Thierry Simonelli
La désuétude de l’âme
« Das seelische Instrument ist nämlich gar nicht leicht zu
spielen. »
(S. Freud, 1905, GW V, p. 18)
« Wir, Vergeuder der Schmerzen.
Wie wir sie absehn voraus, in die traurige Dauer,
ob sie nicht enden vielleicht. Sie aber sind ja
unser winterwähriges Laub, unser dunkles Sinngrün,
eine der Zeiten des heimlichen Jahres –, nicht nur
Zeit –, sind Stelle, Siedelung, Lager, Boden, Wohnort. »
(Rilke, Duineser Elegien, « Die Zehnte Elegie »)
L’Histoire, avec une majuscule, de la psychanalyse pourrait laisser entendre,
ou du moins faire allusion à une sorte de continuité, d’homogénéité.
Il y aurait là une histoire de la psychanalyse et qui, pour certains,
commencerait avec Freud, et se terminerait avec Lacan. Bien sûr, Lacan
lui-même s’est largement servi de cette formule hégélienne
de l’Histoire : Freud savait déjà, mais il ne savait
pas encore qu’il savait, Lacan savait, et il savait qu’il savait.
Que ce savoir absolu se dise « savoir supposé »,
ou savoir du « pas-tout » ou du manque n’y change
rien. La doctrine lacanienne avec sa répétition permanente des
mêmes concepts, des mêmes idées, et des mêmes interprétations
met en œuvre dans le discours ce qui ne se
dit pas : quelque
chose comme la fin de l’histoire de la psychanalyse. Nous en serions
donc arrivés au dimanche de la psychanalyse, à ce dimanche où tout
a été dit et pensé, à ce dimanche où nous
pouvons passer en revue ce que nous avons créé et nous dire :
cela est bon. Le « pas-tout » n’y est plus qu’une
dernière concession accordée à la mauvaise conscience
du psychanalyste devenu métaphysicien.
Il existe une autre idée de l’histoire, de l’histoire sans
majuscule, et dont le premier trait distinctif serait de penser que la répétition
de l’identique et l’histoire, à proprement parler, s’excluent.
[1] Dans
cette optique, il n’est pas impossible de penser que l’incessant
ressassement ne vaut guère mieux qu’un refus de l’histoire.
Autrement dit : la compulsion de répétition n’
est pas
l’histoire, même si elle peut en faire partie, et en représenter
un moment parfois bien durable.
On peut entendre le refus de l’histoire dans deux sens différents,
mais liés : le refus de l’histoire en général,
c’est-à-dire refus de la significativité du changement
et de la répétition, et le refus de l’histoire en particulier,
c’est-à-dire le refus de l’expérience.
Actuellement, ce double refus de l’histoire s’est accoutré d’un
nouveau nom : celui de « science ». Ce signifiant,
qui ressemble à s’y méprendre au nom d’une pratique
bien déterminée et à son corpus du savoir, connaît
un destin paradoxal :
- Alors que le terme de « science » fait des ravages,
la chose, quant à elle, semble résolument en perte de vitesse.
Les facultés de sciences naturelles ne cessent de s’en plaindre :
il y a de moins en moins d’étudiants en physique, en chimie
et surtout en mathématiques. Chose étonnante ! Alors qu’aucun
revendeur de shampoing, de dentifrice ou de crème anti-rides n’oserait
vendre son produit sans en vanter les vertus les plus « scientifiques »,
l’intérêt pour l’activité scientifique, la
vraie, reste évanescent. Il en est de même, selon bon nombre
de scientifiques, pour la culture scientifique.
- Avec la culture scientifique
disparaît ce qu’il pourrait y
avoir de réflexion sur la pratique ou le concept de science. Ne parlons
même pas des quelques bribes de méthodologie, enseignées
aux facultés de médecine, ou de cette étrange épistémologie
sans conséquences des facultés psychologie ; aux facultés
de physique, l’enseignement de l’épistémologie
est plus ou moins inexistant. Le destin de l’histoire des sciences
est encore plus sombre. Devenue presque inexistante dans le cursus philosophique,
elle semble aujourd’hui réservée à quelques derniers
spécialistes isolés.
- Assurément, il n’est
pas nécessaire de savoir comment définir une
science pour savoir en faire. Mais cela permettrait-il vraiment de légitimer
cette légion de « scientifiques » autoproclamés
de l’âme ou du corps, qui se croient d’autant plus sûrement
accostés au havre rassurant de la science avec les seules amarres d’une
expérience empirique floue, qu’ils se savent dispensés
de toute réflexion sur leur activité ?
- Parmi ces nouveaux « scientifiques »,
peu nombreux d’ailleurs sont ceux qui sauraient faire la différence
entre une loi empirique, une théorie ou un modèle. Et qu’en
reste-t-il de cette belle unité de la science si l’on regarde
du côté des
démarches explicatives qui y sont mises en œuvre ? Qu’est
ce qu’un modèle déductif de l’explication a à voir
avec le modèle probabiliste de l’explication, ou le modèle
fonctionnel, le modèle téléologique, ou le modèle
génétique ? Passons sur la querelle, plus ancienne encore,
du comprendre et de l’expliquer, de la différence entre le causal
et le sémantique...
Non, cette « science » là n’a rien à voir
avec celle dont elle n’est qu’homonyme. Car si elle en partage
le nom, elle ne le fait qu’en vertu de sa fonction de signal dans un
discours publicitaire.
Les livres, les articles et les conférences ne manquent évidemment
pas, qui soulèvent ces problèmes et les développent de
la façon la plus claire et la plus argumentée. En même
temps, s’en tenir à la critique épistémologique,
essayer de faire renaître la pensée enterrée sous les tableaux
bien rangés, les graphiques multicolores et les courbes élégantes
reviendrait à une autre erreur de catégorie. Cette erreur qui
consisterait à croire que l’erreur de la « science » n’est
rien qu’une erreur.
On pourrait rappeler, dans ce contexte, les trois « maîtres
du soupçon », comme on les a appelés : Marx, Nietzsche,
et Freud. Cette catégorisation est évidemment grosse des problèmes
de toutes les catégorisations de courants ou d’écoles de
pensée. Mais elle est pertinente du moins sur un point : il y a
chez ces trois penseurs une approche assez similaire de l’erreur ou de
la méprise. Et bien sûr, ils ne sont pas que trois à partager
cette idée.
L’approche naïve de l’erreur consisterait à l’interpréter
comme un défaut, une déficience, un ratage, une insuffisance
ou, pourquoi pas, un manque. Bien évidemment, ce n’est pas toujours
faux. Il existe de telles erreurs par déficience, ou manque, ou insuffisance
ou simplement par ‘finitude humaine’.
Mais ce qu’ont apporté Marx, Nietzsche et Freud – et bien
sûr, on pourrait allonger cette liste par Schopenhauer, Feuerbach et
Kierkegaard, par exemple –, c’est une distinction nouvelle :
il y a des erreurs qui ne sont que des erreurs, et il y en a qui sont pas que
des erreurs. Des erreurs qui parfois ne sont pas des erreurs du tout, quoi
qu’elles en aient l’air. En langage freudien : il y a des
erreurs surdéterminées.
Marx, par exemple, s’était rendu compte
que les économistes traditionnels, Smith et Ricardo, présentaient
le fonctionnement économique sous forme de processus sociaux objectivés.
L’idée étant qu’il existe comme des lois naturelles
de l’économie, des lois que l’approche scientifique aurait à déceler
et à exprimer sous forme de formules mathématiques. Il y aurait
là un
fonctionnement social et économique plus ou moins autonome, et qui imposerait
ses lois quasi-naturelles à toute personne vivant en société ;
bref : à toute personne.
À l’instar de la théorie
de la terre immobile et du soleil en mouvement, la théorie de l’autonomie
des processus économiques correspond à notre expérience
immédiate la plus quotidienne. Bien sûr, dans notre perception,
c’est toujours le soleil qui bouge et pas nous, c’est toujours
la dure « loi » économique qui s’impose, aux
dépens de nos souhaits et préférences personnels.
Pourtant, dans les deux cas, il y a méprise. Une méprise insidieuse
qui correspond parfaitement à la vérité de
notre perception. Marx se distingue des économistes et sociologues précédents
pour avoir déchiffré cette méprise de façon assez
particulière. Le constat semble trivial aujourd’hui : derrière
les lois objectives autonomes se cachent des rapports entre hommes. Le terme
que Marx a choisi pour désigner ce type de méprise, bien avant
Nietzsche et Freud, est celui de fétichisme. :
« Pour trouver une analogie à ce phénomène,
il faut aller chercher dans la région nuageuse du monde religieux. Là les
produits du cerveau humain ont l'aspect d'êtres indépendants,
doués de corps particuliers, en communication avec les hommes et entre
eux. Il en est de même des produits de la main de l'homme dans le monde
marchand. C'est ce qu'on peut nommer le fétichisme attaché aux
produits du travail, dès qu'ils se présentent comme des marchandises,
fétichisme inséparable de ce mode de production. »
[2]
Marx dit bien : le fétichisme attaché aux produits, et non
pas les fantasmes fétichistes dans les têtes des hommes.
[3]
Derrière cette interprétation des choses, on retrouve un prédécesseur
commun à Marx, à Nietzsche et à Freud : Ludwig Feuerbach.
L’une des idées fondamentales de l’« Essence du
Christianisme » (1841) tient dans le concept de projection. Feuerbach
soutenait justement que Dieu était une projection de la nature, de la
pensée,
des souhaits et des fantasmes de l’homme.
Pour revenir à Marx, la confusion qu’il a mis à jour est
celle entre la raison (ou la cause), et la conséquence (ou l’effet).
Les lois économiques ne sont pas la cause de l’organisation sociale,
elles ne s’imposent pas au même titre que la loi de la gravité,
mais par l’effet d’un rapport social bien déterminé.
C’est ce rapport social qui impose ses lois, et non pas l’inverse.
Or, le point capital de la critique Marx est que cette inversion de la cause
et de l’effet n’a rien d’une simple méprise, d’une
erreur anodine. La thèse de Marx est bien connue : derrière
cette erreur qu’il appelle fétichisme, il y a un intérêt.
Il y a un intérêt à ce que le rapport social soit conçu
comme un rapport objectif, soumis à des lois quasi-naturelles, et donc
inaltérables. Ce qui est mis en question par Marx n’est rien d’autre
que l’atemporalité de ces lois économiques, leur anhistoricité,
et le déni conséquent de leur sens social.
C’est ainsi que l’on pourrait formuler le noyau critique des « maîtres
du soupçon » : il est des méprises qui ne sont
pas vraiment des méprises, mais qui servent un intérêt
qui, lui, ne se montre pas.
Dans son
Crépuscule des idoles, Nietzsche appelait cela «
die
eigentliche Verderbnis der Vernunft » : la véritable
corruption ou perversion de la raison. Et Nietzsche retrouvait cette figure
de pensée dans deux autres domaines : celui de la religion et
de la morale.
Freud a repris cette liste des ‘erreurs’, mais son originalité consiste
dans les innombrables démonstrations microscopiques de leurs processus
psychiques chez les individus, séparés ou en groupe. Ce n’est
pas un hasard si la notion d’idéologie chez Marx, celle de décadence
chez Nietzsche et celle de névrose chez Freud se présentent avec
un étrange air de famille.
Rajoutons donc un autre nom à cette liste : la « science ».
La méprise de la « science » n’est pas une
simple méprise, elle a une bonne raison d’être.
Le terme de « science » dans le discours courant, mais également
dans le discours de la législation, dans les discours publicitaires,
et dans l’ensemble des discours masqués de la moralisation, de
la réglementation et de la normalisation, relève du même
processus. Et qu’on ne s’y méprenne : ce processus
n’a évidemment pas fait halte aux portes de l’Université.
Les disciplines telles que la psychologie, la littérature, la philosophie
ou la psychanalyse s’engagent, parfois sans hésitation aucune,
et avec la meilleure des consciences, sur la voie de cette normalisation dite
scientifique.
Bien sûr, ce jeu de la « science », cette science
spectacle, a pour elle un argument de taille, ou du moins, un argument qui
passe comme tel. Il tient dans une alternative qui semble aujourd’hui
représenter la conviction la mieux partagée du monde. L’alternative
dit : soit on est dans la science, soit on fait n’importe quoi. À l’instar
d’un virus informatique, l'alternative se propage sous plusieurs formulations,
sous plusieurs présentations ou nominations différentes :
science ou pseudoscience, science ou mystique, science ou imposture, science
ou mythologie, science ou tricherie, science ou malhonnêteté.
Assurément, beaucoup rejettent cette alternative, mais rarement
en
tant qu’alternative. Car ceux qui la refusent procèdent simplement à une
estimation inversée de ses termes : ce n’est pas la science
qui est bonne, juste, légitime, mais la non-science. Autres variantes :
science ou intuition, science ou humanisme, science ou sentiment, science ou
imagination, science ou créativité.
Ce choix est aussi faux que le premier. Car dans les deux cas, l’alternative
reste la même : le choix entre
un bon et des mauvais,
une bonne
méthode et
des mauvaises, entre
une approche sérieuse
et d’autres qui ne le sont pas. En effet : cette alternative, en
tant qu’alternative, est partagée autant par les défenseurs
de la « science », que par ses détracteurs. Et quelle
que soit la conséquence du déplacement d’accent, il n’a
certainement pas comme but de remettre en question l’alternative.
Il existe une autre variante bien intéressante du même jeu, et
dont se régalent les sectes, les églises et les religions :
pourquoi choisir ? Proclamons donc l’articulation de la science
et de la religion, de la science et de la foi, l’articulation du rationnel
et de l’irrationnel,
l’articulation
de la science et de l’intuition. Et certains prétendent même à la
réconciliation accomplie de la science et de la religion.
Qui ne sait aujourd’hui que cette réconciliation se vend, le
plus couramment du monde, sous le titre de psychothérapie, voire de
psychanalyse ? Le mot de « scientologie » est intéressant
dans ce contexte, car il se construit avec les mêmes termes que l’épistémologie
(
l’épistémè y est latinisée en
scientia.)
Quelle trouvaille ! Grâce au syncrétisme multicatégoriel,
voilà donc
deux au prix d'un : il a été pensé, découvert et établi
par des scientifiques et des entendeurs de voix, il ne reste plus qu'à croire
et acheter.
Il serait intéressant de se poser à nouveau cette question que
posaient Marx, Nietzsche et Freud : que veut celui qui veut la science ?
Quel intérêt anime celui qui, au nom de la science, se pose en
thérapeute, en analyste, voire en législateur
[4] ?
Et qu’on ne nous réponde pas d’un air naïf : il
veut aider, sauver, protéger. Comme si les terroristes, les chefs de
guerre et les pires escrocs ne brandissaient pas le même visage d’innocence.
Il n’y a certainement pas de réponse unique à ces questions,
mais celles de Marx, de Nietzsche et de Freud restent plus que pertinentes :
l’intérêt commercial, la décadence philistine, les
pulsions et les fantasmes inconscients.
Voyons la rhétorique de cette « science » :
- La science nous montre la vérité, la réalité,
et la vérité, c’est ce que nous savons aujourd’hui. « Aujourd’hui,
nous savons que... »
- L’histoire n’est plus guère qu’un tableau des
erreurs passées. Elle n’a pas de sens, elle n’a pas
de fonction, elle sert tout au plus d’épouvantail.
- La science est neutre. Elle cherche la vérité et rien que
la vérité. Toute personne qui affirmerait autre chose est
un mystificateur, un imposteur ou simplement un inconscient.
- Tout ce qui est vrai est scientifique, et tout ce qui est scientifique
est vrai. Il n’y a d’autre vérité que scientifique ;
les domaines de la vérité et de la science sont coextensifs.
- Tout ce qui n’est pas scientifique est faux, et tout ce qui est
faux n’est pas scientifique. Une autre façon de formuler ce
point :
tout ce qui n’est pas scientifique est pseudo-scientifique. Seule
troisième
option admise : l’art. Le reste n’est que littérature...
- Toute analyse philosophique, épistémologique, historique,
sociologique ou psychologique de la science est au service de la mystification,
et donc malhonnête par principe. En d'autres termes :
tout questionnement de la science milite pour le relativisme.
- Il n’y a que deux valeurs pertinentes pour toute démarche
intellectuelle ou pratique : la vérité et la non-vérité.
Une phrase, une théorie, un acte ou une pratique sont ou vraies,
ou fausses. Tertium non datur. Conséquence évidente :
tout ce qui n’a pas été scientifiquement prouvé est,
de ce seul fait, faux ou irrationnel.
- La vérité scientifique exclut toute forme d’interprétation.
Les vérités scientifiques ne sont pas sujettes aux points de
vue, aux perspectives, aux préjugés, aux conditions. Elles sont
vraies, et seulement vraies, n’importe où, n’importe quand
et n’importe comment.
- Tout ce qui fonctionne, tout ce qui remplit sa fonction escomptée,
tout ce qui atteint son but est de ce fait vrai, et donc scientifiquement
prouvé.
- Tout ce qui réussit, tout ce qui atteint son but prévu est
immunisé contre toute forme de critique. Il est interdit de remettre
en question l’efficience technique comme critère unique de toute
forme de vérité et d’utilité.
- Tout ce qui n’est pas scientifique peut nuire, est dangereux et
devra être interdit. La science doit être élevée
au rang de critère légal de toute pratique ou
activité au minimum et,
idéalement, de toute pensée.[5]
Le thème logique sous-jacent à chacun de ces énoncés
apparaît aisément : c’est l’alternative.
Ou bien... ou bien : choisissez votre camp. L’alternative ne
laisse qu’un
choix : la position. Où vous positionnez vous ? Et pourquoi
pas : dites-moi quelle est votre position, et je saurai qui vous êtes.
Et je saurai quoi penser, que faire de vous. La logique est celle de la
suspicion, mais aussi celle du pouvoir : si
vous n’êtes pas pour, vous êtes donc contre. Et si vous êtes
contre, vous allez voir !
En d’autres termes, l’alternative n’est pas une vraie
alternative. Ce qui se présente comme choix n’est pas un choix.
Cette alternative
est une formulation masquée de la contrainte ; contrainte discursive,
contrainte de pensée, contrainte sociale et pour arrondir le tout :
contrainte légale. Le pouvoir ne s’exprime pas seulement dans
l’imposition de cette alternative, il s’impose encore dans
l’élimination
systématique de l’un des éléments du choix.
Notre liberté consiste dès lors à vouloir ce que nous
sommes censés
vouloir.
Le tour est joué, évidemment, quand une certaine éthique
du désir nous enjoint de ne pas céder sur ce désir
qui nous est toujours déjà soufflé par le grand Autre.
Est-ce que personne n’aurait donc remarqué l’étrange
ressemblance entre cet Autre et les « produits du cerveau humain
[qui] ont l'aspect d'êtres indépendants, doués de corps
particuliers, en communication avec les hommes et entre eux » ?
Le discours de la « science » est essentiellement un discours
de promesses. Alors que certains chercheurs scientifiques prennent un prix
Nobel pour avoir apporté des éléments de réponse
sur le rapport entre l’odorat – sens banal s’il en est – et
un millier de gènes, le discours de la science se félicite déjà d’avoir
isolé
le gène du tabagisme,
le gène de la
dépression,
le gène de l’homosexualité et,
pourquoi pas,
le gène des mauvais résultats à l’école,
et bientôt
le gène qui vous fait douter
du président Bush.
Mais admettons, ne serait-ce qu’un instant, que les choses soient
aussi simples, que notre corps et notre âme ne soient que le produit
d’un
système de rouages ; d’une machine comme aimait à penser
Descartes.
Prenons un exemple banal : l’odorat ou le goût. Admettons
donc que nous connaissions parfaitement la physiologie, la chimie, la biochimie
et les prédéterminations génétiques de l’odorat
ou du goût. Admettons encore, que par-delà ce fonctionnement local,
nous ayons acquis une parfaite connaissance des processus neurologiques qui
traitent, comme aime à s’exprimer le discours de la « science »,
sans aucune métaphore, toutes ces informations en provenance des sens.
Ignorons, pour le moment, que ce simple traitement d’informations sensorielles
aurait vite fait d’impliquer des processus aussi complexes que la conscience,
la mémoire, les affects, voire la grande partie du vécu de la
personne. Restons-en à la machine : le parfum de notre bien-aimée,
le plat qu’elle nous a cuisiné pour notre anniversaire, en quoi
en changeraient-ils ? Qu’est-ce que cela apporterait à ma
connaissance de moi, ou même à l’expérience de mon
corps, que de connaître l’ensemble des processus neurologiques,
neurobiologiques, neurochimiques, biologiques, chimiques, électriques,
moléculaires et physiques ?
Je répondrai sans gène : quand bien même demain
ou après demain, nous connaîtrions molécule par molécule
l’ensemble du fonctionnement de notre corps, inclusion faite du cerveau,
cela ne changerait strictement rien à ce que nous sommes, à la
façon dont nous pensons, dont nous sentons, dont nous vivons. Car
quand bien même nous aurions toutes ces connaissances, elles n’expliqueraient
rien de ce qui nous concerne ; et ce quand bien même elles représenteraient
des connaissances inestimables de la machine.
Les effets du tabac, les conséquences de la consommation immodérée
d’alcool, de la sous-nutrition et de la surnutrition sont connus.
Et il n’est plus besoin d’être médecin ou chercheur
en biologie moléculaire pour savoir que fumer ou manger mal, trop
ou trop peu peut avoir des conséquences fâcheuses. Question
au cognitiviste ou au neuropsychologue : qu’est-ce que cela
change ? Qui a
jamais arrêté de fumer après avoir entendu l’information
que fumer peut provoquer des maladies graves ?
« Das wird nächstens schon besser gehen,
Wenn Ihr lernt alles
reduzieren
Und gehörig klassifizieren. »
Entre donc le psychologue scientifique. Il lui arrivera d’être
consulté par une personne qui fume trop, ou qui mange trop. Comment
raisonnera notre scientifique ? Il commencera par un diagnostic. Posons :
cette personne sera boulimique. Les spécialistes de la boulimie ne manquent
pas, de même que les publications spécialisées en symptômes
ou troubles. Notre scientifique sait, pour avoir bien fait attention à l’école,
ou même pour avoir lu des articles ou avoir participé à des
conférences depuis sa sortie d’école, ce que d’autres
scientifiques comme lui ont démontré. Dieu sait comment, mais
peu importe, pourvu que cela se soit fait selon toutes les règles de
la « science ». Il connaîtra alors l’efficience
des thérapies X ou Y appliquées à ce cas précis.
Actuellement, il n'est pas difficile d’ailleurs de prédire ce
résultat
scientifique : quelle que soit la catégorie de la nosologie officielle,
il s’agira, comme de bien entendu, des thérapies comportementales
ou cognitives. À prendre, peut-être, deux fois par jour avec deux
comprimés de la molécule M. Notre psycho-scientifique, d’une
grande humilité, déléguera les molécules au médecin,
et s’occupera des mesures psycho-rééducatives.
Massage de l’âme ? Même pas !
Il s’agira de remettre les choses à leur place : la rééducation
passe par des listes d’aliments, par l’apprentissage des connaissances élémentaires
de la nutrition, par l’établissement de plans et d’horaires
de repas. À n’en pas douter, nous en sommes au plus rationnel,
voire même, au plus raisonnable. Admettons encore, pourquoi pas, que
cela fonctionne. Car en effet, dans ce
cas, précis, il y auait même à s’en féliciter.
Admettons encore que le symptôme, le trouble en disparaîtront à tout
jamais, comme si rien de tout cela ne s’était jamais produit.
Que s’est-il passé ? Un symptôme S, manifestation d’une
pathologie P, a été éliminé par une technique T.
Rien de plus courant : ma voiture V fait un bruit B, le garagiste
diagnostique un dérèglement des soupapes S, et y apporte le réglage
R. Résultat : le bruit a disparu, la santé initiale est
retrouvée. Et avec un peu zèle, notre garagiste comptera ses
réussites,
les représentera par quelques élégants graphiques colorés,
et le voilà promu au rang de scientifique de la machine. Car la « science » se
prévaut aussi d’être prestation de services.
Contrairement à la machine, ce
n’est pas seulement le bruit des soupapes qui a disparu chez notre patient
P. Ce qui a disparu, sous les bruits de cette fête de l’efficience – « wo
es zappelt von Ziel und sich blechern benimmt » –, c’est
aussi ce que notre demandeur de services aurait pu dire ou penser.
Mais de toute façon, il n’avait pas besoin de parler. Car notre
spécialiste ne s’intéresse pas à la parole et ne
s’arrête pas à la pensée. Il s’intéresse à des
symptômes, à des signes, des indicateurs, des critères,
des repères, soit : à tous ces éléments de
choix multiple, qui lui permettent d’isoler la pathologie P, sensible à l’efficience
des techniques T et des molécules M.
Et – grand miracle de la science – voilà que la machine
tourne à nouveau. Voilà que la famille retrouve son bonheur,
et que la vie quotidienne reprend son cours.
Les badauds se mettent à applaudir : on est quand même bien
au chaud dans la science. Et il ne peut plus rien nous arriver, car demain,
les spécialistes en sauront encore plus, et nous apporteront encore
plus d’assurance et de confort.
« Wer will was Lebendigs erkennen und beschreiben,
Sucht erst
den Geist herauszutreiben,
Dann hat er die Teile in seiner Hand,
Fehlt, leider!
nur das geistige Band. »
Heureusement que nous n’avons pas laissé parler notre boulimique,
car nous en aurions entendu suffisamment pour secouer ce monde heureux qui
ronronne dans le plaisir de l’efficience scientifique. Certes, nous aurions
entendu des choses somme toute banales sur des parents absents, des spécialistes
obtus ; ou moins banales sur des amours shakespeariens, des mélancolies
sans fin et un avenir radié. Nous aurions peut-être entendu un
profond malaise, une profonde incapacité à vivre dans un monde
de bonnes notes, de fêtes familiales souriantes, d’amies et d’amis
qui pensent positif et de scientifiques qui nous guérissent de tout
symptôme. Et alors, pourvu que tout ne soit pas mort en nous, il nous
aurait peut-être
pris un petit malaise, et à notre tour, nous nous serions peut-être
mis à réfléchir sur le sens de notre belle santé mentale
et la tiède séduction de la normalité.
« Car La Thérapie Comportementale (avec des majuscules
pour en faire une Chose qui peut être tuée) est une porte de sortie
commode. II faut juste s'accorder sur des principes moraux. Quand on suce son
pouce, on est méchant; quand on mouille son lit, on est méchant;
quand on met du désordre, quand on vole, qu'on casse un carreau, on
est méchant. C'est méchant de mettre les parents au défi,
de critiquer les règlements de l'école, de voir les défauts
des cursus universitaires, de haïr la perspective d'une vie qui tourne
comme une courroie de transmission. C'est méchant de rechigner devant
une vie réglée par des ordinateurs. Chacun est libre d'établir
sa propre liste de « bon » et « méchant » ou « mauvais » ;
et une volée de comportementalistes partageant plus ou moins des systèmes
moraux identiques est libre de se rassembler et de mettre en place des cures
de symptômes. »
(Winnicott, Psychoanalytic Explorations, p. 560 ; trad. française
dans La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques)
De l’autre côté de l’alternative, sur le marché aux
consolations, les choses n’ont assurément pas traîné.
On y a rapidement découvert un créneau commercial à tendance
fortement croissante. Car la critique du spécialiste de symptômes
n’a plus rien de critique depuis qu’elle est devenue argument commercial.
Les médecines alternatives ou complémentaires, les approches
dites holistiques, les courants de médecine ou de psychologie « humanistes »,
les prêtres, les gourous, les voyeurs d’esprits et autres psychothérapeutes
s’en sont emparés avec un zèle publicitaire qui n’a
rien à envier aux boissons sucrées et aux crèmes sans
calories.
Voilà qu’on nous promet la santé intégrale, celle
de l’esprit sain dans un corps tonique ; qu’on nous offre
le débarras de nos vieux greniers et de nos vielles caves psychologiques,
- première séance gratuite.
Voilà qu’on nous permet de découvrir ce qu’il y a
vraiment en nous, ce dont nous sommes vraiment capables, de mettre à jour
tous ces talents que nous ne nous connaissons pas encore, et qu’il nous
suffira de trouver pour en jouir pleinement.
Voilà qu’on nous montre comment nous aussi, nous pouvons devenir
des travailleurs compétitifs, des leaders respectés ou même,
pour ceux qui le préfèrent, des artistes du week-end ou des
aventuriers du monde, le temps de nos vacances de nouvel-an.
Voilà qu’on nous promet, grâce à la psycho-rééducation
douce et humaine, de nous remettre en rapport avec notre vrai moi, ou soi ou
que sais-je, du moment que c’est le vraiment vrai de nous-mêmes qui nous
attend.
Voilà encore
qu’on nous apprend, bons sentiments à l’appui, comment nous
débarrasser définitivement de nos peurs, de nos angoisses, de
tout trouble et dérangement qui, de toute façon, ne feraient
que nuire au travail et à la gestion équilibrée de nos
relations saines et normales. Dans la foulée, nous y retrouverons notre
confiance en nous, la jouissance de notre vie et du supermarché d’à côté ;
nous serons à mêmes d’exploiter nos forces et de connaître
nos faiblesses.
Voilà qu’on nous apprend surtout, surtout, cela ne manque jamais, à retrouver
le bonheur ; le bonheur dans notre vie, le bonheur dans nos relations,
le bonheur en famille, le bonheur au travail. Ce bonheur qui résiste
au journal papier du matin et au journal télévisé du soir.
Du bonheur partout, rien que du bonheur. Ah, la belle santé !
Voilà à quoi ça sert d’ailleurs, que d’être
sain et normal. Voilà pourquoi tenir compte de l’intégralité de
la personne, de l’intuition et des sentiments profonds. Voilà pourquoi
manager le stress et les conflits. Voilà pourquoi transmettre les bonnes
valeurs à nos enfants et à nos adolescents.
Voilà, enfin, pourquoi nous vivons : pour être heureux, pour
travailler avec des gens heureux, pour affronter les défis d’un
monde changeant et ne pas fuir les vrais problèmes de nos sociétés
de demain.
Soyez heureux, mais surtout, surtout ne vous arrêtez pas, ne regardez
pas derrière vous, si ce n’est que pour avancer plus rapidement
après. Psycho-rééduquez et éliminez
au plus vite ces vielles histoires qui vous pèsent et ces malaises qui
vous guettent :
« Et ça », dit le directeur
de façon
sentencieuse, « ça, c’est le secret du bonheur et de
la vertu – aimer ce que vous avez à faire. Tout le traitement
vise cela : faire aimer aux personnes leur inévitable destin social. »
« Car, comme chacun sait, ce sont les particuliers qui font la
vertu et le bonheur [...] Ce ne sont pas les philosophes, mais [...] les collectionneurs
de timbres qui constituent l’armature de notre société. » (Aldous
Huxley, Brave New World)
À lire Marx, Nietzsche ou Freud il apparaît d’emblée
que le déchiffrement des phénomènes n’y est pas soumis à l’enregistrement
désintéressé des faits qui se présentent sous les
yeux, à l’évaluation
quantitative ou statistique des perceptions naïves. Marx ne mesure pas les
cycles économiques, Nietzsche n’emmène pas la nature au laboratoire,
et Freud ne range pas les énoncés et les comportements de ses patients
dans les cases de la nosologie psychiatrique, pour y oublier ce qu’il pourrait
leur rester de parole.
La découverte de Marx tient à l’analyse du tournant historique
de l’échange et de la production, Nietzsche recourt à la
généalogie
[6], et Freud,
quand il ne rêve pas de la biochimie de l’avenir mais réfléchit
sur sa pratique concrète, recourt à l’idée de l’archéologie.
Dans les trois cas, l’objet de la recherche est plus ce qu’il est,
là sous nos yeux. L’objet de la recherche ne s’est pas détaché de
son devenir
[7] ou de son
provenir. Il n’est pas isolé de son sens social, de sa volonté ou
de son intention, de sa signification pulsionnelle. Son devenir, son provenir,
sa visée, sa pulsion n’en sont pas distillés, il
n’est pas ravalé à ce précipité soi-disant
objectif. Car la tendance ne se soustrait pas à l’objet
sans que celui-ci cesse d’être ce qu’il est ; seule
condition néanmoins pour le faire ressembler à cet éternel
retour du même substrat mort.
[8] Aux
scientifiques de voir, si ça les intéresse, s’il y a là science,
pseudoscience ou littérature, une chose est claire : nul ne jouera
de l’instrument de l’âme qui ne se départ des alternatives
simplistes.
« [...] und die findigen Tiere merken es schon,
daß wir nicht sehr verläßlich zu Haus sind
in der gedeuteten Welt. »
(Rilke, Duineser Elegien, « Die erste Elegie »)
[1] On pourrait rappeler
que le même Hegel, chez qui Lacan a trouvé son histoire rétrospective
du savoir pas-tout absolu avait également une autre idée de l’histoire
et de la pensée : «
Der Entschluß zu philosophieren
wirft sich rein in Denken (– das Denken ist einsam bei sich selbst), – er
wirft sich
wie in einen uferlosen Ozean ; alle die bunten Farben,
alle Stützpunkte sind verschwunden, alle sonstigen freundlichen Lichter
sind ausgelöscht. [...] Aber es ist natürlich, dass den Geist in
seinem Alleinsein mit sich gleichsam ein Grauen befällt; man weiß noch
nicht,
wo es hinauswolle, wo man hinkomme. Unter dem, was verschwunden
ist, befindet sich vieles, was man um allen Preis der Welt nicht aufgeben wollte,
und in dieser Einsamkeit aber hat es sich nocht nicht
wiederhergestellt,
und man ist ungewiss, ob es sich wiederfinde, wiedergeben werde. »,
G.W.F. Hegel, « Konzept der Rede beim Antritt des philosophischen
Lehramtes an der Universität Berlin » (22 octobre 1818), dans
Werke,
vol.
10, Francfort, Suhrkamp, 1970, p. 416. La psychanalyse, et la psychothérapie
a
fortiori seraient-elles devenues l’écran de protection contre
ce type d’épouvante ?
[2] « Um daher eine Analogie
zu finden, müssen wir in die Nebelregion der religiösen Welt flüchten.
Hier scheinen die Produkte des menschlichen Kopfes mit eignem Leben begabte,
untereinander und mit den Menschen in Verhältnis stehende selbständige
Gestalten. », Karl Marx,
Das Kapital I, Marx-Engels Werke
[=MEW], vol. 23, pp. 86-87.
[3] « Wie sehr
die Lösung
der theoretischen Rätsel eine Aufgabe der Praxis und praktisch vermittelt
ist, wie die wahre Praxis die Bedingung einer wirklichen und positiven Theorie
ist, zeigt sich z.B. am Fetischismus. Das sinnliche Bewußtsein des Fetischdieners
ist ein andres wie das des Griechen, weil sein sinnliches Dasein noch ein andres
ist. », Marx,
Ökonomisch-philosophische Manuskripte aus dem
Jahre 1844. MEW, vol. 40, p. 552.
[4] La question n’est
ni actuelle, ni originale. Alfred Adler la posait lors de la réunion
du mercredi 17 octobre 1906 de la Société Psychanalytique de
Vienne : « [...]
verweist Adler auf seinen vor Jahren unternommenen Versuch, die Psychologie
des Politikers zu ergründen, durch dem Nachweis, daß die Ansicht,
die der Politiker vertritt (insbesondere bei Reformfragen, usw.) in persönlichen
Motiven wurzelt. So glaubt Adler auch, daß die Sozialpolitiker, die sich
in ihrem Programm gegen den Bestande der Familie wenden, eine dunkle Ahnunhg
von den inzestuösen Zusammenhängen haben. », H. Nunberg,
E. Federn (éditeurs),
Protokolle der Wiener psychoanalytischen Vereinigung,
Band I 1906-1908, Francfort, Fischer, 1976.
[5] Que l’épistémologue
me pardonne : ce fatras joint en effet des théories ou philosophies
aussi diverses que le scientisme, le positivisme et le pragmatisme dans l’indifférence
la plus totale.
[6] Dans les fragments posthumes
datés de l’été 1878, Nietzsche donne une description
de sa méthode
historique qui reste intéressante pour la perspective psychanalytique : « Meine
Art, Historisches zu berichten, ist eigentlich, eigene
Erlebnisse bei
Gelegenheit vergangener Zeiten und Menschen zu erzählen. Nichts Zusammenhängendes – einzelnes
ist mir aufgegangen, anderes nicht. Unsere Literaturhistoriker sind langweilig,
weil sie sich zwingen, über alles zu reden und zu urtheilen, auch wo sie
nichts
erlebt haben. », Nietzsche,
Nachgelassene Fragmente
1875-1879,
Kritische Studienausgabe VIII (Colli/Montinari), p. 532,
fr. 30[60].
[7] « Unsere Bestimmung
verfügt über uns, auch wenn wir sie noch nicht kennen; es ist die
Zukunft die unserm Heute die Regel giebt. », Nietzsche,
Menschliches
Allzumenschliches I, Kritische Studienausgabe II (Colli/Montinari), p.
21.
[8] « Denn statt mit der
Sache sich zu befassen, ist solchen Tun immer über sie hinaus ; statt
in ihr zu verweilen und sich in ihr zu vergessen, greift solches Wissen immer
nach einem Anderen und bleibt vielmehr bei sich selbst, als daß es bei
der Sache ist und sich ihr hingibt. » (Hegel,
Phänomenologie
des Geistes, « Vorrede »)