et avec elle la dimension tragique de l'existence. Être déprimé ou performant, telle sera la question. Et l'on trouvera la réponse en actionnant le bouton d'un distributeur automatique d'antidépresseurs.

Avant de nous quitter, Pierre Fédida a tenu à nous mettre en garde.



[1] L'auteur, décédé fin 2002, est agrégé de philosophie, docteur ès lettres et sciences humaines, disciple de Ludwig Binswanger, cet ami et correspondant de Freud , tenant d'une psychiatrie existentielle d'inspiration husserlienne; cf. Notice biographique d'E. Roudinesco, Le Monde, 07/11/02;
[2] Ces choses se disent mieux en allemand: Seelenleben, leblos, unbelebt...;
[3] Übersicht der Übertragungsneurosen, Freud 1915, GW, Nachtragsband;
[4] « Trauer und Melancholie », 1917, GW, Bd 10;
[5] « Rêve, art, phanatsme », Éd. Bayard, 1993;

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