psychanalyse.lu


Thierry Simonelli

Matérialisme dialectique et psychanalyse
selon Wilhelm Reich

(Paru dans Actuel Marx N° 30, Les rapports sociaux de sexe,
Paris, Deuxième semestre 2001, pp. 217-234)


D'après Bernard Görlich (1), le freudo-marxisme ne serait que la mise en œuvre du projet freudien d'une « psychologie des profondeurs » appliquée aux sciences sociales (2). Le freudo-marxisme en général, et celui de Reich en particulier, se concevraient comme des tentatives qui « au moyen de l'intégration de la psychanalyse à la théorie sociale marxiste voulaient surtout forger un instrument pour l'explication du fascisme naissant ». Cette interprétation nous semble trop formelle et trop générale pour caractériser le freudo-marxisme. Il est évidemment impossible de développer l'histoire du freudo-marxisme dans le cadre de ce texte. Nous nous en tiendrons à la seule pensée de Wilhelm Reich, et nous montrerons, contre Görlich, que le freudo-marxisme ne se réduit pas à une psychanalyse appliquée, exclusivement déterminée par l'explication sociologique du fascisme. Notre propos sera de montrer que le freudo-marxisme de Reich naît d'une véritable articulation théorique des pensées de Freud et de Marx ; articulation dont le sens et la portée dépassent le cadre historique de la critique du fascisme. Quant à la question d'une psychanalyse appliquée aux phénomènes sociaux, la position de Reich est claire et tout à fait contraire aux affirmations de Görlich. Le freudo-marxisme de Reich n'est d'ailleurs pas touché par les critiques que Marcuse et Adorno formulent à l'égard du néo-freudisme de Karen Horney et de Fromm. Le freudo-marxisme de Reich n'est ni un néo-freudisme, ni une conception culturaliste de la psychanalyse. Au contraire, il anticipe, dans une certaine mesure, la « théorie critique » de l'École de Francfort et des psychanalystes proches de l'École de Francfort, tels que Alexander Mitscherlich et Alfred Lorenzer.
Afin de mieux comprendre le lien que Reich établit entre Freud et Marx, nous allons limiter notre analyse à ce que nous considérons être le texte originaire du freudo-marxisme : Matérialisme dialectique et psychanalyse (3). Loin de vouloir porter ici un jugement définitif sur le « cas Reich », nous nous limiterons à esquisser une image plus juste de sa conception du freudo-marxiste de la psychasnalyse.
Dans l'épilogue de Eros and Civilisation (4), Herbert Marcuse développe une critique virulente du néo-freudisme de Horney, Fromm, Thompson et Sullivan. Son analyse part d'un constat épistémologique. La psychanalyse est née d'une praxis, conditionnée par une relation entre deux individus. La théorie psychanalytique n'a d'autre matériel que ce rapport singulier. Il semble donc d'emblée inconcevable d'élargir la champ de la psychanalyse de manière à en faire une psychologie sociale. En dehors de cette limite épistémologique, Marcuse rappelle également le pessimisme politique de Freud. D'après Freud, la base répressive de la société s'avère inaltérable et la pratique psychanalytique doit se résoudre à une résignation efficace (5). Le patient est guéri quand il arrive à « fonctionner » dans une société malade, sans pour autant s'y abandonner. Selon Marcuse, l'intérêt sociologique de la psychanalyse ne réside ni dans ses applications, ni dans sa praxis. Il se situe au niveau de sa théorie, de sa métapsychologie et même de sa « métaphysique ». C'est dans ses analyses individuelles, ainsi que dans la réflexion théorique sur ces analyses, que se situe le véritable potentiel critique de la psychanalyse. En effet, elle y révèle, sans le vouloir, les antinomies sociales au sein même de l'individu. Tenter de sociologiser les concepts de la psychanalyse équivaudrait dès lors à couper la psychanalyse de ses possibilités critiques. En injectant des notions sociologiques dans la théorie psychanalytique, l'école néo-freudienne (Fromm, Horney, Sullivan, Thompson) se rend coupable d'une confusion des genres et nivelle la psychanalyse à son contexte social.
L'école néo-freudienne part du constat que l'individu et sa névrose sont, dans une très large mesure, déterminés par les caractéristiques de l'environnement. Mais en arrachant l'individu à son histoire naturelle et en évacuant la théorie de la libido au bénéfice d'une psycho-sociologie irréfléchie, les néo-freudiens finissent par masquer ces mêmes problèmes sociaux qu'ils voyaient à l'origine de la souffrance et de la maladie. La théorie des pulsions et la théorie de la libido sont remplacées par une conception sociologique de l'individu qui emprunte en fin de compte ses concepts à la société critiquée. On y trouve, entre autres, les concepts de santé, d'efficacité sociale, de réussite professionnelle, de jouissance de la consommation (6); autant de notions qui réintroduisent les traits de la morale sociale que la psychanalyse était censée combattre. Dans ce sens, la dénaturalisation et le sociologisme du néo-freudisme transforment, sans le vouloir et surtout sans le savoir, la cure analytique en une pratique d'adaptation sociale aveugle. D'après Marcuse, la sociologisation de la psychanalyse conduit, paradoxalement, à une annulation de l'intérêt sociologique de la psychanalyse.
À la lecture de Matérialisme dialectique et psychanalyse, nous remarquons qu'en 1927, presque trente ans avant Éros et Civilisation, Reich entrevoyait déjà le problème de l'articulation de la psychanalyse et de la sociologie marxiste de la même manière. Dans ce texte, Reich remarque d'emblée que la psychologie individuelle, étayée sur une théorie de la libido, c'est-à-dire sur une théorie de la nature pulsionnelle de l'individu, ne doit pas être confondue ni avec une sociologie, ni même avec une psychologie sociale. Il ne faut pas tenter de dépasser la division du travail entre sociologie et psychologie d'une part, entre analyse des phénomènes de masse et des phénomènes individuels d'autre part. En refusant la sociologisation de la psychanalyse, le freudo-marxisme de Reich évite l'écueil du néo-freudisme. Reich reconnaît le danger d'une confusion des genres. Sa question est la suivante : comment rapprocher une psychologie individuelle de la sociologie, compte tenu de la différence fondamentale de leurs catégories ? Par cette question, Reich se heurte aux critiques des psychanalystes, à celles des marxistes officiels et à celles des communistes.
La psychanalyse est née d'une praxis particulière, d'un rapport entre deux individus. Dès lors qu'elle tente de dépasser ce cadre, elle se voit contrainte, en tant que psychanalyse, d'extrapoler ses concepts, ses catégories et sa méthode. Une réflexion psychanalytique portant sur des faits sociaux, culturels ou historiques s'écarte de cette praxis qui la légitime. Elle devient une simple théorique appliquée et se met à reproduire les méprises de l'idéalisme. En dehors du champ de sa pratique, la psychanalyse risque de devenir une conception du monde psychologiste. Les faits sociaux, politiques et historiques y sont réduits à de simples phénomènes psychiques, et la psychologie, ou la psychanalyse, se voient élevées au rang de sciences universelles.
Un problème similaire se pose quand, au sein même de l'analyse psychologique, la psychanalyse tente de rendre compte des phénomènes de la psychologie des foules. Car même à ce niveau, la psychanalyse s'éloigne de son expérience spécifique et se condamne à l'extrapolation. Ainsi, des faits tels que la conscience de classe, les mouvements de masse, la grève ou la politique restent tout à fait inaccessibles à l'investigation psychanalytique. Il en va tout autrement pour les phénomènes de la psychologie sociale qui incluent des aspects individuels – Reich mentionne la question du Führer –, ou qui reposent sur l'expérience affective individuelle.
À côté du problème épistémologique de l'articulation de la psychanalyse au marxisme, nous devons prendre en compte une deuxième difficulté. À l'inverse du marxisme, la psychanalyse n'est pas, et ne veut pas être une pratique politique. Il ne s'agit pas d'affirmer par là qu'elle n'ait pas de répercussions politiques, ou qu'elle ne puisse s'accommoder de certaines orientations politiques. Mais du point de vue de la pratique politique, aucune collaboration entre marxisme et psychanalyse ne paraît envisageable a priori. Reich précise néanmoins à juste titre que le marxisme non plus ne saurait être réduit à une pratique politique. Au sein même du marxisme, il faut distinguer entre la praxis politique et la doctrine sociale. D'un côté, marxisme signifie praxis militante, de l'autre, science ou sociologie. Et c'est exclusivement dans ce contexte que la psychanalyse pourrait manifester son affinité avec le marxisme.(7) Si le marxisme, en tant que méthode d'investigation, s'intéresse aux phénomènes sociaux, la psychanalyse, en tant que méthode d'investigation, s'intéresse aux phénomènes psychiques qui se produisent dans une société. La psychanalyse n'est pas en mesure de concevoir les causes et les effets de l'économie capitaliste et de son organisation sociale et politique, de même que le marxisme, ne permet pas de comprendre les névroses, l'incapacité de travailler ou d'avoir des relations sexuelles.(8)
Malgré les profondes différences qui opposent la psychanalyse et le matérialisme dialectique, Reich soutient la possibilité, voire même la nécessité d'une collaboration des deux méthodes d'investigation. Si le marxisme se caractérise par son souci d'embrasser la totalité des phénomènes sociaux dans leurs rapports et interactions réciproques, il doit nécessairement reconnaître l'importance du fait psychologique aux côtés de l'appréhension historique, économique et politique du social. Dans le contexte historique de la fin des années vingt, cette idée devait forcément séduire les militants communistes, confrontés à l'intérêt croissant de la classe ouvrière pour le fascisme. Comment en effet, en adoptant un point de vue purement historique, économique ou politique, expliquer le fait que le parti qui représente les intérêts des ouvriers en vienne tout à coup à être boudé par ceux-ci, et cela non pas tant en raison d'une protestation, que sous l'emprise d'un enthousiasme qui n'a pu être ni anticipé, ni expliqué par la doctrine marxiste ? Reich répond à cette question en psychanalyste « orthodoxe » : si les prolétaires se méprennent sur leur vraie destinée révolutionnaire, c'est en raison d'une sexualité refoulée, qui trouve dans les figures de proue du fascisme une forme d'expression perverse et particulièrement efficace. Reich inaugure ici une orientation de recherche que ni Adorno, ni Marcuse ne remettront en cause.
Reich tente donc de monter que la psychanalyse peut colmater le trou épistémologique du marxisme, parce que, de par ses fondements, elle se conçoit comme psychologie dialectique parfaitement compatible avec la doctrine sociale du matérialisme historique. Si les marxistes ne s'intéressent pas à la psychanalyse, c'est qu'elle leur paraît d'emblée n'être qu'une « science bourgeoise » et par conséquent, une science idéaliste. D'après les marxistes, la psychanalyse serait une manifestation de la décadence (Untergang) de la bourgeoisie. Or à ce propos, Reich remarque bien qu'il en va de même pour la doctrine marxiste, qui participe elle aussi à cette décadence de la bourgeoisie en voie de disparition. Ce n'est d'ailleurs que grâce à son inscription dans cette situation historique particulière que Marx a pu voir et isoler la contradiction qui nourrit la société. La psychanalyse partage la situation historique et sociale de la doctrine marxiste. Ce qui la distingue du marxisme de ce point de vue, c'est qu'elle met à nu la contradiction sociale au sein même de l'individu. Pour ce qu'il en est de l'idéalisme supposé de la psychanalyse, il relève plutôt de l'ignorance de ses détracteurs (9) que la vérité de la théorie freudienne. On peut assurément trouver des effets secondaires et des digressions idéalistes en psychanalyse, mais la même chose est vraie pour le marxisme. Or, si l'on refuse de juger le marxisme uniquement pour ses égarements, il convient d'en faire de même pour la psychanalyse.
C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la tâche programmatique de Matérialisme dialectique et psychanalyse : « La tâche de ce traité consiste à analyser si, et dans quelle mesure, la psychanalyse de Freud entretient des liens avec le matérialisme dialectique de Marx et de Engels. »(10) Pour Freud, le communisme se nourrit du fantasme de l'amour mutuel, soumis à toutes les ambivalences de la « foule artificielle » (11). Inversement, pour les communistes, la psychanalyse représente la science des riches bourgeois névrosés, affranchis de tout véritable souci. Ce désœuvrement existentiel expliquerait par ailleurs l'importance que la psychanalyse accorde aux problèmes sexuels, c'est-à-dire sur les problèmes de personnes qui ne connaissent ni la faim, ni la précarité matérielle.
Notons néanmoins que dans son argumentation, Reich s'adresse moins aux psychanalystes qu'aux marxistes. Car il serait tout à fait possible d'envisager en même temps une interprétation psychanalytique de ce type de préjugé. Pour les préjugés de la bourgeoisie réactionnaire, Reich ne s'en prive pas en tout cas.(12) Il est clair qu'il reste plus prudent avec ses interlocuteurs marxistes, qu'avec les psychanalystes qui, en règle générale, font partie de la bourgeoisie, ou comme Reich lui-même, de la petite bourgeoisie. La perspective de l'investigation en devient plus claire : pour Reich, la valeur et le statut épistémologique de la psychanalyse se mesurent à l'aune du marxisme.
Pour démontrer le caractère matérialiste et dialectique de la psychanalyse, et pour souligner son utilité pour le marxisme, Reich procède en plusieurs étapes. Il s'intéresse tout d'abord à la nature épistémologique de la théorie psychanalytique elle-même, pour développer ensuite la nature dialectique de l'objet de la psychanalyse, à savoir la vie psychique. Finalement il énumère les rôles politiques que la psychanalyse pourrait adopter au sein d'une société socialiste.
Le fait que la psychanalyse soit une psychologie ne permet pas de conclure qu'elle soit idéaliste. La psychanalyse s'oppose certainement au matérialisme « naïf », au matérialisme mécanistique que Reich reconnaît chez certains critiques marxistes. Néanmoins, de ce point de vue, tout porterait à croire que la théorie marxiste elle-même serait idéaliste, car le matérialisme marxien ne ressemble en rien au matérialisme mécaniste du dix-neuvième siècle. Reich rappelle que dans la première thèse sur Feuerbach, Marx lui-même récusait ce type de matérialisme et reconnaissait partiellement la contribution critique de l'idéalisme. Marx y remarque en effet que le matérialisme traditionnel se limite à considérer la réalité sous forme d'objet, ou d'intuition. L'idéalisme a néanmoins permis de comprendre dans quelle mesure cet objet ne relève pas seulement du donné naturel, mais encore de la « production humaine ». Pour s'être arrêté à une conception abstraite, intellectuelle de cette productivité, l'idéalisme n'en a pas moins contribué à un dépassement du matérialisme « naïf » et par conséquent, à la naissance du matérialisme dialectique.
Marx ne récusait d'ailleurs nullement la réalité de la pensée. Si l'on s'en tenait à la conception marxienne du matérialisme telle qu'elle est présentée dans les premières pages de l'Idéologie allemande, on pourrait en effet penser que pour Marx, il existe une relation de causalité hiérarchique qui part du matériel et du biologique et qui aboutit aux phénomènes intellectuels.(13) Mais
Reich rappelle à juste tire que dans la troisième thèse sur Feurbach, Marx compte la pratique intellectuelle parmi les facteurs constitutifs de l'être humain. À défaut d'un changement naturel, à défaut d'un changement purement évolutif des conditions sociales, il serait inconcevable d'ignorer la nécessité de l'éducation de ceux qui sont censés faire la révolution. Il s'ensuit que si la condamnation marxiste de la psychanalyse reprend la critique mécanistique de la psychologie en général, elle ne recourt pas à des principes proprement marxiens. La réfutation marxienne du matérialisme « naïf » permet ainsi de rétablir la validité et la nécessité de l'objet de la psychanalyse, c'est-à-dire la vie psychique. Reich est assez subtil et fait preuve d'un certain humour quand il soutient que la critique « marxiste » des détracteurs de la psychanalyse s'oppose en premier lieu à la pensée marxienne. À cela, il rajoute l'idée que sans psychologie, le marxisme ne saurait concevoir ni la souffrance humaine, ni la conscience de classe. Par ce renversement dialectique de la situation, il semble non seulement difficile de disqualifier la psychanalyse, mais cette dernière semble presque devenue incontournable pour le marxisme.
La psychanalyse, remarque Reich, se fonde sur une doctrine des pulsions, et ces dernières, en tant que concepts limites entre le psychique et le somatique, relèvent du concept de libido. Et, il reste fidèle à Freud quand il remarque que la libido dépend des processus chimiques de l'organisme. Bien sûr, chez Reich, tout comme chez Freud par ailleurs, il s'agit moins d'une hypothèse scientifique à corroborer que d'une déclaration de principe, d'une orientation 'philosophique'. Pour reprendre la formule de Marx, nous pourrions dire que ce qui compte d'un point de vue philosophique, c'est l'idée que l'esprit soit d'emblée frappé par la malédiction du matériel et du charnel.(14) L'esprit, l'intellect, le psychisme dans leur ensemble sont transis de corporéité. Les preuves expérimentales sont hautement appréciées, mais ni Freud, ni Reich ne les recherchent particulièrement.
La différence entre Freud et Reich tient au sens philosophique qu'ils accordent à la base naturelle de l'être humain. Si pour Freud le concept de nature reste pris dans l'histoire de la métamorphose de la philosophie transcendantale de la nature, ainsi que le montre Odo Marquard (15), le concept de nature chez Reich semble d'emblée moins abstrait du fait de sa signification marxienne. Si, pour reprendre l'expression de Marquard, la philosophie de la nature transcendantale peut disposer d'une philosophique politique, mais elle ne peut pas constituer une philosophie politique. La philosophie de la nature de Reich, par contre, est politique. De cette manière, il peut libérer la psychanalyse de l'abstraction d'une nature non historique et aborder la nature (sociale) extérieure sans le pessimisme freudien.
Précisons néanmoins que le concept freudien de nature reste ambigu quand on s'en tient à la notion de « destin de la pulsion ». Reich se sert de cette ambiguïté pour y introduire sa propre conception dialectique – au sens marxien du terme – de la théorie de la libido. Les pulsions sont doublement dialectiques. Elles le sont d'abord en raison de leur division en deux catégories opposés – les pulsions libidinales et les pulsions du Moi, ou les pulsions libidinales et les pulsions de mort –, et elles le sont ensuite en raison de la médiation sociale qui scelle leur destin.
Le développement et la vie psychique de l'individu sont animés par le combat de pulsions antagonistes, et ce combat se manifeste concrètement à partir de l'être social. Tout comme Adorno le formulera à propos du concept de « fait social » (Durkheim, 17), Reich estime que la société, c'est ce qui fait mal (16) :
Par la notion de « principe de réalité », Freud a résumé toutes les restrictions et nécessitations sociales qui rabaissent les besoins ou en diffèrent les satisfactions. (17)
Le principe de réalité résulte bien d'un « apprentissage biologique » chez Freud (18), mais il est façonné par le contact avec le monde extérieur dont il reprend la facture. C'est la raison pour laquelle le fait de faire un pas de plus dans le sens de l'interprétation sociale du principe de réalité ne s'oppose nullement à la définition freudienne. Ainsi, la signification sociologique et politique du conflit individuel pourra se manifester. Néanmoins, il ne s'agit pas encore pour Reich de déchiffrer les antinomies sociales à partir des antinomies de l'individu socialisé, ainsi que le feront Adorno et Marcuse.
Le caractère social du principe de réalité reste formel, observe Reich, aussi longtemps qu'on se refuse d'y inclure les caractéristiques de la société en question ; la société en question étant, évidemment, celle du mode de production capitaliste :
Concrètement : le principe de réalité du capitalisme requiert de la part du prolétaire une restriction maximale des besoins, en appelant pour cela à des sommations religieuses de soumission et d'humilité. Il requiert aussi un rapport sexuel monogame et d'autres restrictions de ce type.(18)
Mais outre l'aspect formel de l'adaptation au monde ambiant, le principe de réalité se caractérise par sa teneur sociale et historique concrètes. C'est cette dimension concrète qui porte la signification politique du principe de réalité. Si le principe de réalité constitue la « somme des préjugés » (Lacan) sociaux, la position que l'analyste, ou que l'éducateur adoptent par rapport à ce principe équivaut à une décision politique :
Si l'on forme le prolétaire à ce principe de réalité, si on le lui impose par exemple en tant que nécessité culturelle absolue, on affirme et souscrit à son exploitation, on soutient la société capitaliste. [...] Autrefois, le principe de réalité avait d'autres contenus qu'aujourd'hui, et il changera avec les changements de l'ordre social. (19)
Ce qui vaut pour le principe de réalité, se confirme aussi quant au principe de plaisir. Le principe de plaisir à son tour doit être conçu comme un donné naturel, façonné par la nature sociale de l'homme. C'est la raison pour laquelle l'intérêt de la psychanalyse se porte d'avantage sur le destin de la pulsion que sur son fondement proprement biologique, biochimique ou physiologique, dont on peut penser qu'il est plus ou moins identique chez tous les êtres humains.
Reich étend cette articulation du psychique (mais aussi du biologique) et du social au concept fondamental de la métapsychologie freudienne, c'est-à-dire au concept dynamique de l'inconscient.
Tout comme les représentants de l'École de Francfort, Reich insiste sur le double caractère du Ça freudien. D'une part, le Ça constitue une sorte de mémoire générique, biologique de l'espèce et de l'autre, en tant que résultat du refoulement, il est soumis à la variabilité historique. Or, le refoulement découle des nécessités de l'éducation. C'est au sein de la famille, au sein de l'école, et dans les différents groupes sociaux auxquels participe l'enfant, que l'interdit des pulsions trouve sa source. Évidemment, du fait de son origine corporelle, la pulsion ne peut pas être supprimée par le refoulement. Dans le meilleur des cas, le refoulement étouffe sa première forme d'expression. En règle générale, le refoulement conduit au retour du refoulé, avec un déplacement (Verschiebung) plus ou moins symptomatique. Freud soutenait par ailleurs que parmi les différentes pulsions, la pulsion sexuelle s'avère être la pulsion la plus plastique. La faim et la soif ne tolèrent guère de véritable déplacement, et sont tout aussi récalcitrantes à la temporisation. Dans cette optique, le Moi ne constitue guère plus qu'une « zone tampon » entre les revendications « morales » de la société, se concentrant au niveau du Surmoi, les nécessités biologiques, et les désirs qui agitent le Ça.
Grâce à cette conception dialectique du psychisme, la psychanalyse en arrive à résoudre la question de la transmission de l'idéologie que la doctrine sociale marxienne n'est pas parvenue à élaborer de manière satisfaisante. En attribuant l'imprégnation idéologique à la famille, Reich inaugure un thème qui caractérise le freudo-marxisme dans son ensemble, et cela, des Études sur l'autorité et la famille de l'École de Francfort aux théories de la socialisation de Lorenzer. Citons ce passage dans son ensemble :
La famille, imprégnée des idéologies de la société, constituant le germe idéologique de la société, est le premier représentant de la société en général pour l'enfant, et ceci, avant même qu'il n'intègre le processus de production. La relation œdipienne ne comporte pas seulement les données pulsionnelles, mais la manière dont l'enfant vit et dépasse le complexe d'Œdipe est déterminé aussi bien par l'idéologie sociale générale, que par la position des parents dans le processus de production. En fin de compte, les destins du complexe d'Œdipe s'avèrent, comme tout le reste, dépendants de la structure économique de la société. (20)
Cette interprétation suppose implicitement qu'à une certaine étape historique du processus de production, la cellule familiale ne soit plus en mesure de protéger l'enfant contre la société. L'idéologie sociale informe d'emblée les conflits pulsionnels les plus primitifs. Dans cette mesure, la socialisation de l'enfant équivaut à une idéologisation, au sens marxien du terme, et à une aliénation.(21) Or, il semble impossible dans ce cas de concevoir une position extérieure à l'idéologie. La critique marxiste ou freudo-marxiste ne pourra plus invoquer une nature naturelle, une nature pure ou une nature vierge comme point d'ancrage de son argumentation. Face à la médiation idéologique absolue, le retour du refoulé et le symptôme semblent constituer la dernière possibilité d'un en-deçà de l'idéologie. Si la nature (sociale) équivaut à l'aliénation, seul le symptôme pathologique permet de donner la mesure de ce qu'il pourrait en être d'une autre nature, non aliénée. La Dialectique de la raison de Horkheimer et d'Adorno aussi bien que l'Éros et Civilisation de Marcuse développeront cette idée, et en feront la base de la critique du néo-freudisme par l'École de Francfort.
Pour Reich, la question de la nature épistémologique de la psychanalyse semble dès lors réglée. Loin d'être une « science bourgeoise » ou idéaliste, la psychanalyse équivaut à une conception matérialiste, au sens marxien du terme, de l'homme. L'être humain de la psychologie psychanalytique n'est pas un esprit ou un être de pure raison, mais un être charnel, un être déterminé par des pulsions. Les pulsions elles-mêmes, en dehors de leur origine biologique, sont déterminées par la médiation sociale, c'est-à-dire, plus concrètement, par l'aliénation et par l'idéologie. Ainsi, l'idée d'une pulsion purement naturelle reste abstraite, car quel que soit l'âge de l'enfant, ou la culture à laquelle il appartient, le destin de la pulsion se révèle toujours lié aux différentes étapes de la socialisation. Le psychisme de la psychanalyse se conçoit comme articulation de la nature intérieure (biologique) et de la nature extérieure (sociale) de l'homme. (Ne devrait-on pas penser, en adoptant ce point de vue, que la notion de « sujet » appartient nécessairement à une théorie idéaliste de la psychanalyse ? Lacan en tout cas ne s'en défend qu'au prix d'un concept de structure et de discours qui conduisent à une idéalisation du monde en général. À l'instar du monde hégélien, l'idéalisme s'y manifeste sous le masque d'un matérialisme « singulier  » du signifiant [22].)
La conception dynamique de l'inconscient est non seulement matérialiste, mais elle est également dialectique. Il ne suffit pas d'un interdit ou de l'introjection d'un interdit pour donner lieu à un symptôme névrotique. Pour qu'il y ait symptôme, le refoulé doit resurgir et reproduire la pulsion interdite sous forme « déplacée ». Le Moi faible de l'enfant fournit le terreau le plus propice pour ce type de phénomène. Confronté à l'interdit, l'enfant se trouve partagé entre la tentation de satisfaction de la pulsion et la satisfaction de la demande extérieure, teintée d'amour ou de crainte. Dans ce conflit psychique, l'« oubli », ou le devenir inconscient opère comme une première étape de la résolution du problème. Bien évidemment, ce changement de mode de la pulsion et de l'interdit ne permet pas de résoudre le conflit, il permet tout au plus de le déplacer. La réapparition du refoulé tient compte aussi bien de la revendication de la pulsion que de l'obligation de l'interdit. Reich remarque que le symptôme se conçoit comme une négation de la négation. Dans le symptôme, la pulsion refoulée et l'interdit refoulant sont relevés (aufgehoben) par une figure nouvelle. Mais cette relève (Aufhebung) n'équivaut pas à une solution réussie. Dans une certaine mesure, la pulsion et l'interdit ont été satisfaits par le symptôme, mais le conflit n'en reste pas moins actif. Le symptôme reste ambivalent, et le déplacement de la pulsion implique souvent, par là-même, une décontexualisation (Alfred Lorenzer). Le symptôme apparaît comme un « corps étranger », comme un phénomène psychique dérangeant, dépourvu de sens.
Comme nous l'avons vu, ce conflit psychique se conçoit comme un conflit entre le moi pulsionnel, ou le « moi plaisir » (Lust-Ich) de l'enfant, et la revendication des parents. Les parents, comme représentants d'une société concrète, c'est-à-dire d'un mode spécifique de production, confèrent un sens social très concret à ce conflit. La fonction protectrice de la famille s'amenuise et ouvre ses portes aux impératifs sociaux et économiques du « monde extérieur » (il s'agit là, d'après la formulation de Marcuse, du « totalitarisme » des civilisations avancées [23]). Lors de la socialisation indispensable de l'enfant, les parents agissent ainsi comme premiers agents idéologiques. Le destin des pulsions ne constitue pas une donnée purement naturelle, mais résulte, inclusion faite de ses différentes étapes, de ses différents stades, de conflits psychiques éveillés suite au refus de la satisfaction pulsionnelle. (24)À l'instar du marxisme, la psychanalyse découvre que la conscience de l'homme est déterminée par son être ; en y rajoutant toutefois les données concrètes du développement de l'enfant.
Cette dialectique permet de préciser la notion de pulsion. La pulsion constitue une « forme vide », une poussée vide remplie par des contenus sociaux. Selon le type de pulsion, le contenu et même le but de la pulsion peuvent s'écarter de la détermination biologique, et porter au-delà du principe de plaisir. Et l'on pourra se demander à juste titre avec Lacan si, dans la mesure où le principe de plaisir représente l'aspect biologique de l'homme, une telle pulsion socialisée ne s'étend pas au-delà du principe de plaisir. La différence entre la position lacanienne, et celle défendue par Reich, par Horkheimer, Adorno et Marcuse tient à l'interprétation de la nécessité de cet arrachement au principe de plaisir, c'est-à-dire du clivage entre la nature biologique et la nature sociale de l'homme. Chez Lacan cette aliénation devient nécessaire en raison de l'hypostase d'une structure langagière radicalement autonome et anhistorique. Contrairement à Lacan, Reich et les penseurs de l'École de Francfort analysent la médiation économique et historique de cette aliénation. Le clivage conflictuel entre la nature biologique et la nature sociale résulte moins de la nature apriorique du langage que d'un renversement historique et dialectique de la « raison ». De ce point de vue, l'hypostase lacanienne de l'aliénation constituerait, selon les termes de Reich, une souscription non critique à l'exploitation.(25)
La dialectique psychique que Reich développe aide à comprendre la dialectique sociale du transfert de l'idéologie. Marx soutenait que l'être matériel de l'homme se transforme en pensées dans sa tête. La psychanalyse montre dans quelle mesure la socialisation psychique façonne cette traduction, mais elle explique aussi comment le psychique, à son tour se répercute sur le social. Dans ce contexte, la théorie de la sublimation paraît particulièrement importante. La sublimation relève d'un « destin de la pulsion » qui inclut la rétroaction de la socialisation psychique sur le social. De par sa définition freudienne, la sublimation constitue une « modification du but et de l'objet de la pulsion », une modification « qui prend en compte notre évaluation sociale ».(26) Grâce à la sublimation, les pulsions sexuelles peuvent être déplacées de manière à contribuer aux « créations culturelles, artistiques et sociales les plus hautes de l'esprit humain ».(27) D'après Freud, la culture, la civilisation, s'instituent à partir de la « Lebensnot » et au prix de la satisfaction des pulsions sexuelles. À ce propos, il est en effet possible de constater une convergence entre la conception freudienne de la civilisation et la conception marxienne :
Pour les allemands, affranchis de toute présupposition, nous devons commencer par constater la première condition de toute existence humaine, et de toute histoire, c'est-à-dire le fait que les hommes doivent être en mesure de vivre pour pouvoir « faire l'histoire ». Pour vivre il faut néanmoins d'abord manger et boire, il faut habiter, s'habiller et ainsi de suite. (28)
La Lebensnot et le travail qu'elle requiert exigent une maîtrise rationnelle des pulsions. De ce fait, les pulsions sexuelles sont vouées soit au refoulement, soit à la sublimation. Elles y sont presque prédestinées en raison de leur grande plasticité. Grâce à la sublimation, les pulsions sexuelles, déplacées au niveau de l'objet et du but, peuvent être mises au service du travail. Il en résulte que la sublimation contribue à la répression. À l'instar du paradoxe du Surmoi, la répression sociale des pulsions se nourrit ainsi des pulsions qu'elle interdit. C'est ce mécanisme de répression-sublimation-répression qui explique, d'un point de vue psychologique, la naissance du clivage entre le naturel et le social dans l'aliénation. Par là même, l'interdit de la satisfaction des pulsions s'écarte de plus en plus de sa motivation rationnelle – de la Lebensnot –, pour devenir raison pure, détachée de l'être charnel de l'homme. La « structure symbolique » de Lacan revendique le détachement et la purification les plus forts de cette rationalité, sans pour autant la réinscrire dans le contexte économique et social qui la conditionne. Ce faisant, la théorie lacanienne s'interdit toute véritable critique sociale et travaille, sous son masque révolutionnaire, à la conservation de l'ordre « déjà établi » (29).
Reich ne développe certainement pas cette interprétation du clivage à la manière de la Dialectique de la raison, mais il n'en pose pas moins déjà le problème. Les quelques remarques plutôt allusives à ce propos (30) concernent surtout l'un des concepts fondamentaux de la psychanalyse freudienne, à savoir le complexe d'Œdipe. Reich affirme, contre la biologisation et l'universalisation du complexe d'Œdipe par Ernest Jones, que la forme concrète aussi bien que l'existence même du complexe reposent sur des conditions sociales particulières. Avant Fromm, Reich souscrit à la position de Malinowski, en affirmant que le complexe d'Œdipe caractérise exclusivement les sociétés patriarcales. Il s'ensuit qu'une société socialiste, qui ne se fonde plus sur la famille patriarcale exclut par là même l'existence du complexe. La conception freudienne de la horde originelle, censée fonder le concept du complexe d'Œdipe, néglige le fait des sociétés de droit maternel. Si la psychanalyse veut rester fidèle à ses bases dialectiques, elle ne doit pas exclure le complexe d'Œdipe de la médiation sociale.(31)
Ainsi, Reich en vient à répondre à la question de l'origine sociale de la psychanalyse et à celle de sa position sociale. À l'instar de la pensée marxienne, la pensée freudienne est « un produit de l'époque capitaliste ». Et même si la psychanalyse se désintéresse des bases économiques de la société, elle ne constitue pas moins « une réaction au contexte culturel et moral au sein duquel vit l'homme social ». D'après Reich, la psychanalyse est née de la métamorphose réactionnaire de la bourgeoisie, issue de la consolidation capitaliste au xixe siècle. En reprenant à son compte aussi bien les habitudes et les besoins culturels de la vie féodale que la morale sexuelle prônée par l'église, la bourgeoisie finissait par enterrer ses convictions révolutionnaires et progressistes. D'un point de vue psychanalytique, la classe bourgeoise se caractérise surtout par l'étriquement de sa sexualité. La duplicité du « choix de l'objet chez l'homme », décrite par Freud (32), qui frustre la bourgeoise du rapport sexuel et rend la prolétarienne d'autant plus désirable, trouve ses racines sociales dans le retour de la morale conservatrice. La récusation de la pathologie hystérique – pathologie sexuelle par excellence – par les scientifiques est due aux mêmes raisons.(33) De même que le marxisme se conçoit comme une prise de conscience des lois économiques, la psychanalyse se conçoit comme une prise de conscience de la répression sociale de la sexualité.
La psychanalyse freudienne, tout comme le marxisme, ne suscite pas vraiment l'enthousiasme de la classe bourgeoise – des scientifiques, des médecins, ou des psychiatres – ni celui de la petite bourgeoisie « plus catholique que le pape » (« päpstlicher als der Papst » [34]). S'il arrive que la psychanalyse y soit acceptée, c'est toujours au prix de bon nombre de « mais », et dont le premier se rapporte systématiquement au « mythe fluidique » de la libido. Dans la société capitaliste, la psychanalyse est mutilée par l'élimination de sa théorie de la libido et de la sexualité infantile, pour devenir une psychologie générale ou une psychopathologie « scientifique ».
Or, comme selon Reich, seul le socialisme marxien permet un libre développement de l'intelligence et de la sexualité, la psychanalyse n'a d'avenir qu'au sein d'une véritable société socialiste (35). Ce n'est qu'au sein d'une telle société que la psychanalyse pourrait réaliser sa véritable vocation, à savoir celle de contribuer à la recherche sur les origines de l'humanité, de contribuer à l'hygiène psychique, à la prophylaxie des névroses et au fondement de l'éducation socialiste en général.
Si l'on fait abstraction de cette fonction politique utopique de la psychanalyse, il semble difficile de nier que le freudo-marxisme de Reich précède et anticipe la philosophie critique de l'École de Francfort. Le freudo-marxisme de Reich n'est pas une psychanalyse appliquée aux phénomènes sociaux, mais un tentative de concevoir les possibilités critiques de la psychanalyse au moyen d'une interprétation marxienne de sa théorie. Reich conçoit la psychanalyse comme une théorie et une pratique critiques susceptibles de fournir un modèle opérationnel pour une critique de l'idéologie ; idée toujours soutenue par Habermas et par K.-O. Apel (36). La critique du révisionnisme psychanalytique entamée par Reich démontre, bien avant Adorno et Marcuse, que la suppression de la théorie de la libido correspond à une reconnaissance implicite et masquée de l'aliénation. Et comme cette suppression se justifie en règle générale d'une critique de la scientificité de la doctrine des pulsions, elle permet en même temps de verser une lumière nouvelle sur l'idée d'une psychanalyse scientifique.



1.) Bernard Görlich, « Die Kuluralismus- Revisionismus-Debatte », B. Görlich, A. Lorenzer, A. Schmidt, Der Stachel Freud, 1980, Francfort, Suhrkamp, p.27.
2.) Sigmund Freud, « Zur Frage der Laienanalyse » (1926), S. Freud, Studienausgabe Ergänzungsband, 1984, Francfort, Fischer.
3.) Wilhelm Reich, « Dialektischer Materialismus und Psychoanalyse » (La crise sexuelle, 1933, Paris, Éd. sociales), Unter dem Banner des Marxismus, 1929. Nous citerons d'après les livret de l'édition de 1934, Bremen, Plopp.
4.) Herbert Marcuse, Eros and Civilisation, 1955, 1956, Londres, Routledge & Keagan Paul, pp. 238-274.
5.) Marcuse, op.cit., p. 246.
6.) Voir à ce propos Th. W. Adorno, Minima Moralia, § 38, 1951, 1988, Francfort, Suhrkamp, p.73.
7.) Il est vrai que Reich avoue explicitement vouloir déterminer dans quelle mesure la psychanalyse peut contribuer à « la révolution prolétarienne et au combat des classes ». Mais cette contribution ne sera jamais directe, au sens où la psychanalyse travaillerait à une sorte de prise de conscience des vérités marxistes. La question est de savoir dans quelle mesure la psychanalyse, en tant que psychanalyse, peut contribuer à la révolution.
8.) Il faut noter que la position de Reich est très différente dans La révolution sexuelle (1927).
9.) Psychoanalyse und dialektischer Materialismus, p. 6. Reich mentionne l'interprétation de la psychanalyse par de Mans, que Deborin confond avec la théorie freudienne (« Ein neuer Feldzug gegen den Marxismus », in Unter dem Banner des Marxismus, Jhg. 2, cahier 1/2).
10.) Ibid., p. 3.
11.) Vers la fin du cinquième chapitre du Malaise dans la civilisation par exemple, Freud remarque que le « communisme pense avoir trouvé la solution au malaise » grâce à la conviction que l'homme est foncièrement bon, et qu'il a uniquement été perverti par la propriété privée. Or la pulsion agressive ne date évidemment pas de l'invention de la propriété privée, et elle ne disparaîtra pas non plus avec l'abolition de celle-ci. (Sigmund Freud Studienausgabe, 1974, 1982, Fancfort, Fischer, pp. 242, 243.)
12.) Dans La psychologie de masse du fascisme, Reich argumente en tant que psychanalyste. On y trouve une interprétation tout à fait traditionnelle du refus de la théorie psychanalytique de la sexualité. La défense psychique y est assimilée à la réaction politique.
13.) Marx Engels Werke 3, 1990, Berlin, Dietz Verlag, p. 28.
14.) MEW 3, p.30
15.) Odo Marquard, Transzendentaler Idealismus, romantische Naturphilosophie, Psychoanalyse, Verlag für Philosophie/Jürgen Dinter, 1986, Köln.
16.) Th. W. Adorno, Einleitung in die Soziologie, Nachgelassene Schriften IV, 15,1993, Francfort, Suhrkamp, cours du 7.05.1968. Wilhelm Reich, op.cit., p.11. Cette conception du monde est en fait tout à fait « freudienne ». Il suffit de se rappeler que dans Triebe und Triebschicksale, Freud décrit le processus de la constitution du monde extérieur chez l'enfant à partir de l'opposition plaisir/déplaisir. Le plaisir y est situé du côté d'un « Lust-Ich », le déplaisir et la douleur du côté du monde extérieur. Cf. Triebe und Triebschicksale, in Studienausgabe III, 1975, Francfort, Fischer, pp. 95-96.
17.) « Par la formule de “principe de réalité”, Freud a résumé toutes les restrictions et nécessitations sociales qui rabaissent les besoins ou en diffèrent les satisfactions », Psychoanalyse und dialektischer Materialismus, p. 11.
18.) Ibid., p. 11.
19.) Ibid., p.12.
20.) Ibid., p.16.
21.) C'est toute la différence entre la position du freudo-marxisme, qui attribue l'aliénation à des conditions sociales et historiques particulières, et Lacan qui, partant du même constat, hypostasie l'aliénation comme effet de langage. Si l'on voulait supprimer l'ambiguïté de la notion d'aliénation sur laquelle jouent les formulations lacaniennes, les deux approches pourraient en effet s'avérer non contradictoires. Mais c'est dans ce petit détail que réside la profonde différence des deux positions. Lacan n'est pas, ainsi que l'affirme Roudinesco (Pourquoi la psychanalyse?, p.165), un « héritier direct » de l'École de Francfort. Bien au contraire !
22.) Voir Jacques Lacan, Écrits, 1966, Paris, Seuil, p. 24.
23.) Grâce à Pierre Bourdieu, cette thèse a été empiriquement corroborée. Dans ses analyses du système des grandes écoles et de la « noblesse d'État » en France, Bourdieu a montré de manière convaincante comment une carrière couronnée de succès se prépare dès la plus tendre enfance. Voir par exemple Homo academicus, 1984, 1992, Paris, Minuit.
24.) Ibid., p. 24.
25.) C'est ce que nous avons essayé de montrer au moyen d'une relecture systématique des séminaires inédits de Lacan dans La psychanalyse théorique ou les coulisses du lacanisme, Éd. du Cerf, Collection « Passages », Paris 2000.
26.) Freud, Neue Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, xxxiie conférence, Studienausgabe I, p. 530.
27.) Vorlesungen zur Einführung der Psychoanalyse, ie conférence, Studienausgabe, t. I., p. 48.
28.) MEW 3, p.28.
29.) Voir Séminaire IV, p. 50, Télévision, pp. 28, 51, etc. Ceci dit, il reste tout à fait possible d'interpréter les aspects les plus réactionnaires de la pensée lacanienne comme indices d'un symptôme social qui reste à déchiffrer. Une telle relecture s'avère néanmoins bien plus difficile chez Lacan que chez Freud, car, tout comme les néo-freudiens, Lacan débarrasse la psychanalyse de la théorie de la libido pour y substituer des catégories lingustiques et socio-linguistiques.
30.) Reich, Psychoanalyse und dialektischer Materialismus, p. 29.
31.) Ibid., p. 30.
32.) « Über einen besonderen Typus der Objektwahl beim Manne », Gesammelte Werke VIII, 1978, Francfort, Fischer pp. 66-77, ou bien Beiträge zur Psychologie des Liebeslebens, 1988, Francfort, Fischer, pp. 9-18. Freud y décrit le clivage de la représentation de la femme chez certains hommes. D'un côté, il y a l'épouse respectée, voire idéalisée, de l‘autre, la prostituée, ou la « coquette ».
33.) Cf. Pierre-Henri Castel, La Querelle de l'hystérie, 1998, Paris, Puf.
34.) Ibid., p. 33.
35.) Reich, op.cit., p. 35.
36.) Cf. p.ex K.-O. Apel, Transformation der Philosophie II, 1973, Francfort, Suhrkamp, pp. 123, 126-127, 143, 144, etc.

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