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M.-D.-T. de Bienville

Docteur en médecine


La nymphomanie ou traité de la fureur utérine


Dans lequel on explique avec autant de clarté que de méthode, les commencements et les progrès de cette cruelle maladie, dont on développe les différentes causes ; ensuite on propose les moyens de conduite dans les diverses périodes, et les spécifiques les plus éprouvés pour la curation,

(Amsterdam, 1771, in-8°)

Préface
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6



CHAPITRE III  :
DES CAUSES ET DES ACCIDENTS DE LA NYMPHOMANIE


Quelqu'un qui fera bien attention à cette passion morbifique[1], y découvrira deux accidents, qui forment chacun une maladie différente.
Elle commence par un délire mélancolique, dont on trouve la cause dans le vice de la matrice ; ensuite elle se tourne en délire maniaque, qui a son principe dans le dérangement du cerveau. Quand ces deux accidents concourent ensemble, ils forment ce que nous appelons nymphomanie; si. au contraire il n'y en a qu'un, ou l'on aura simplement des désirs violents du coït, sans néanmoins éprouver des délires, ou l'on tombera dans une profonde mélancolie, ou dans une manie supportable, sans être consumé par d'inutiles désirs; c'est ce que nous allons expliquer par ordre.
Nous parlerons en premier lieu de l'effrénée cupidité vénérienne simple; 2° de la même, jointe avec le délire mélancolique; 3° enfin, lorsqu'elle dégénère en manie.
L'effrénée cupidité vénérienne dans les femmes, est ordinairement occasionnée par la violente secousse des organes qui sont chez elles le siège de la volupté; de même que la violence de la faim ou de la soif dépend de l'impression vigoureuse que reçoivent les tuniques de l'estomac ou du gosier.
Il y a plus d'un organe destiné dans les femmes à exciter les plaisirs vénériens: 1° le clitoris, qui, de l'aveu de tout le monde, est le siège de la volupté la plus exquise; c'est pourquoi il est appelé par excellence le trône de l'amour; 2° toute l'ampleur et la profondeur du vagin, mais surtout à la partie qui va, en se rétrécissant, se joindre avec la vulve, et qui sur la fin devient extrêmement étroite; 3° la face interne de la matrice, qui elle-même non seulement est bien sensible à la volupté, mais encore y sollicite les autres organes, de même que les impressions qui se font sentir au ventricule par la soif et la faim, font désirer à tous les organes qui en dépendent la sensation du boire et du manger. Au reste, ce que nous disons du vif sentiment de la matrice s'explique par ce que nous voyons arriver dans les animaux, dont les femelles cessent de désirer dès qu'elles sont pleines; mais nous voyons, à la honte de l'humanité, que quand ce sentiment de la matrice est émoussé par une copulation fructueuse, une femme n'en est pas moins ardente pour le coït, de même qu'un estomac rassasié par les mets et les boissons les plus délicieux ne détruit pas l'insatiable cupidité du palais et du gosier pour les mêmes mets et les mêmes boissons, qu'il est ensuite obligé de rejeter avec un dégoût affreux. Mille fois plus bêtes que les bêtes mêmes qui servent à leurs abus excessifs !
On doit aussi mettre au nombre des organes de la volupté tous les vases qui sont destinés, chez les femmes, à faire la sécrétion de la semence; car ils contribuent tous à augmenter les sensations des plaisirs : tels sont : 1° la glande prostate qui entoure la matrice, et l'arrose avec abondance d'une humeur qui sort par deux lacunes ou petits orifices dans la partie supérieure de la vulve, sur les deux côtés de l'urètre, au dessous du clitoris; 2° les glandes de Cowper, qui sont situées dans le périnée entre la vulve et l'anus, et qui, par un double conduit, vont aboutir à la naissance du vagin, proche des racines des caroncules myrtiformes; 3° un grand nombre de petites glandes séparées ou liées ensemble, qui sont répandues dans tout le vagin, d'où il est constant qu'il découle une humeur un peu gluante, assez semblable à la semence; 4° différentes lacunes qui sont distribuées dans la face interne du vagin, qui, sans orifice, répandent néanmoins, ou plutôt filtrent une humeur limpide, mais en petite quantité.
Toutes ces choses qu'on ne peut raisonnablement révoquer en doute, étant une fois admises, on en pourra certainement conclure que les organes chez les,femmes reçoivent des impressions bien plus vives, et que, par conséquent, elles doivent s'enflammer avec beaucoup plus de facilité que dans les hommes, et cela par trois raisons: 1° parce que les secousses et mouvements qui excitent des impressions vives et fortes sur les organes dont nous avons parlé, et propres à réveiller les sentiments et les désirs, sont dans les femmes beaucoup plus violents que dans les hommes; 2° parce qu'il se trouve dans ces organes une disposition quelquefois particulière, qui donne plus d'ébranlement et de véhémence aux secousses qui excitent ces désirs; 3° enfin, lorsque par un concours simultané de l'une et l'autre cause, les impressions sont portées avec plus de violence sur les organes, et que ces mêmes organes les reçoivent avec plus de vivacité, d'où l'on conçoit que les sensations et les désirs doivent augmenter au double. Ces secousses dont nous venons de parler, qui enflamment dans le sexe le désir de volupté, peuvent être rapportées à trois causes principales :
1° À un frottement agréable des organes, dans lequel on se plait, et dont le sentiment occasionne jusqu'à un certain point des chatouillements de différentes espèces et de différents degrés;
2° À des picotements doux et flatteurs, dont elles sont agréablement inquiétées;
3° À des pincements voluptueux qui les agitent et les animent.
On ne peut définir à quel degré et de quelle espèce doivent être tous ces mouvements pour exciter les désirs. La seule chose qu'on peut assurer, est qu'ils différent de tous les mouvements des autres organes apéritifs.
Quant à la première cause, comme elle est tout à fait extérieure, nous ne pouvons pas dire qu'elle donne naissance à la fureur utérine : il faut donc en chercher le principe dans les deux autres. En effet, comme ces picotements et ces pincements agréables sont occasionnés par les humeurs séminales qui arrosent la vulve, le vagin et la matrice, on peut assurer avec vérité que les impressions qui occasionnent ces écoulements et ces arrosements, tant des glandes que des lacunes, sont les causes les plus prochaines de cette maladie, soit dans ses principes, soit dans ses accidents; car ces impressions peuvent être plus vives, et par conséquent provoquer au plaisir avec plus de vivacité, par trois raisons : 1° si la semence, et tout ce qu'on peut nommer humeur séminale, abonde en quantité; 2° si elles pèchent par beaucoup d'acrimonie; 3° enfin, si elles ont tout à la fois le vice d'abondance et d'acrimonie.
Premièrement elles pécheront par une trop grande quantité : 1° si le sang qui les distribue dans les organes est lui-même trop abondant, ce qui se trouve ordinairement chez les femmes qui vivent dans les plaisirs et la bonne chère, dont les mets sont juteux et épicés; car on peut dire en général que mille petites aisances qu'on s'accorde, jointes à une table bien servie qui offre tous les goûts qu'un appétit délicat peut désirer, sont une source qui enfante les désirs les plus voluptueux.
Cette abondance de sang que nous appelons pléthore, se rencontre encore dans les femmes qui mènent une vie molle et sédentaire, et chez lesquelles la transpiration ne pouvant s'établir, leur laisse conséquemment beaucoup plus de sang qu'il n'en faut pour l'économie animale; 2° si, par leur conformation, elles ont les organes destinés par la nature à la sécrétion de la semence plus amples et plus à découvert, il s'ensuivra nécessairement une sécrétion plus abondante de l'humeur séminale; 3° enfin, si par l'usage fréquent des hommes, ou partout autre moyen, elles ont une jouissance plus répétée des plaisirs. C'est ainsi que le lait augmente et se multiplie dans les mamelles par le sucement du mamelon : de même aussi plus on crache, et plus les glandes salivaires font une copieuse sécrétion de la matière ptyalistique.[2]
Secondement, la semence pèche par une acrimonie contre nature, dans les femmes qui sont d'un tempérament bilieux et atrabilaire, et dont le sang âcre et brûlant fournit une semence de même caractère; dans celles qui se nourrissent de viandes salées, poivrées, ou endurcies à la fumée, qui boivent des vins forts et des liqueurs violentes, qui se remplissent d'un chocolat composé, et du café le plus fort : car toutes ces choses irritent singulièrement le sang; dans celles enfin qui passent leur vie dans des veilles continuelles, et les travaux d'une imagination qui se nourrit sans cesse de mille agréables ou désagréables chimères.
Troisièmement, ces deux vices, c'est-à-dire l'abondance et l'acrimonie du sang concourent ensemble, quand les causes qui les produisent se trouvent réunies dans le même sujet; et il est certain que si elles ne s'y trouvent pas toutes à la fois, on les y voit ordinairement réunies pour le plus grand nombre, parce qu'elles ont ensemble une très grande affinité.
La disposition particulière des organes, pour sentir et répondre plus vivement aux secousses qu'ils éprouvent, consiste en trois choses : 1° dans la ténuité et la délicatesse des fibres nerveuses, qui font que, tout d'ailleurs égal, elles sont mues avec plus de facilité, de vitesse et de force; 2° dans la plus grande tension de ces fibres qui, la même parité observée, produit des effets pareils à ceux que je viens de décrire; 3° dans le concours simultané, soit de la délicatesse, soit de la tension extraordinaire de ces petites fibres; d'où il arrive que leur oscillation, observant toujours d'ailleurs la même égalité, est plus prompte, plus facile et plus forte, et cela par deux raisons :

1° Les fibres nerveuses chez les femmes sont plus délicates, à cause de leur conformation naturelle. C'est ainsi que l'on voit des animaux avoir des sensations plus délicates que les autres; c'est ainsi que dans le même sujet on voit des parties sentir plus vivement que les autres : ainsi l'a voulu l'Auteur de la nature. Cette délicatesse des fibres peut aussi venir des secousses précédentes et réitérées qu'elles ont essuyées, soit dans le commerce naturel avec les hommes, soit par l'irritation artificielle des parties féminines, dont l'usage augmente singulièrement la flexibilité et le sentiment des fibres nerveuses, de même qu'un instrument acquiert bien plus de jeu, et donne des sons plus vifs et plus agréables, après avoir été longtemps joué ;

2) Quelquefois ces fibres sont dans une tension plus forte, par conséquent leur vibration est plus vive; cela est encore dans l'ordre de la conformation naturelle. C'est par cette conformation qu'est produite dans les organes la différente faculté de sentir; c'est par cette raison que celui-ci a une vue plus perçante, celui-là l'oreille plus juste, un autre l'odorat plus fort, etc.
Cette tension peut aussi quelquefois être occasionnée par la grande sécheresse qui arrive dans les parties, soit qu'elle vienne d'un défaut naturel, on qu'elle soit l'effet de quelque maladie; comme, par exemple, l'inflammation et phlogose[3] qui contractent fortement les fibres nerveuses, et occasionnent dans les parties naturelles des picotements et des tiraillements fréquents, qui donnent beaucoup d'âcreté à la semence;

3° Enfin, ces fibres nerveuses sont plus délicates et plus tendues, si toutes les causes dont nous avons parlé, ou au moins le plus grand nombre, se rencontrent dans le même sujet, et elles doivent s'y trouver ordinairement, à cause de leur grande liaison; et toutes les fois que ces causes concourront ensemble, il arrivera, par deux raisons que nous avons suffisamment expliquées, c'est-à-dire, par la tension violente et la délicatesse des fibres, que les désirs vénériens seront plus vifs et plus fréquents.

Enfin, s'il arrive que les deux causes dont nous avons parlé, desquelles l'une dépend de l'acrimonie et de l'abondance du sang, l'autre de la tension et de la délicatesse des fibres, se trouvent jointes dans le même sujet, ce qui arrive presque toujours à cause de leur grande affinité, il s’ensuivra de là que d'un côté les fibres des parties ou des organes seront plus fortement et plus sensiblement affectées par l'abondance et l’acrimonie de la semence; et de l'autre, que les mouvements et les secousses seront reçues plus vivement, parce que les fibres augmentant en ténuité et en tension, leur vibration devient beaucoup plus sensible, d'où il est aisé de conclure que le sentiment et le désir de la volupté sera augmenté au double; mais si ces secousses réunies viennent à ébranler les fibres du cerveau, ce sera alors qu'arriveront les délires plus ou moins forts, suivant que l'ébranlement sera plus ou moins violent, ou qu'il sera plus en moins habituel. Nous en verrons les funestes gradations dans la suite de cet ouvrage.


[1] Qui peut causer la maladie, un désordre psychique ou mental (N.D.E.).
[2]
[3] Inflammation surtout superficielle (NdE).

 

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