La psychanalyse existe

Luxembourg, le 29 septembre 2014
La Commission parlementaire de la Santé, de l’Égalité des chances et du Sport va bientôt adopter une législation sur les psychothérapies dont l’effet – et peut-être l’intention – est de dépouiller une profession de sa diversité.
Cette diversité est officiellement affichée, de même que les intérêts des patients qui doivent être protégés d’apparents graves dangers de thérapeutes travaillant hors du cadre d’une “science” définie nulle part.
Mais de fait, les conditions d’accès à la formation, au titre et à la profession postulées par la nouvelle loi excluent, sans autre détour, tout psychothérapeute qui ne soit ni médecin, ni psychologue, ou qui n’ait pas fait ses études de psychothérapie à l’Université du Luxembourg.
Alors que la procédure législative est plus ou moins bouclée, la Commission de la Santé invite les représentants de quatre groupes de psychothérapeutes pour un dernier échange d’idées de 30 minutes.

La Société Psychanalytique du Luxembourg est consciente que sous sa forme actuelle, la loi Luxembourgeoise condamne l’avenir de la psychanalyse au Luxembourg. Ainsi, le Luxembourg sera le seul pays en Europe où de futurs psychanalystes ne pourront plus exercer du fait de ne pas avoir de formation calquée sur le modèle de Master en Psychothérapie de l’Université du Luxembourg. (Inversement, les personnes ayant réussi ce Master ne pourront le faire valoir nulle part ailleurs qu’au Luxembourg.)

Voici l’argumentaire critique de la S.P.L. adressée à la Commission de la Santé :

Aide-mémoire à l’intention de la Commission de la Santé, de l’Egalité des chances et des Sports

La psychanalyse existe, depuis plus de 100 ans.

Elle existe dans l’ensemble des pays occidentaux démocratiques, au même titre que nombre d’autres types de psychothérapie.

De manière générale, la formation à la psychanalyse n’est pas réservée aux médecins ni aux psychologues.

Cette formation est depuis plus de 100 ans assurée dans des instituts, des écoles et des associations non-universitaires.

En quoi consiste la formation psychanalytique ?

Elle inclut :

  • la psychanalyse personnelle, qui en constitue le fondement,
  • des cours théoriques,
  • des études de cas cliniques,
  • et une pratique supervisée et contrôlée.

Aucune école de psychanalyse, aucun institut de formation psychanalytique ne propose des cours spécialisés en diagnostic, ne fournit des ECTS, n’enseigne des stratégies, ni n’assure de formation en auto-apprentissage (article 4).

La question qui s’impose alors est celle-ci : la psychanalyse continuera-t-elle d’exister au Luxembourg une fois que la loi sur les psychothérapies sera votée ?

Non !

Les psychanalystes qui voudront exercer, travailleront dans l’illégalité, alors qu’ils sont dûment formés et que leurs services sont demandés et appréciés par le public. Et la même chose arrivera à beaucoup d’autres psychothérapeutes, pourtant formés et utiles.

Pourquoi seront-ils dans l’illégalité, pourquoi disparaîtront-ils?

1. Selon la loi (articles 2, 3 et 4), l’admission au titre et à la profession du futur psychothérapeute exige deux choses :
soit un Master de psychologie soit une formation de médecin, au départ ;
et puis, une formation universitaire en psychothérapie sur le modèle luxembourgeois avec des ECTS.

2. Or, de manière générale, les pays européens disposant d’une législation sur les psychothérapies n’interdisent pas aux non-psychologues et aux non-médecins l’accès à la formation, le port du titre et l’exercice de la profession de psychothérapeute.

Et à l’heure actuelle, la majorité des formations psychothérapeutiques en Europe n’est pas assurée par des universités. Dans les pays disposant d’une législation, la plupart des formations, inclusion faite de la psychanalyse, est assurée par des instituts privés, reconnus par les États respectifs.

En conséquence, la loi luxembourgeoise sur les psychothérapies fera que demain, aucun psychanalyste, qu’il ait suivi une formation en Europe ou ailleurs, ne saura faire valoir ses titres ou exercer sa profession au Luxembourg. Il pourra travailler en Belgique ou en France par exemple, mais pas au Luxembourg.

Est-ce vraiment cela que veut le législateur ?
Il est à notre sens parfaitement possible d’établir une législation sur les psychothérapies qui permette à terme d’organiser le remboursement de certaines formes de psychothérapie, sans du même coup criminaliser toutes les autres formes.

Les psychanalystes ne demandent qu’une chose : pouvoir continuer à travailler et à se former à la manière instituée, qui s’est avérée la plus adéquate pour leur pratique clinique.

Pour la S.P.L.

Jean-Claude Schotte
Psychanalyste
Docteur en philosophie
Licencié en lettres classiques
D.E.A. en linguistique
(Président de la SPL)
Thierry Simonelli
Psychanalyste
Docteur en psychologie
Docteur en philosophie

(Secrétaire de la SPL)

4 Comments

  1. N’étant pas dans la profession moi même, je crois quand même comprendre qu’il s’agit d’un mélange de clientélisme de la part des psychologues et des universitaires, et d’un manque désastreux de connaissances de la part des représentants du gouvernement. Le nom de “Freud” est pour ces derniers (et même les autres?) ou bien inconnu, ou connu que de l’école secondaire ou, pire, est associé à la “psychologie” qui entend se répandre ici au dépens des patients, en particulier, et de la vie culturelle, en général, au Luxembourg.
    La psychanalyse n’est pas une forme de psychologie, mais une des grandes acquisitions humaines des derniers 100 années. Que l’université – qui devrait se faire des soucis pour son image au niveau international si elle veut prendre sa place parmi les “institutions of higher learning”, comme le disent les Américains – soit associée à ce débâcle culturel et scientifique (et humain) représente un manquement grave. Tout ceci fait preuve d’un manque d’éducation, justement, quand même étonnant. Le clientélisme se nourrit de cette médiocrité plutôt lâche.
    En tant que Luxembourgeois qui a quand même passé un bon nombre d’années dans le milieu universitaire à l’étranger – je suis très déçu de ce que je viens juste de lire.

    • En fait la situation semble un peu plus compliquée.

      Il faut savoir que cette législation ne fait pas l’unanimité chez les médecins et les psychologues non plus. Ce serait faux de penser qu’elle est soutenue sans réserve par ces deux groupes professionnels. 

      Il existe de nombreux psychologues et médecins, même par-delà la Société Psychanalytique du Luxembourg, qui soutiennent la psychanalyse et qui s’offensent de cette loi. Ainsi, par exemple, la Société Luxembourgeoise de Psychiatrie, Pédopsychiatrie et de Psychothérapie (SPPP) s’est toujours montrée tout à fait favorable à la psychanalyse. (Sous certaines conditions, néanmoins : les psychanalystes, les psychothérapeutes en général, devraient intervenir selon le “principe de délégation », c’est-à-dire, que les psychothérapies seraient effectuées en vertu du diagnostic préliminaire d’un psychiatre et de certains médecins généralistes, qui déterminerait et le type de thérapie à appliquer et son « dosage », le nombre de séances.)

      Par ailleurs, ce n’est pas la psychanalyse en particulier qui est visée. Ce qui est en cause n’est rien de moins que la diversité de l’offre thérapeutique au Luxembourg. 

      La situation est plus compliquée parce qu’elle se décline en une partie officielle, en des prises de positions explicites et en une partie plus “technique”, dans l’articulation d’une loi énonçant des conditions et critères aux antipodes de la position officielle. 

      Le cas de la psychanalyse en fournit un exemple particulièrement frappant :

      La psychanalyse est nommée explicitement dans l’« exposé des motifs » du projet de loi du 6 juin 2013 : 

      « Des méta-analyses récentes ont pu établir de nombreuses preuves tangibles (evidence based)  de la validité spécifique et différentielle de quelques grandes orientations psychothérapeutiques, notamment les orientations comportementale et cognitive, systémique et familiale, expérientielle et centrée sur la personne ainsi que l’orientation psychanalytique et psychodynamique. » 

      De ce fait, et sans aucune référence à une quelconque étude, la psychanalyse se voit tout à coup mise du côté des  „Empirically supported Treatments“, soit curieusement de cette approche des psychothérapies qui s’est toujours posée en adversaire résolue de la psychanalyse. Ne cherchons aucune cohérence ’scientifique’ dans ce type d’argumentations, il ne dépassent nulle part la fameuse « logique du chaudron ».  

      En même temps, le texte de la loi impose des conditions de formation et d’exercice de la profession qui ne permettent pas aux psychanalystes, qu’ils aient été formés en Allemagne, en Belgique, en France, en Autriche ou dans n’importe quel autre pays Européen, d’accéder au titre et à la profession du psychothérapeute.

      Ce que la main officielle donne généreusement d’un côté, elle le reprend subrepticement de l’autre. 

      De cette manière, les détracteurs de la psychanalyse (entre autres) pourront dire – en fait le disent déjà – que la psychanalyse aura toujours été la bienvenue, quitte à interdire l’exercice aux analystes qui n’ont la “bonne foi” d’avoir été formés à l’Université du Luxembourg. Il va sans dire que cette dernière – et pour cause : la formation psychanalytique n’est nulle part assurée par des Universités – ne propose pas de formation psychanalytique. 

  2. Comment expliquer cette volonté du législateur de légiférer rapidement et de façon autoritaire dans le domaine de la psychothérapie?
    A qui profite cette loi?
    La réponse à la deuxième question nous donnerait sans doute la réponse à la première?
    Se cachant derrière le label made in Luxembourg ou pire encore made in Uni.lu, le législateur diminue de façon sournoise et intéressée la diversité de l’offre thérapeutique aux patients.
    En précisant de façon arbitraire les qualités nécessaires à l’exercice de la psychothérapie au Luxembourg, il exclut de nombreux professionnels de la psychothérapie et réduit ainsi la problématique de la souffrance psychique à une recette maison.
    Cette politique qui consiste à favoriser les siens confirme que notre pays reste un malheureusement encore un village….

  3. Les universitaires sont parfois (souvent?) mal à l’aise avec les psychanalystes parce que ces derniers présentent l’image de chercheurs-intellectuels-practiciens non attachés à une institution, donc « libres ».

    Ce qui chauffe les rivalités mimétiques.
    Mais la confusion que tu décris (psychanalyse – oui/non) renforce l’impression que des pressions derrière les coulisses, de différents côtés, et non une délibération honnête est à l’origine de ce projet de loi.
    Et même si l’intention de ce projet était parfaitement légitime, pourquoi imposer une nouvelle règlementation ? L’année dernière Henri à signé une loi sur l’« abus de faiblesse » qui me semble adéquat:

    « Loi du 21 février 2013 portant incrimination de l’abus de faiblesse.
    Nous Henri, Grand-Duc de Luxembourg, Duc de Nassau,
    Notre Conseil d’Etat entendu;
    De l’assentiment de la Chambre des Députés;
    Vu la décision de la Chambre des Députés du 31 janvier 2013 et celle du Conseil d’Etat du 5 février 2013 portant qu’il n’y a pas lieu à second vote;
    Avons ordonné et ordonnons: Article unique.
    L’article 493 du Code pénal est modifié comme suit:
    Art. 493

    Est puni d’une peine d’emprisonnement de trois mois à trois ans et d’une amende de 251 à 50.000 euros l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.

    Lorsque l’infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 250.000 euros d’amende. Mandons et ordonnons que la présente loi soit insérée au Mémorial pour être exécutée et observée par tous ceux que la chose concerne.
    Le Ministre de la Justice, Palais de Luxembourg, le 21 février 2013.
    François Biltgen Henri
    Doc. parl. 6444A; sess. ord. 2011-2012 et 2012-2013. »

    http://www.legilux.public.lu/leg/a/archives/2013/0035/a035.pdf

    Pourquoi une règlementation en plus, s’il ne s’agit pas de clientélisme?

    Luc Kinsch

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