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Le nomos des maladies: la biaxialité du social

Le nomos des maladies : la biaxialité du social

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 20)

On peut essayer de pratiquer les sciences humaines en appliquant le principe du cristal freudien, c’est-à-dire, en s’appuyant sur l’examen des dissociations cliniques spontanées que présente le phénomène humain.

Mais cela n’implique nullement que l’on soit naïvement positiviste et ne s’entende plus parler alors qu’on est en train d’exploiter ses capacités langagières pour rendre le monde intelligible, pour l’expliquer. Les mots, on ne saurait pas assez le répéter, ne sont pas des étiquettes. Tout concept repose sur une structuration sémiologique implicite sans commune mesure avec le monde des représentations dont l’animal est déjà capable, le monde de la perception et l’imagination.

Idem et alius, unicus et alter

La question suivante doit donc être posée : quelles sont les dissociations cliniques qu’on propose et combien y en a-t-il ?

La particularité du modèle de la théorie de la médiation est qu’il formule des hypothèses extrêmement contraignantes, et simples en apparence seulement. Il est vrai que le modèle s’applique sur quatre plans (le langage, l’art, la personne, la norme) présumés formellement identiques mais quand-même dissociables, pour des raisons noso-analytiques. Mais sinon, le modèle opère avec un différentiel hypothétique minimal : il coupe les choses en deux, et puis en deux encore, et puis en deux encore, aussi bien qualitativement (l’idem distinct de l’alius) que quantitativement (l’unicus séparé de l’alter).

La dialectique de la Personne repose ainsi sur la contradiction entre une corporéité et une absence formalisée. J’ai tenté d’en faire comprendre quelque chose en comparant une maladie par défaut de formalisation, fusionnelle (la paranoïa) et une maladie par excès de formalisation, autolytique (la schizophrénie).

Mais la Personne n’est pas un monolithe : le corps étant à la fois sexuellement caractérisé et mortel mais capable de reproduction, la dialectique de la Personne présente deux faces : la face de l’identité, et la face de la responsabilité. Ces deux faces sont à titre d’hypothèse explorables en référence à la clinique des perversions (face de l’identité) et des psychoses (face de la responsabilité).

Le nomos des maladies: la bifacialité du social

Le nomos des maladies : la bifacialité du social

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 19)

 

Les dissociations spontanées

Le DSM et la CIM, construits par des auteurs nullement intéressés par la noso-analyse, ne sauraient satisfaire l’appétit de rendre intelligibles les activités humaines en les expliquant à la lumière de ce que des dissociations cliniques peuvent pourtant nous en apprendre.

C’est dommage car ces dissociations, qui rendent possible l’examen des phénomènes pour en décortiquer les tenants et aboutissants, surviennent de manière spontanée : sans l’aide d’un expérimentateur qui crée artificiellement un environnement contrôlé pour systématiquement tester l’impact des variations sélectives et partielles des facteurs supposés expliquer comment les choses se passent.

Et c’est dommage encore parce que les activités des malades présumés ne sont pas aléatoires. Ces malades ne font pas n’importe quoi. Il se pourrait, autrement dit, que ces dissociations indiquent le chemin de la découverte d’une formalisation incorporée à l’objet de recherche lui-même.

Question : où donc commencent et se terminent les dissociations ? Que sont-elles, comment les qualifier ? Et combien y en a-t-il, comment les quantifier ?

Le nomos des maladies : la dialectique du social

Le nomos des maladies : la dialectique du social

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 18)

Appeler des usages plus ou moins réguliers mais pleins d’irrégularités, des « lois », ainsi qu’on le fait en sciences sociales, revient en fait à parler de conventions variables à travers le temps, l’espace et le milieu. La loi du social, le nomos, ce qui fait que l’humain émerge à la vie en société, la raison humaine qui informe tout rapport social, ce qui rend possibles autant que nécessaires ces conventions, c’est autre chose.

Ce qui importe d’un point de vue sociologique, ce n’est pas d’être quantifiable, comme peuvent l’être des individus et des collectivités, mais de compter et d’avoir des comptes à rendre, en tant que personne.

En plus, on existe socialement chaque fois sous certains regards mais pas sous d’autres : aucun acteur social n’interagit en bloc avec d’autres acteurs sociaux. Quand je reçois des analysants, je suis là à titre de psychanalyste ‒ et il reste à voir ce que cela signifie concrètement : mon rôle n’est pas unidimensionnel et peut varier selon les cas. Quand je vais faire des courses, je suis là en tant que client et je n’agis pas au supermarché comme chez le boulanger. Quand je rencontre la famille de mon épouse, je suis là au nom d’une alliance. Quand je regarde le foot, je deviens supporter de la Gantoise, enfin quand ils jouent. Et la plupart du temps, j’agis sans doute à plus d’un titre à la fois, en occupant plus d’une place, ou j’agis dans l’impossibilité d’occuper toutes celles qu’il faudrait à la fois, malgré moi. Et pourtant, c’est toujours « moi », en vertu du fait qu’une continuité corporelle subsiste à travers l’éclatement possible des places que j’occupe socialement. En gros, je m’y retrouve mais sans coller à mon corps. Sauf maladie. Eh oui.

La dicée des maladies : introduction à l’explication dialectique bis

La dicée des maladies : introduction à l’explication dialectique bis

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 15)

Poussé par les pulsions, activement à la recherche du plaisir, l’humain, normalement, ne peut s’empêcher de refouler ‒ et de se compliquer la vie. Freud l’a très bien vu. Et tout comportement humain peut dès lors être envisagé comme une formation de compromis, entre la pulsion qui pousse et met en branle et le refoulement qui arrête : se satisfaire oui, mais avec mesure, autrement.

Soit, en termes médiationnistes axiologiques : l’humain ne valorise pas uniquement la plus-value qui l’oriente le prix qu’il paie par, mais il accède à l’univers de la faute et de la perte. Il fait face au manque, inconnu des animaux. Il s’intéresse à ceci ou cela qui lui fera plaisir, mais il est traversé, clivé même, par ce sentiment impérieux qu’« il faut ». Tout comportement devient interprétable, toute décision questionnable. Et pour cause : tout comportement n’est qu’un effet de cens, il présuppose et la quête active du plaisir et le manque qui commande une abstinence. Il résulte d’une contradiction à surmonter entre un premier temps, l’activité intéressée (le prix payé pour un bien), et un deuxième temps, le rationnement éthique (la formalisation structurale des prix et des biens, le fait qu’un prix n’en soit pas un autre, qu’un bien n’en soit pas un autre).

La logique des maladies : introduction à l’explication dialectique

La logique des maladies : introduction à l’explication dialectique

(Des mots, des ouvrages, des actes et des normes 14)

L’explication dialectique

La sociologie clinique que Jean Gagnepain propose est une théorie dialectique de la personne.

Le seul mot « dialectique » fait déjà fuir certaines gens. Précisons donc : cette dialectique ne libère aucun esprit qui vit dans l’ombre d’une grotte, elle n’arrache personne au monde illusoire des sens pour qu’il entame son ascension vers le monde olympien des idées pures à la manière du théoricien platonisant. Et précisons surtout : cette dialectique n’est nullement historique à la manière de Hegel ou de Marx. Cette dialectique ne va nulle part : rien n’est là pour y mettre fin dans des lendemains qui chantent. De même, rien non plus ne permet d’en situer la perfection à l’envers, dans le passé d’un âge d’or malheureusement déchu ou dans un paradis terrestre. Les temps de cette dialectique explicative sont purement logiques – ils servent à rendre intelligible aussi adéquatement que possible un fonctionnement, lui-même à titre d’hypothèse dialectique. Et que l’explication soit bonne ou non, de toute façon, l’humain fonctionne et dysfonctionne sans avoir besoin du théoricien pour mettre son monde en forme socialement.