Category Psychothérapie

Le nomos des maladies : la dialectique du social

Le nomos des maladies : la dialectique du social

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 18)

Appeler des usages plus ou moins réguliers mais pleins d’irrégularités, des « lois », ainsi qu’on le fait en sciences sociales, revient en fait à parler de conventions variables à travers le temps, l’espace et le milieu. La loi du social, le nomos, ce qui fait que l’humain émerge à la vie en société, la raison humaine qui informe tout rapport social, ce qui rend possibles autant que nécessaires ces conventions, c’est autre chose.

Ce qui importe d’un point de vue sociologique, ce n’est pas d’être quantifiable, comme peuvent l’être des individus et des collectivités, mais de compter et d’avoir des comptes à rendre, en tant que personne.

En plus, on existe socialement chaque fois sous certains regards mais pas sous d’autres : aucun acteur social n’interagit en bloc avec d’autres acteurs sociaux. Quand je reçois des analysants, je suis là à titre de psychanalyste ‒ et il reste à voir ce que cela signifie concrètement : mon rôle n’est pas unidimensionnel et peut varier selon les cas. Quand je vais faire des courses, je suis là en tant que client et je n’agis pas au supermarché comme chez le boulanger. Quand je rencontre la famille de mon épouse, je suis là au nom d’une alliance. Quand je regarde le foot, je deviens supporter de la Gantoise, enfin quand ils jouent. Et la plupart du temps, j’agis sans doute à plus d’un titre à la fois, en occupant plus d’une place, ou j’agis dans l’impossibilité d’occuper toutes celles qu’il faudrait à la fois, malgré moi. Et pourtant, c’est toujours « moi », en vertu du fait qu’une continuité corporelle subsiste à travers l’éclatement possible des places que j’occupe socialement. En gros, je m’y retrouve mais sans coller à mon corps. Sauf maladie. Eh oui.

Le nomos des maladies : la personne, no body in particular

Le nomos des maladies : la personne, no body in particular

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 17)

Cherchez du social, et que trouverez-vous ? Des individus, des collectivités? Des usages étanches, des institutions au sens durkheimien du mot, des institutions qui déterminent des êtres qui sinon ne seraient que des individus hors société ? Non, plutôt des divergences et des convergences, peu importe le nombre d’individus positivement dénombrables, n’en déplaise aux statisticiens. Plutôt des acteurs capables d’instituer des frontières, de creuser des fossés, mais aussi capables et contraints à la fois de franchir les frontières, de bâtir des ponts. Quant aux malades, pervers et psychotiques, ils ne font jamais autre chose qu’exacerber ces tendances opposées.

La dicée des maladies : introduction à l’explication dialectique bis

La dicée des maladies : introduction à l’explication dialectique bis

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 15)

Poussé par les pulsions, activement à la recherche du plaisir, l’humain, normalement, ne peut s’empêcher de refouler ‒ et de se compliquer la vie. Freud l’a très bien vu. Et tout comportement humain peut dès lors être envisagé comme une formation de compromis, entre la pulsion qui pousse et met en branle et le refoulement qui arrête : se satisfaire oui, mais avec mesure, autrement.

Soit, en termes médiationnistes axiologiques : l’humain ne valorise pas uniquement la plus-value qui l’oriente le prix qu’il paie par, mais il accède à l’univers de la faute et de la perte. Il fait face au manque, inconnu des animaux. Il s’intéresse à ceci ou cela qui lui fera plaisir, mais il est traversé, clivé même, par ce sentiment impérieux qu’« il faut ». Tout comportement devient interprétable, toute décision questionnable. Et pour cause : tout comportement n’est qu’un effet de cens, il présuppose et la quête active du plaisir et le manque qui commande une abstinence. Il résulte d’une contradiction à surmonter entre un premier temps, l’activité intéressée (le prix payé pour un bien), et un deuxième temps, le rationnement éthique (la formalisation structurale des prix et des biens, le fait qu’un prix n’en soit pas un autre, qu’un bien n’en soit pas un autre).

Le nomos des maladies : autonomie et hétéronomie

Le nomos des maladies : autonomie et hétéronomie

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 16)

 

Quelles que soient les configurations historiques que l’on étudie, quelle que soit l’échelle de grandeur envisagée dans le temps, l’espace et le milieu (le moyen âge, l’époque de la dynastie Ming, la présidence d’Obama … un village provençal, la ville de Barcelone, l’Europe … la classe bourgeoise, les amis du musée, le club de karaté), on pourra toujours trouver des exceptions à la règle. On aura toujours des difficultés pour constater des usages auxquels chacun se conforme, imperméables à tout ce qui pourrait les modifier. Et on en conclura que la définition et la délimitation des configurations historiques est chose relative, et même enjeu de conflits.

Les sciences sociales n’arrivent jamais à établir une fois pour toutes ce que sont les configurations historiques qui les intéressent et elles passent même une bonne partie de leur temps à tenter d’en arriver là. Les frontières historiques (chronologiques, géographiques et stratiques) ne sont pas fixes, alors qu’on ne pourrait pas non plus prétendre qu’il n’y en ait pas.

 

La logique des maladies : introduction à l’explication dialectique

La logique des maladies : introduction à l’explication dialectique

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 14)

L’explication dialectique

La sociologie clinique que Jean Gagnepain propose est une théorie dialectique de la personne.

Le seul mot « dialectique » fait déjà fuir certaines gens. Précisons donc : cette dialectique ne libère aucun esprit qui vit dans l’ombre d’une grotte, elle n’arrache personne au monde illusoire des sens pour qu’il entame son ascension vers le monde olympien des idées pures à la manière du théoricien platonisant. Et précisons surtout : cette dialectique n’est nullement historique à la manière de Hegel ou de Marx. Cette dialectique ne va nulle part : rien n’est là pour y mettre fin dans des lendemains qui chantent. De même, rien non plus ne permet d’en situer la perfection à l’envers, dans le passé d’un âge d’or malheureusement déchu ou dans un paradis terrestre. Les temps de cette dialectique explicative sont purement logiques – ils servent à rendre intelligible aussi adéquatement que possible un fonctionnement, lui-même à titre d’hypothèse dialectique. Et que l’explication soit bonne ou non, de toute façon, l’humain fonctionne et dysfonctionne sans avoir besoin du théoricien pour mettre son monde en forme socialement.