La logique des maladies : rond rond macaron …

La logique des malades : rond rond macaron …

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 13)

La psychopathologie au service des sciences humaines

Il y a Freud et il y a Freud. Le praticien ne procède pas de la même façon que le théoricien. Lorsqu’il théorise en tant que métapsychologue, Freud procède noso-analytiquement.

Pour expliquer le fonctionnement psychique, il applique le principe du cristal. La théorie de l’appareil psychique qu’il propose, est élaborée en référence aux brisures que les diverses maladies psychiques révèlent chacune à sa manière, isolément des autres. Confronté à d’autres problématiques cliniques qu’auparavant, Freud reformule sa première topique. Il révise la théorie des instances qui composent l’appareil psychique et en constituent les forces dynamiques, parce qu’il essaie de prendre en compte non seulement ce que les névroses, mais également la mélancolie et la paranoïa e. a. lui en apprennent. Et à ses yeux cette théorie de l’appareil psychique ne vaut pas que pour les malades, mais pour tout un chacun.

Cela n’empêche pas que Freud puisse être contredit et dépassé, à nouveau, mais cette fois par quelqu’un d’autre. Toute théorie crée ses propres apories. On ne saurait par exemple omettre de s’intéresser à tout ce qui est pré-œdipien, bien au-delà de ce que Freud nous en dit. Et encore une fois, les travaux de gens comme Mélanie Klein et Donald Winnicott ont un intérêt anthropologique, et pas uniquement psychopathologique. De même, le schéma L de Jacques Lacan peut être compris comme une reformulation de la deuxième topique freudienne, qui prend mieux en compte les enseignements des psychoses. Et ce schéma, encore une fois, ne parle pas uniquement des psychotiques, mais de l’humain tout court, de l’interaction entre le Symbolique et l’Imaginaire en particulier.

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La logique des maladies : hommage à Claude Bernard

La logique des maladies : hommage à Claude Bernard

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 12)

La compréhension à ses risques et périls

Jacques Lacan n’arrête pas de répéter dans ses premiers séminaires[1] qu’il ne faut pas se presser de comprendre trop vite, car on risque de comprendre mal ce qui se passe, pris au piège comme on l’est par ses propres préjugés. On comprend alors l’autre parce qu’on se comprend soi-même, comme on se comprend soi-même, grâce à l’empathie, de manière immédiate, comme si personne n’occupait une position. On se met dans la peau de l’autre. C’est toujours et partout un risque, ce genre de compréhension sans dialogue, miroitante, en écho, tout sauf maussienne. Et une bonne part du parcours personnel dans la formation des psychanalystes sert justement à ne pas se laisser se laisser piéger de la sorte.

Que Jacques Lacan insiste autant sur le danger de la compréhension, n’est pas étranger au fait qu’il ait quitté le champ trop freudien des névroses : on risque, ainsi qu’il l’avait vu, de se heurter sans s’en rendre compte à des patients, psychotiques, qui ne cherchent même pas à instaurer une compréhension commune pour la simple raison que leur maladie les installe en dehors d’une recherche de consensus négocié.

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La logique des maladies : on se comprend pas, mais cela s’explique

La logique des maladies : on se comprend pas, mais cela s’explique

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 11)

Omne simile claudicat[1]

Certains cliniciens refusent de formater la rencontre avec les patients. Cela ne les intéresse pas de cataloguer des symptômes, d’autant moins que ceux-ci sont au fond ambigus et indéterminés. Ils n’ont pas pour but d’établir un diagnostic au moyen de questionnaires basés sur des manuels statistiques. Ils essaient de ne pas orienter d’emblée l’entretien en introduisant des critères d’évaluation qui sont extérieurs à la situation clinique elle-même.

L’attitude que ces cliniciens adoptent envers leurs patients peut être comparée à celle que Marcel Mauss demande de la part de l’ethnographe.

Le psychanalyste en l’occurrence part du principe qu’il ne comprend rien immédiatement, parce qu’il est confronté à un étranger. Il s’intéresse au « fait social total » en la personne de l’analysant, il accueille tout ce qui vient sans exclure quoi que ce soit a priori. Il cherche, sans savoir ni décider ce qu’il y a lieu de trouver. Il engage un dialogue pour réduire l’écart initial. Il prend son temps parce qu’il sait que le temps de son interlocuteur n’est pas forcément le sien. Il ratisse large mais il sait qu’il doit apprendre à circuler et s’orienter dans un espace peu homogène qui n’est pas le sien, dans des contrées où certains lieux sont abandonnés, d’autres recherchés, d’autres transitoires, d’autres prometteurs peut-être. Il fréquente les personnes que fréquente l’analysant, par parole interposée, il est vrai, mais en laissant l’initiative à l’analysant, il attend de voir lesquels comptent et lesquels sombrent dans l’oubli.

La comparaison s’arrête sans doute là, pour plusieurs raisons.

 

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La logique des maladies : hommage à Marcel Mauss

La logique des maladies : hommage à Marcel Mauss

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes)

Le « fait social total »

Le praticien, en tant que clinicien qui rencontre des gens qu’il n’a jamais vus auparavant et qu’il ne connaît pas, est inéluctablement confronté à quelqu’un d’autre. Je ne vois pas du tout comment il pourrait lui être utile de forclore la rencontre et chercher à établir un diagnostic d’ordre statistique en utilisant des questionnaires standardisés.

Mais quelle attitude peut-il adopter ? Vaste question.

Mais on pourrait argumenter que l’attitude du clinicien n’est pas étrangère à celle que prône Marcel Mauss en tant qu’ethnographe. Celui-ci part du principe qu’il y a de l’altérité, donc une distance au fond énorme à franchir, petit à petit, par immersion dans un monde étranger qu’il faut tenter de s’approprier sans aucune forme de projection, sans anachonisme, anatopisme ni anastratisme, par exemple à la manière de Maurice Leenhardt qui a longtemps séjourné et travaillé chez les Canaques en Nouvelle-Calédonie[1].

Mauss propose et demande de s’intéresser au « fait social total » [2]. En tant qu’ethnographe il n’isole pas le droit de l’économie, ni l’économie du fait religieux, des règles d’alliance, du système des obligations, des techniques du corps, des croyances et cetera. Il essaie d’embrasser tous les champs de l’interaction humaine sans en privilégier un seul, dans le but de comprendre la manière d’être d’une communauté, manière d’être propre à un temps, un espace, un milieu.

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La logique des maladies : des sciences sociales

La logique des maladies : des sciences sociales

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 9)

 

Les statistiques qu’on retrouve sous forme de nomenclatures dans les manuels diagnostiques des troubles mentaux, le DSM et la CIM, qui ne définissent ni ne départagent les symptômes répertoriés sur la base d’hypothèses explicatives de la logique des maladies, et qui présupposent dès lors une norme de santé historiquement située, relèvent de ce qu’on appelle les « sciences sociales ».

La recherche des configurations historiques

Celles-ci ne s’intéressent pas au fonctionnement social de l’humain mais bien plus aux configurations historiques concrètes de l’existence dans telle ou telle société ‒ configurations qui présupposent justement ce fonctionnement seul capable d’expliquer ces divergences elles-mêmes.

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La logique des maladies : le principe du cristal

La logique des maladies : le principe du cristal

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 8)

 

En utilisant les statistiques du DSM ou de la CIM, on décide qu’il y a trouble, voire qu’il y a quelqu’un qui trouble l’ordre sociétal, non pas en référence à des dysfonctionnements explicatifs, à des causalités en panne qu’on mettrait en évidence à travers des procédures permettant de cerner le phénomène apparent à travers la construction de faits contraints, mais en fonction de comportements que l’on observe et recueille. Et en choisissant ces comportements-là sans expliquer les processus-sous-jacents qui les déterminent, on risque de les choisir uniquement parce qu’on estime qu’ils sont incongrus, parce qu’on juge qu’ils sont déviants par rapport à la « normalité », parce qu’on les évalue.

Mais on a tendance à oublier que cette normalité n’est jamais autre chose qu’un code de conduite social plus ou moins singulier, tout sauf universel, peut-être éthique, mais parfois simplement économique. On est alors dans les préjugés irréfléchis, égocentriques ou ethnocentriques, impossibles à négocier tant avec les patients eux-mêmes qu’avec des cliniciens qui n’utilisent pas ces statistiques.

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Je suis malade … Aïe! Ouf!

Je suis malade … Aïe ! Ouf !

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 7)

 

Le « psy » peut apprécier une situation clinique, avec ou sans le patient, mais s’en tenir là et voir comment les choses évoluent au cours du travail. Il n’établira pas nécessairement un diagnostic. Beaucoup de psychanalystes refusent ainsi d’en établir.

Si le « psy » en établit un qui doit être officialisé, il y a de fortes chances qu’il l’établisse en utilisant les nomenclatures des manuels statistiques tels le DSM et la CIM ‒ des nomenclatures malheureusement parfaitement superficielles, qui tiennent davantage d’une définition conventionnelle qu’elles ne résultent d’une exploration d’hypothèses explicatives. Il le fait à des fins administratives, pour que les divers acteurs concernés puissent s’entendre sur le problème à traiter et les procédures de traitement supposées efficientes face à ce problème. Toute la question est de savoir si le clinicien y croit, à son diagnostic, ou s’il joue le jeu parce qu’il n’a pas le choix, parce qu’il n’a pas d’autres idées en la matière ou parce qu’il est simplement cynique.

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La normalisation dissimulée par les chiffres?

La normalisation dissimulée par les chiffres ?

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 6)

Comment les auteurs du DSM (le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) ou d’autres manuels similaires tels la CIM (la classification internationale des maladies) font-ils pour déterminer qu’il y a « trouble mental » ou « maladie mentale » ? Sur la base d’observations réitérées d’ensemble de symptômes, statistiquement traitées, déclarent-ils. Ils auraient « constaté » quelque chose d’à peu près pareil quantité de fois, avec des variations qu’ils éliminent par le biais des moyennes. Et ils feraient donc la part des choses sur des bases scientifiques.

Faut-il accorder foi à ces déclarations ? J’en doute.

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Cold War Freud: Psychoanalysis in an Age of Catastrophes

Dagmar Herzog

Cambridge : Cambridge University Press, 2017

In Cold War Freud Dagmar Herzog uncovers the astonishing array of concepts of human selfhood which circulated across the globe in the aftermath of World War II.

Against the backdrop of Nazism and the Holocaust, the sexual revolution, feminism, gay rights, and anticolonial and antiwar activism, she charts the heated battles which raged over Freud’s legacy. From the postwar US to Europe and Latin America, she reveals how competing theories of desire, anxiety, aggression, guilt, trauma and pleasure emerged and were then transformed to serve both conservative and subversive ends in a fundamental rethinking of the very nature of the human self and its motivations. Lire la suite ... >>>

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