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Thierry Simonelli

L’Esquisse d’une psychologie scientifique (2)

Partie 1 Partie 2 Partie 3


Dans cette deuxième partie, je m'intéresserai d'abord à la pensée et au rêve. Ensuite, j'aborderai la seconde partie de l'Esquisse freudienne qui développe une véritable métapsychologie de l'hystérie. De ce fait, cette partie peut être lue comme complément métapsychologique aux explications cliniques des Études sur l'Hystérie.

 

La pensée

Du fait de la première expérience de satisfaction, le système-ψ a été altéré. Et cette altération consiste en une voie privilégiée d’accès à l’écoulement des quantités. Freud nomme le processus d’investissement hallucinatoire des frayages de cette expérience « processus du souhait ».
Or, trois situations peuvent se présenter dans le cas de la présence du souhait.
1. Dans le cas le plus simple et le plus rare, l’image mnésique et l’image de la perception consciente se correspondant. Dans ce cas, rien ne s’oppose à la mise en œuvre des réflexes d’assimilation.
2. Il est plus fréquent que l’image de la perception consciente ne correspond que partiellement à l’image mnésique. Dans ce cas, il apparaît que ces images ne sont jamais simples, mais consistent toujours en des complexes perceptifs. Il suffira dès lors de distinguer deux parties distinctes de cet objet : une partie de la perception qui est identique à l’image mnésique et une partie qui n’y est pas identique. Dans ce cas, l’« apprentissage biologique » aura montré qu’il est plus prudent d’inhiber le libre écoulement, afin d’éviter les déceptions.
Freud pense à un cas très concret, et facile à comprendre : au lieu de voir le sein maternel du point de vue frontal de la première expérience de satisfaction, le nourrisson voit ce sein du côté. L’expérience lui aura montré que la restitution de l’image initiale dépend d’un mouvement. En tournant le regard, l’image mnésique initiale peut être restituée. Et une fois cette restitution acquise, l’action spécifique peut être déclenchée.
La distinction en une partie identique, que Freud nomme « chose » [Ding] et une partie changeante, qu’il nomme « prédicat », donne lieu à une activité nouvelle au sein de ψ. Une activité de pensée, ou plus précisément, une activité de jugement.[1]
Le jugement est déclenché par le processus du souhait, dans la mesure où ce dernier ne retrouve pas d’emblée l’objet de la satisfaction, mais seulement une partie – la chose[2] – de cet objet. La finalité de la pensée jugeante consiste dans la restitution de l’objet initial, c’est-à-dire dans la restitution du prédicat original à la chose. Car, contrairement à ce que Lacan introduit (de son propre fait) au séminaire sur l’éthique[3], la « chose » est la composante de l’objet retrouvée le plus fréquemment et le plus aisément. C’est le prédicat d’origine qui, par rapport aux retrouvailles de la chose, semble plus souvent ‘en manque’.[4]
De même que la distinction entre souvenir et connaissance[5], le jugement n’est possible que du fait de l’inhibition du moi[6].
Le jugement n’est possible qu’à partir d’images motrices ou, plus généralement parlant, d’expériences issues du propre corps[7]. A défaut de telles expériences, le prédicat ne peut pas être reproduit. Ainsi, par exemple, les expériences sexuelles infantiles ne pourront être comprises qu’au moment de la puberté, au moment où des expériences du corps propre viendront fournir le matériel aux associations qui permettent le processus du jugement.
3. Un troisième cas est pensable, où l’objet de la perception ne correspond en rien à l’objet de la satisfaction. Or, cet objet ferait tout de même naître un intérêt, dans la mesure où il pourrait tout de même comprendre une voie vers l’objet originel. En général, les parties non-identiques sont celles qui suscitent l’intérêt et, par conséquent, l’activité de pensée. Mais dans ce cas, l’activité de pensée reste sans but.
Au départ, la pensée est déterminée par un but éminemment pratique, qui consiste à restituer l’identité de la perception originelle, c’est-à-dire de faire cheminer les Qe issues de la perception vers les neurones non-investis de l’objet initial.
Mais il existe également une pensée qui se situerait, dans une certaine mesure, en dehors des nécessités immédiates du besoin. Une pensée dont le seul but serait de restituer l’identité, sans pour autant préparer l’action spécifique.
Dans le cas d’une autre personne, cet intérêt se comprend du fait qu’un autre être humain a été le premier objet de satisfaction. Les autres êtres humains représentent les premiers objets à susciter l’intérêt en général, et les premiers objets sur lesquels s’exerce l’intérêt à connaître. Et cet objet reste toujours scindé en deux aspects dont le premier, inassimilable, est la chose, et le second, le prédicat, reproductible à partir des images motrices du propre corps[8].
Il s’ensuit que pensée connaissante, reproductrice et jugeante constituent des processus dans le système-ψ qui ne sont possibles que grâce à l’intervention permanente d’un moi. Elles appartiennent donc aux processus secondaires, et visent l’acquisition d’un signe de réalité, c’est-à-dire d’un signe de présence réelle de l’objet désiré.


Dormir, rêver...

L’expérience biologique a montré combien il est dangereux de laisser libre cours aux processus primaires. L’existence d’un système cohérent de neurones à investissement permanent, le Moi, s’en porte garant.
Or, le sommeil présente une altération importante du fonctionnement du moi. Le nourrisson dort, écrit Freud, quand tous ses besoins sont satisfaits et quand aucun dérangement extérieur ne l’en empêche. Le sommeil représente un abaissement de la « tension » dans le noyau de ψ. Le sommeil constitue, dès lors « l’état idéal de l’inertie » où les réserves de Qe ont été écoulées[9]. Le vidage du moi dans le sommeil restitue par conséquent le libre cours aux processus primaires. Freud n’est pas sûr pour autant, si le moi de l’adulte se vide complètement, ou s’il garde une tension résiduelle[10]. Évidemment, si le moi était dépourvu de toute tension, le rêve ne serait plus possible. Par ailleurs, Freud reconnaît que les souhaits qui se manifestent dans les rêves sont déformés par les mêmes processus ψ qui se retrouvent dans les névroses [11]. Ce sont d’ailleurs ces processus de déformation qui « caractérisent la nature pathologique de ces dernières ». Freud ne développe pas ce point dans l’Esquisse, mais il permet néanmoins de supposer une identité des mécanismes de formation des symptômes névrotiques et les processus de couverture des souhaits dans les rêves.
Les spécificités neurologiques du sommeil sont la paralysie de la volonté, la fermeture des organes sensoriels, l’allègement partiel du tonus spinal et l’évacuation de la réserve quantitative du moi, qui interdit tout phénomène d’attention. De ce dernier point, Freud conclut que la perception (la production de signe de réalité) devient peut-être impossible à défaut de l’investissement des neurones ψ.
Mais quoi qu’il en soit de ces altérations, le sommeil manifeste tout de même des processus ψ sous forme de rêves. Les rêves gardent beaucoup de caractéristiques incomprises et présentent également des transitions vers la pensée éveillée. Mais Freud pense qu’il est possible de dégager six caractéristiques typiques du rêve :

Après avoir énuméré ces caractéristiques, Freud est en mesure de fournir un premier exemple du processus particulier de la conscience du rêve. Le problème majeur de la conscience du rêve consiste dans son caractère discontinu.
Dans une toute première approche du rêve de l’injection à Irma[16], décrit cette discontinuité de la manière suivante. Supposons A une représentation du rêve consciente qui s’associe à B. Mais au lieu d’une conscience qui passerait de la représentation A à la représentation B, la conscience de l’exemple passe de A à C, qui elle-même s’associe à D.
Conscience du rêve Sur le plan de la conscience, il est possible dès lors de penser que C s’est substitué à B. La déviation de la conscience s’est produite du fait de l’investissement, lui-même inconscient, de D. Et cet investissement latéral aurait aspiré, ou fait sursauter l’étape B, plus proche de la représentation du souhait, pour immédiatement faire passer les quantités vers C.
Dans le rêve d’Irma, A représenterait l’injection au propylène, B la chimie sexuelle discutée avec Fließ, C la triméthylamine et D la nature sexuelle de l’affection de Irma. La formule de la triméthylamine vient à la conscience du fait le l’investissement simultané de A, conscient, et de D, inconscient. Mais les raisons de l’élision de B et de l’inconscience de D restent « mystérieuses » pour Freud [17] et demandent une explication.


La neurologie de l’hystérie

La première chose que constate celui qui étudie les hystéries, c’est la contrainte exercée par des représentations trop fortes. Ainsi, il se fait qu’une représentation s’impose à la conscience sans que son apparition soit justifiée ou même compréhensible. Ce qui plus est, cette représentation produit des effets – affects, innervations motrices, inhibitions – qui ne peuvent être ni contrôles, ni compris.
De telles représentations surpuissantes n’existent néanmoins pas seulement dans l’hystérie. En dehors de l’hystérie, il existe également des « contraintes névrotiques simples ». De telles contraintes sont compréhensibles car leur origine est connue. Elles sont congruentes dans leurs associations aux expériences déclencheuses. Mais elle ne peuvent pas non plus être résolues par la pensée. Pourtant, cette résistance ne semble pas pathologique en soi, car elle existe également dans le cas des représentations surpuissantes de la vie psychique normale. Le caractère pathologique de la contrainte névrotique tient à sa durée.
Contrairement à la contrainte névrotique simple, la contrainte hystérique est incompréhensible, sa source reste cachée. Mais de même que la contrainte névrotique simple, la contrainte hystérique semble indissoluble.
Or, les analyses de ces cas ont montré qu’elles disparaissent aussitôt qu’elles ont été expliquées et comprises. À cette occasion, il apparaît également comment l’impression de l’incongruence a pu naitre.
D’après Freud, la formation du symptôme hystérique correspond à la règle suivante : soit a une représentation surpuissante qui s’impose trop souvent à la conscience et qui provoque des larmes. La personne saisie par cette certitude ne sait pas indiquer les raisons de ce qui lui arrive et risque de trouver le phénomène absurde. Mais il ne lui semble pas moins impossible de se soutirer à cette contrainte. L’analyse pourra permettre de mettre à jour une représentation qui provoque les larmes à juste tire. Les effets produits par cette représentation B ne paraissent donc ni absurdes, ni incongruentes. La personne sait également trouver les moyens psychiques de lutter contre les effets de cette représentation.
Une fois que B a été ramené à la conscience, il apparaît un lien d’association particulier à A. Par exemple, il existe une expérience qui impliquait à la fois A et B et où A représente une circonstance secondaire. Dans le phénomène hystérique, A prend la place de B dans le souvenir. A devient ainsi le « substitut » ou le « symbole » de B.
Freud précise que le symbole n’a rien de pathologique en soi. Dans la vie psychique normale, il existe également des formations de symbole, et qui ne ressemblent ne rien aux symboles névrotiques. La différence entre le symbole normal et le symbole névrotique tient dans une caractéristique particulière. Le chevalier qui se bat pour le gant de sa dame, par exemple, sait que cet accessoire n’a de sens qu’en rapport avec sa bienaimée. Et ce gant ne l’empêche pas non plus d’exprimer ses sentiments à l’endroit de sa dame et de la servir.
L’hystérique, par contre, qui pleure avec la représentation A, ne sait pas pourquoi il pleure. Dans ce cas, « le symbole s’est complètement substitué à la chose [18] ». L’analyse de cette contrainte montre dans quelle mesure le symbole hystérique repose sur un refoulement. Le caractère compulsif de A correspond au refoulement de B. En termes de quantité, on pensera que les Q de B se sont déplacées vers A.
Sur le plan neurologique, la formation de symbole correspond à un déplacement de quantités. Le terme de déplacement est donc censé nommer un mécanisme neurologique, dont l’équivalent psychique serait la formation de symbole

La formation et la fixité du symbole est ce qui distingue la défense hystérique de la défense normale. Mais le caractère pénible et angoissant du souvenir ne permet pas, à lui seul, d’expliquer le refoulement hystérique. Car il est bien des expériences pénibles et angoissantes qui justement, du fait de leur importante charge affective, ne peuvent être oubliées, refoulées ou remplacées par un symbole. Pour qu’il y ait défense pathologique, il faut donc un élément de plus, et cet élément est nécessairement le sexuel, selon Freud. C’est un fait clinique avéré[19] : seules les représentations sexuelles sont soumises au refoulement. Et elles ne le sont pas parce qu’elles seraient plus pénibles ou plus angoissantes que d’autres représentations. La spécificité des représentations sexuelles n’est pas d’ordre quantitatif.
Il ne faudrait pas penser que le mécanisme du refoulement a été expliqué en même temps. Car dans le cas des névroses obsessionnelles, par exemple, le refoulement se passe de la substitution dans un premier temps. La substitution peut se produire des années suivant le refoulement. Freud se heurte donc à deux nouvelles questions :

Or, il existe une constellation psychique particulière qui fournit un point de départ pour l’explication du rapport entre symptôme hystérique et la nature de la sexualité. En règle générale, écrit Freud, la sexualité de l’être humain n’apparaît qu’au moment de la puberté. Ce n’est donc qu’avec la puberté que l’excitation sexuelle entre dans le domaine de la proprioception et qu’elle peut être comprise pour ce qu’elle est.
En même temps, il peut exister des souvenirs d’enfance, de nature sexuelle, qui n’ont donné lieu ni à l’excitation sexuelle, ni à la compréhension de leur qualité sexuelle. Il faudrait néanmoins également supposer des excitations sexuelles précoces chez certaines personnes, souvent dues à la masturbation infantile. Plus cette excitation est précoce, plus son effet sera important par la suite. Mais la force de l’excitation elle-même peut avoir le même effet : une excitation plus tardive peut équivaloir à une excitation précoce si elle est plus importante que cette dernière.[20]
Il arrive dès lors, qu’au moment de la puberté, au moment de l’apparition de la sexualité, le souvenir produit un effet que l’expérience elle-même n’a pas produit. En guise d’exemple, Freud cite le cas d’Emma Eckstein.
Emma est incapable d’entrer seule dans un magasin. Elle s’explique cette impossibilité par un souvenir qui date de ses 12 ans (« après sa puberté »). Quand elle entrait dans un magasin, elle y voyait deux commis qui rigolaient entre eux. Elle garde en mémoire l’un des deux. Au moment où elle vit les deux rire, elle fut saisie d’un effroi et se précipita hors du magasin. Elle se souvient avoir pensé, à ce moment, que les deux riaient de ses vêtements. Et elle trouvait sexuellement attirant l’un des deux commis.
L’événement paraît incompréhensible et incohérent. Bien qu’elle ait pu changer de vêtements, elle ne parvient toujours pas à entrer dans des boutiques. Aussi parait-il difficile à comprendre que l’un des deux commis, qui l’ont effrayée, lui ait plu. Pourquoi, dès lors, son angoisse disparaît-elle dès qu’elle est accompagnée ? Ainsi, remarque Freud, les associations liées à l’événement traumatique n’expliquent ni cette contrainte, ni la détermination du symptôme phobique.[21]
Une recherche plus poussée ramène à la conscience d’Emma un autre souvenir, dont elle ne se souvenait pas au moment du traumatisme. À huit ans, elle était allée à l’épicerie du quartier pour s’y acheter des sucreries à deux reprises. La première fois, l’épicier lui pinça l’organe génital à travers ses vêtements. La seconde, fois, même scénario. En se souvenant de ces deux scènes, Emma se reproche d’y être allée deux fois de suite, comme si, ce qui était arrivé, était de sa faute. Un sentiment de « mauvaise conscience pesante » s’attache à ce souvenir.
La première scène, celle du magasin avec les commis, peut être comprise si on l’interprète au travers de la seconde scène, avec l’épicier.


Complexe[22]


Freud en déduit deux conditions générales de la formation du symbole hystérique : 1. la décharge sexuelle se lie à un souvenir et non à une expérience, 2. une décharge sexuelle s’est produite de manière précoce.
Ce deux phénomènes permettent de comprendre dans quelle mesure, un processus du moi peut en venir à ressembler à un processus primaire et dans quelle mesure, la spécificité de la sexualité compte dans la production du symptôme hystérique.
Dans le cas d’un affect fort, les processus normaux du moi sont dérangés. D’une part, l’affect semble faire oublier des voies de pensée qui sont empruntées en temps normal. D’autre part, des voies de pensée plus récentes s’effacent devant des voies plus anciennes. En guise d’exemple, Freud cite une propre expérience : dans une situation d’excitation importante où il devait transmettre une information d’urgence, il oubliait le téléphone, une acquisition récente.
Sous l’emprise d’un affect fort, sous l’emprise de quantités importantes, les processus du moi s’apparentent à des processus primaires. Le moi échoue dans sa fonction de régulation et de gestion des quantités. Et dans ce cas, les processus de pensée en viennent progressivement à ressembler des processus du rêve, c’est-à-dire qu’ils s’avèrent de plus en plus déterminés par les contraintes d’association qui régissent les processus primaires.
Il s’ensuit deux conséquences : lors d’une décharge d’affects, la représentation qui cause cette décharge est renforcée et la fonction principale du moi consiste dans l’évitement de nouvelles décharges affectives et dans l’appauvrissement des anciennes voies de frayage.
L’explication neurologique des difficultés de pensée sous l’effet de l’affect est la suivante : l’investissement d’une représentation conduit à une expérience de douleur qui renforce la représentation. La Q ainsi produite s’écoule par d’anciennes voies de frayage. Avec l’apparition du moi, l’attention à de nouveaux investissements et la mécanique des investissements latéraux empêchent cet investissement. De cette manière, le déplaisir est bridé et de nouveaux frayages évités. Évidemment, plus le déplaisir est fort, plus le moi échoue à contrôler le processus primaire. De même, plus l’expérience du déplaisir est investie, plus le moi a des difficultés à mettre en œuvre les petits déplacements de quantité de la pensée. Par ailleurs, la réflexion requiert un laps de temps qui n’est pas donné en cas d’urgence, au moment de l’irruption de grandes quantités. Dans ce cas, le moi doit réagir le plus rapidement possible afin d’enrayer le déclenchement d’une expérience de douleur complète. Le moi qui se bat contre l’envahissement de quantités fortes ne sait plus qu’assurer des processus qui s’apparentent aux processus primaires.
Le bon fonctionnement de l’inhibition du moi tient à son attention. Si une expérience de déplaisir pouvait se soustraire à l’attention du moi, son inhibition viendrait trop tard, et le déplaisir ne saurait plus être évité.
Or, ce court-circuitage de l’attention constitue le problème majeur du pr÷ton yeìdoV hystérique. Comme dans ce cas, il ne s’agit pas d’une perception, mais seulement d’un souvenir et, qui plus est, semble tout à fait anodin au départ. L’attention du moi n’a donc aucune raison, à priori, de suspecter de tels souvenirs d’enfance.
Mais, au moment où ce souvenir change de nature, et se transforme d’expérience neutre en expérience de douleur, l’attention du moi est donc déjouée. Le processus de l’investissement de l’expérience de douleur est donc déclenché sans que le moi puisse intervenir. Et quand il intervient, quand son attention est attirée par ce qui se passe, le moi vient nécessairement trop tard, et ne peut plus que tenter de limiter les dégâts. En d’autres termes, le moi a laissé passer un processus primaire parce qu’il ne s’y attendait pas[23].
Dans quelle mesure, ce processus se distingue-t-il des autres souvenirs désagréables ? Car il est bien des souvenirs qui produisent de la douleur. Au moment du traumatisme, si le moi existe déjà, une expérience de douleur a lieu, mais avec un moi actif. Quand ce souvenir se répète, les frayages du moi existent déjà, et la décharge affective est nettement moins forte. Dans le cas du souvenir traumatique après-coup, l’inhibition du moi est complètement déjouée. En définitive : « Le retard de la puberté permet des processus primaires posthumes. [24] »



[1] GW, Nachtragsband, p. 423.
[2] La « chose » n’est pas l’objet lui-même, mais une partie de l’objet. La distinction freudienne repose sur la distinction aristotélicienne classique entre substance première (être ou essence) et substance seconde (accident). La substance première fait partie de la liste des dix catégories énoncées par Aristote et qui sont : la « substance » ou le « quoi », ou « ce-qui-est », et « l'essence » ; le « combien » ; le « quel » ; le « relativement-à-quoi » ; le « où » ; le « quand » ; l'« être-en-position » ; l'« avoir » ou « être-en-état » ; le « faire » ; l'« être-affecté » ou le « souffrir » (c’est-à-dire : substance, quantité, qualité, relation, lieu, temps, position, possession ou état, action, passion. Voir Aristote, Catégories, IV ; Topiques, I, 9).
[3] Voir Jacques Lacan, Séminaire VII, ...
[4] « Dans Ziel ist, zu dem vermissten Neuron b zurückzukehren und die Identitätsempfindung auszulösen [...]. » (GW Nachtragsband, p. 424)
[5] GW, Nachtragsband, p. 421. Mais Freud nuance également le cas du jugement, qu’il suppose requérir une intervention moins importante de la part du moi. Il existerait un « jugement primaire ». Dans le cas de l’imitation et de la pitié, Freud suppose le jugement entièrement du côté du processus primaire, c’est-à-dire dépourvu de toute inhibition par le Moi. Ces cas se produisent quand la quantité est plus importante. L’imitation se produit quand l’investissement des images motrices
[6] GW, Nachtragsband, p. 423.
[7] GW, Nachtragsband, p. 428.
[8] GW, Nachtragsband, p. 427.
[9] GW, Nachtragsband, p. 431.
[10] Une telle tension résiduelle serait évidemment importante pour expliquer le phénomène de la censure, sur laquelle reposera l’interprétation des rêves. Dans ce sens, Freud reviendra sur les affirmations faites ici, et soutiendra que le rêve ne représente pas les processus primaire à l’état pur. Mais, dans les termes de l’Esquisse, il faudrait plutôt penser que le rêve présente des processus primaires qui restent médiés par l’intervention permanente du moi.
[11] GW, Nachtragsband, p. 436.
[12] GW, Nachtragsband, p. 433.
[13] Je retraduis l’expression de Freud comme quoi ces représentations suscitent la foi. Freud veut dire que le rêveur s’y rapporte comme s’il s’agissait d’authentiques perceptions issues du monde extérieur.
[14] GW, Nachtragsband, p. 434.
[15] GW, Nachtragsband, p. 435. Freud reprend l’idée qu’il avait déjà énoncée dans une lettre à Fließ datée du 4 mars 1895.
[16] Voir Traumdeutung, GW II/III, p. 110-126.
[17] GW, Nachtragsband, p. 437.
[18] GW Nachtragsband, p. 441.
[19] GW Nachtragsband, p. 444.
[20] GW Nachtragsband, p. 448.
[21] GW, Nachtragsband, p. 445.
[22] J'ai traduit et reconstruit le schéma de Freud. Voir GW, Nachtragsband, p. 446.
[23] GW, Nachtragsband, p. 450.
[24] GW, Nachtragsband, p. 451.

 

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