Quelqu'un qui fera bien attention à cette passion
morbifique
[1], y découvrira
deux accidents, qui forment chacun une maladie différente.
Elle
commence par un délire mélancolique, dont on trouve la cause dans
le vice de la matrice ; ensuite elle se tourne en délire maniaque,
qui a son principe dans le dérangement du cerveau. Quand ces deux
accidents concourent ensemble, ils forment ce que nous appelons
nymphomanie; si. au contraire il n'y en a qu'un, ou l'on aura simplement
des désirs violents du coït, sans néanmoins éprouver
des délires, ou l'on tombera dans une profonde mélancolie, ou dans
une manie supportable, sans être consumé par d'inutiles
désirs; c'est ce que nous allons expliquer par ordre.
Nous parlerons
en premier lieu de l'effrénée cupidité
vénérienne simple; 2° de la même, jointe avec le
délire mélancolique; 3° enfin, lorsqu'elle
dégénère en manie.
L'effrénée
cupidité vénérienne dans les femmes, est ordinairement
occasionnée par la violente secousse des organes qui sont chez elles le
siège de la volupté; de même que la violence de la faim ou
de la soif dépend de l'impression vigoureuse que reçoivent les
tuniques de l'estomac ou du gosier.
Il y a plus d'un organe destiné
dans les femmes à exciter les plaisirs vénériens: 1°
le clitoris, qui, de l'aveu de tout le monde, est le siège de la
volupté la plus exquise; c'est pourquoi il est appelé par
excellence
le trône de l'amour; 2° toute l'ampleur et la
profondeur du vagin, mais surtout à la partie qui va, en se
rétrécissant, se joindre avec la vulve, et qui sur la fin devient
extrêmement étroite; 3° la face interne de la matrice, qui
elle-même non seulement est bien sensible à la volupté, mais
encore y sollicite les autres organes, de même que les impressions qui se
font sentir au ventricule par la soif et la faim, font désirer à
tous les organes qui en dépendent la sensation du boire et du manger. Au
reste, ce que nous disons du vif sentiment de la matrice s'explique par ce que
nous voyons arriver dans les animaux, dont les femelles cessent de
désirer dès qu'elles sont pleines; mais nous voyons, à la
honte de l'humanité, que quand ce sentiment de la matrice est
émoussé par une copulation fructueuse, une femme n'en est pas
moins ardente pour le coït, de même qu'un estomac rassasié par
les mets et les boissons les plus délicieux ne détruit pas
l'insatiable cupidité du palais et du gosier pour les mêmes mets et
les mêmes boissons, qu'il est ensuite obligé de rejeter avec un
dégoût affreux. Mille fois plus bêtes que les bêtes
mêmes qui servent à leurs abus excessifs !
On doit aussi
mettre au nombre des organes de la volupté tous les vases qui sont
destinés, chez les femmes, à faire la sécrétion de
la semence; car ils contribuent tous à augmenter les sensations des
plaisirs : tels sont : 1° la glande prostate qui entoure la matrice, et
l'arrose avec abondance d'une humeur qui sort par deux lacunes ou petits
orifices dans la partie supérieure de la vulve, sur les deux
côtés de l'urètre, au dessous du clitoris; 2° les
glandes de
Cowper, qui sont situées dans le périnée
entre la vulve et l'anus, et qui, par un double conduit, vont aboutir à
la naissance du vagin, proche des racines des caroncules myrtiformes; 3° un
grand nombre de petites glandes séparées ou liées ensemble,
qui sont répandues dans tout le vagin, d'où il est constant qu'il
découle une humeur un peu gluante, assez semblable à la semence;
4° différentes lacunes qui sont distribuées dans la face
interne du vagin, qui, sans orifice, répandent néanmoins, ou
plutôt filtrent une humeur limpide, mais en petite
quantité.
Toutes ces choses qu'on ne peut raisonnablement
révoquer en doute, étant une fois admises, on en pourra
certainement conclure que les organes chez les,femmes reçoivent des
impressions bien plus vives, et que, par conséquent, elles doivent
s'enflammer avec beaucoup plus de facilité que dans les hommes, et cela
par trois raisons: 1° parce que les secousses et mouvements qui excitent
des impressions vives et fortes sur les organes dont nous avons parlé, et
propres à réveiller les sentiments et les désirs, sont dans
les femmes beaucoup plus violents que dans les hommes; 2° parce qu'il se
trouve dans ces organes une disposition quelquefois particulière, qui
donne plus d'ébranlement et de véhémence aux secousses qui
excitent ces désirs; 3° enfin, lorsque par un concours
simultané de l'une et l'autre cause, les impressions sont portées
avec plus de violence sur les organes, et que ces mêmes organes les
reçoivent avec plus de vivacité, d'où l'on conçoit
que les sensations et les désirs doivent augmenter au double. Ces
secousses dont nous venons de parler, qui enflamment dans le sexe le
désir de volupté, peuvent être rapportées à
trois causes principales :
1° À un frottement
agréable des organes, dans lequel on se plait, et dont le sentiment
occasionne jusqu'à un certain point des chatouillements de
différentes espèces et de différents
degrés;
2° À des picotements doux et flatteurs, dont
elles sont agréablement inquiétées;
3° À
des pincements voluptueux qui les agitent et les animent.
On ne peut
définir à quel degré et de quelle espèce doivent
être tous ces mouvements pour exciter les désirs. La seule chose
qu'on peut assurer, est qu'ils différent de tous les mouvements des
autres organes apéritifs.
Quant à la première cause,
comme elle est tout à fait extérieure, nous ne pouvons pas dire
qu'elle donne naissance à la fureur utérine : il faut donc en
chercher le principe dans les deux autres. En effet, comme ces picotements et
ces pincements agréables sont occasionnés par les humeurs
séminales qui arrosent la vulve, le vagin et la matrice, on peut assurer
avec vérité que les impressions qui occasionnent ces
écoulements et ces arrosements, tant des glandes que des lacunes, sont
les causes les plus prochaines de cette maladie, soit dans ses principes, soit
dans ses accidents; car ces impressions peuvent être plus vives, et par
conséquent provoquer au plaisir avec plus de vivacité, par trois
raisons : 1° si la semence, et tout ce qu'on peut nommer humeur
séminale, abonde en quantité; 2° si elles pèchent par
beaucoup d'acrimonie; 3° enfin, si elles ont tout à la fois le vice
d'abondance et d'acrimonie.
Premièrement elles pécheront par
une trop grande quantité : 1° si le sang qui les distribue dans les
organes est lui-même trop abondant, ce qui se trouve ordinairement chez
les femmes qui vivent dans les plaisirs et la bonne chère, dont les mets
sont juteux et épicés; car on peut dire en général
que mille petites aisances qu'on s'accorde, jointes à une table bien
servie qui offre tous les goûts qu'un appétit délicat peut
désirer, sont une source qui enfante les désirs les plus
voluptueux.
Cette abondance de sang que nous appelons
pléthore, se rencontre encore dans les femmes qui mènent
une vie molle et sédentaire, et chez lesquelles la transpiration ne
pouvant s'établir, leur laisse conséquemment beaucoup plus de sang
qu'il n'en faut pour l'économie animale; 2° si, par leur
conformation, elles ont les organes destinés par la nature à la
sécrétion de la semence plus amples et plus à
découvert, il s'ensuivra nécessairement une
sécrétion plus abondante de l'humeur séminale; 3°
enfin, si par l'usage fréquent des hommes, ou partout autre moyen, elles
ont une jouissance plus répétée des plaisirs. C'est ainsi
que le lait augmente et se multiplie dans les mamelles par le sucement du
mamelon : de même aussi plus on crache, et plus les glandes salivaires
font une copieuse sécrétion de la matière
ptyalistique.
[2]
Secondement, la
semence pèche par une acrimonie contre nature, dans les femmes qui sont
d'un tempérament bilieux et atrabilaire, et dont le sang âcre et
brûlant fournit une semence de même caractère; dans celles
qui se nourrissent de viandes salées, poivrées, ou endurcies
à la fumée, qui boivent des vins forts et des liqueurs violentes,
qui se remplissent d'un chocolat composé, et du café le plus fort
: car toutes ces choses irritent singulièrement le sang; dans celles
enfin qui passent leur vie dans des veilles continuelles, et les travaux d'une
imagination qui se nourrit sans cesse de mille agréables ou
désagréables chimères.
Troisièmement, ces deux
vices, c'est-à-dire l'abondance et l'acrimonie du sang concourent
ensemble, quand les causes qui les produisent se trouvent réunies dans le
même sujet; et il est certain que si elles ne s'y trouvent pas toutes
à la fois, on les y voit ordinairement réunies pour le plus grand
nombre, parce qu'elles ont ensemble une très grande
affinité.
La disposition particulière des organes, pour
sentir et répondre plus vivement aux secousses qu'ils éprouvent,
consiste en trois choses : 1° dans la ténuité et la
délicatesse des fibres nerveuses, qui font que, tout d'ailleurs
égal, elles sont mues avec plus de facilité, de vitesse et de
force; 2° dans la plus grande tension de ces fibres qui, la même
parité observée, produit des effets pareils à ceux que je
viens de décrire; 3° dans le concours simultané, soit de la
délicatesse, soit de la tension extraordinaire de ces petites fibres;
d'où il arrive que leur oscillation, observant toujours d'ailleurs la
même égalité, est plus prompte, plus facile et plus forte,
et cela par deux raisons :
1° Les fibres nerveuses chez les
femmes sont plus délicates, à cause de leur conformation
naturelle. C'est ainsi que l'on voit des animaux avoir des sensations plus
délicates que les autres; c'est ainsi que dans le même sujet on
voit des parties sentir plus vivement que les autres : ainsi l'a voulu l'Auteur
de la nature. Cette délicatesse des fibres peut aussi venir des secousses
précédentes et réitérées qu'elles ont
essuyées, soit dans le commerce naturel avec les hommes, soit par
l'irritation artificielle des parties féminines, dont l'usage augmente
singulièrement la flexibilité et le sentiment des fibres
nerveuses, de même qu'un instrument acquiert bien plus de jeu, et donne
des sons plus vifs et plus agréables, après avoir
été longtemps joué ;
2) Quelquefois ces fibres
sont dans une tension plus forte, par conséquent leur vibration est plus
vive; cela est encore dans l'ordre de la conformation naturelle. C'est par cette
conformation qu'est produite dans les organes la différente
faculté de sentir; c'est par cette raison que celui-ci a une vue plus
perçante, celui-là l'oreille plus juste, un autre l'odorat plus
fort, etc.
Cette tension peut aussi quelquefois être
occasionnée par la grande sécheresse qui arrive dans les parties,
soit qu'elle vienne d'un défaut naturel, on qu'elle soit l'effet de
quelque maladie; comme, par exemple, l'inflammation et
phlogose
[3] qui contractent fortement
les fibres nerveuses, et occasionnent dans les parties naturelles des
picotements et des tiraillements fréquents, qui donnent beaucoup
d'âcreté à la semence;
3° Enfin, ces fibres
nerveuses sont plus délicates et plus tendues, si toutes les causes dont
nous avons parlé, ou au moins le plus grand nombre, se rencontrent dans
le même sujet, et elles doivent s'y trouver ordinairement, à cause
de leur grande liaison; et toutes les fois que ces causes concourront ensemble,
il arrivera, par deux raisons que nous avons suffisamment expliquées,
c'est-à-dire, par la tension violente et la délicatesse des
fibres, que les désirs vénériens seront plus vifs et plus
fréquents.
Enfin, s'il arrive que les deux causes dont nous avons
parlé, desquelles l'une dépend de l'acrimonie et de l'abondance du
sang, l'autre de la tension et de la délicatesse des fibres, se trouvent
jointes dans le même sujet, ce qui arrive presque toujours à cause
de leur grande affinité, il s’ensuivra de là que d'un
côté les fibres des parties ou des organes seront plus fortement et
plus sensiblement affectées par l'abondance et l’acrimonie de la
semence; et de l'autre, que les mouvements et les secousses seront reçues
plus vivement, parce que les fibres augmentant en ténuité et en
tension, leur vibration devient beaucoup plus sensible, d'où il est
aisé de conclure que le sentiment et le désir de la volupté
sera augmenté au double; mais si ces secousses réunies viennent
à ébranler les fibres du cerveau, ce sera alors qu'arriveront les
délires plus ou moins forts, suivant que l'ébranlement sera plus
ou moins violent, ou qu'il sera plus en moins habituel. Nous en verrons les
funestes gradations dans la suite de cet ouvrage.