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M.-D.-T. de Bienville

Docteur en médecine


La nymphomanie ou traité de la fureur utérine


Dans lequel on explique avec autant de clarté que de méthode, les commencements et les progrès de cette cruelle maladie, dont on développe les différentes causes ; ensuite on propose les moyens de conduite dans les diverses périodes, et les spécifiques les plus éprouvés pour la curation,

(Amsterdam, 1771, in-8°)

Préface
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6

CHAPITRE VI :
DES MOYENS DE GUERIR DANS LE PREMIER ET LE SECOND PERIODES ET DES SOULAGEMENTS QU'ON PEUT ESPERER DANS LE TROISIEME PÉRIODE


On doit regarder les diff érents degrés de la fureur utérine comme autant de maladies particulières. Quoique leurs rapports soient les mêmes quant à leur cause, on doit néanmoins observer quelques différences dans les remèdes qu'on y apporte.
Le premier période présente trois indications à suivre. La première est de délayer et de calmer le sang; par ce moyen, la semence qui s'en forme en deviendra moins âcre et moins brûlante. La seconde, d'humecter et de relâcher toute la face interne de la matrice et du vagin. La troisième enfin, de distraire la malade de ses pensées obscènes, afin qu’étant rappelée à elle-même, elle puisse se rapprocher de tous les objets qui peuvent lui faire prendre du goût aux choses honnêtes.
Pour satisfaire à la première indication, qui est d'adoucir et de délayer le sang, on doit commencer par une on deux petites saignées du bras, à moins que quelques accidents critiques n’en empêchent. Dans ce cas, quelques-uns conseillent la saignée de la jugulaire : pour moi je suis d'avis qu'on attende que les ordinaires soient passées pour faire la saignée du bras, et qu'en attendant on emploie les adoucissants et les délayants, pour calmer l’âcreté de cette évacuation.
Mais en supposant qu'il n'y ait point d'obstacle à la saignée, voici l'ordre qu'on doit suivre dans le premier degré du premier période, c'est-à-dire quand la maladie ne fait absolument que commencer. Une seule saignée du bras suffira; le lendemain on purgera la malade avec la formule n° I; sa boisson ordinaire sera suivant la formule n° II. Tous les matins on lui donnera à jeun une bouteille, ou au moins une chopine de petit-lait clarifié; et l'après-dînée, à trois heures de distance de chaque repas, on lui fera prendre la même boisson.
On lui permettra tout au plus à dîner de manger un peu de viande, pourvu qu'il n'y ait pas la moindre épice; encore ce sera de la viande de lait, comme agneau, poulets, lapins et veau , mais point de graisse. On pourra, pour satisfaire son appétit qui augmentera de jour en jour, lui préparer des légumes humectants et rafraîchissants; on lui permettra aussi les fruits, pourvu qu'ils soient de la même qualité que les légumes. Cependant on répétera tous les huit jours l'usage de la médecine n° I ; et dans l'intervalle on lui fera prendre, suivant qu'on le jugera convenable, quelques lavements composés selon la formule n° III.
Si les vapeurs s'étaient déjà mises de la partie, comme je l'ai vu souvent arriver, on lui donnera tous les quatre jours, en se couchant, un spécifique décrit dans la formule n° IV. Il ne m'a jamais manqué en pareille occasion, et souvent même il a suffi d'en prendre une fois.
Par le régime et les boissons que je viens d'ordonner, on aura suffisamment répondu à la seconde indication.
Pour ce qui est de la troisième, ce sera aux parents, ou à ceux qui seront chargés de l'éducation de la malade, à s'acquitter de tout ce qu’il faut pour la remplir parfaitement; mais je dois leur en indiquer les moyens, et leur dévoiler ce qu'une expérience, qui m'a souvent saisi d'étonnement et d'horreur, ne m'a que trop certainement appris. Il faut donc examiner quelles sont les connaissances les plus intimes et les plus chères à la malade; et sans chercher à pénétrer dans leurs mœurs, ni espionner ce que pourra produire la continuation de ces intimités, de quelque sexe que soient ces connaissances, il faut les éloigner sous des prétextes qui ne puissent pas les offenser, ni révolter l'esprit de la malade, à cause de sa faiblesse et de celle des organes.
Si cette liaison existe vis-à-vis d'une domestique, de quelque sagesse qu'on la suppose, il faut l'examiner et suivre avec la même rigueur qu'on aurait vis-à-vis de la fille du monde qui aurait donné les plus violents soupçons sur sa conduite. On observera avec le plus grand scrupule les gestes et les regards de la malade, en recevant les services de cette domestique.
La familiarité criminelle de ces malheureuses avec leurs jeunes maîtresses, ou des jeunes élèves, est une contagion plus générale qu'on ne pense. On y fait d'autant moins de réflexions, que le danger n'est grand, que parce qu’il est moins sensible. Si après toutes ces observations il ne parait aucun attachement singulier vis-à-vis de qui que ce soit, on pourra supposer raisonnablement que l'imagination de la malade est la source de ses maux, et qu'un libertinage secret les a amenés au point de malignité qui oblige d'y apporter des remèdes. Il sera donc nécessaire, si la malade s'obstine à la dissimulation, de ne la perdre un instant de vue, ni le jour, ni la nuit, pendant laquelle on lui donnera pour compagne de sommeil une fille dont la vertu et la prudence seront à toute épreuve.
On ne tardera point à découvrir que la véritable cause de la maladie est la masturbation. Ce sera alors qu'il ne faudra plus épargner ni les reproches, ni les peintures de ce détestable crime dont il faudra lui découvrir, et même outrer les conséquences fâcheuses. On ne se lassera point de lui renouveler tous les jours ces peintures capables de lui inspirer de l'horreur pour elle-même. On redoublera les soins pour l'empêcher de retomber dans un pareil désordre. On ne lui permettra jamais d'être seule, sous quelque prétexte que ce puisse être, même sous celui de vaquer aux besoins naturels; car j'en connais qui m'ont avoué que cette indigne habitude avait pris sur elles un tel empire, que se voyant observées jour et nuit, elles s'étaient enfin décidées à feindre des besoins secrets, pour s'abandonner sans témoins à cette détestable manoeuvre. Je dois encore ajouter que pour ces sortes d'aveux, quand une fois la première démarche a été faite, j'ai trouvé beaucoup moins de pudeur dans les femmes que dans les hommes.
Dans le second degré du premier période, les saignées doivent être plus fréquentes et plus abondantes, en ayant cependant égard aux forces et aux tempéraments. Les délayants doivent être pris en plus grande quantité, et cependant tels que je viens de les indiquer, ainsi que le purgatif qui doit être aussi le même; mais au lieu d'observer huit jours d'intervalle, on doit réitérer tous les quatre jours pendant le premier mois. Du reste, on gardera le même régime, qu'on fera continuer pendant plus de temps, et on prendra les mêmes précautions sur la conduite personnelle de la malade.
Dans le troisième degré, où les fibres ont déjà éprouvé une tension longue, et par conséquent ont acquis une grande délicatesse, la marche doit être un peu différente; car alors il se présente deux écueils également à craindre. Le premier est la faiblesse de la malade, qui interdit la saignée; le second est la sensibilité et l'irritation des parties, que les purgatifs ne peuvent qu'augmenter. Il en est un troisième qui n'est pas d'une moindre considération; c'est le relâchement, l'atonie et le manque d'action dans le genre nerveux, auxquels les rafraîchissants et les délayants sont absolument contraires. On ne peut raisonnablement nier la vérité de ces trois réflexions : cependant plus d'un auteur fameux, et plusieurs de nos maîtres, surtout celui que je respecte le plus, s'en sont écartés dans la pratique. Ils sont presque tous d'accord pour l'emploi copieux de la saignée, des évacuants et des relâchants : pour moi, à qui l’expérience a fait voir tous les inconvénients de cette route frayée, on me permettra de ne point la suivre aveuglément.
Mais avant de proposer ma méthode, je vais donner celle des autres, en avertissant que la mienne m'a toujours réussi, et que celle des autres ne m'a jamais donné la satisfaction que je devais en attendre, vu les grandes autorités sur lesquelles elle est appuyée. Premièrement ils ordonnent la saignée plus ou moins abondante, suivant l’âge, le tempérament et la force de la malade; et plus les symptômes sont véhéments, plus la saignée doit être forte et fréquente. Je ne pourrais sur ce premier article m'abandonner à la moindre réflexion, parce qu'elle me conduirait malgré moi à une dissertation deux fois plus volumineuse que cet ouvrage.
Secondement, ils conseillent l'usage des purgatifs doux à la vérité, et qui, sans irriter les intestins, puissent vider les humeurs vicieuses et indigestes des premières voies; ils ajoutent que ces purgatifs doivent souvent être répétés.
L'hypothèse des purgatifs non irritants étant fausse, cette maxime présente sur le champ une méthode qui n'est point généralement sûre, et qui souvent, et surtout lorsqu'elle sera réitérée, offre des accidents assez difficiles à guérir, et quelquefois même incurables.
Enfin ils veulent qu'on donne à grandes doses, et fréquemment, les juleps et les apozèmes rafraîchissants et délayants ; tels sont les racines, feuilles et fleurs de nénuphar, les racines de guimauve, celles de chicorée et d'oseille; les feuilles de laitue, de saule, de lentille, etc. ; les fleurs de mauve, de pavot et de violette.
D'autres, après avoir épuisé les malades de force et de sang, les accablent et les remplissent de rafraîchissants de la première classe, qui effectivement les tirent de l'état où elles étaient, mais pour tomber dans une infinité d'accidents qui ne leur laissent plus d'autre perspective qu'une vie ennuyeuse et languissante, qui les rend tout au moins inutiles dans la société, quand elles ne deviennent pas insupportables aux autres et à elles-mêmes. J'ai aussi vu des médecins employer pour cette maladie la décoction des feuilles de ciguë, à la dose de deux pincées.
De toutes ces choses on en choisit trois ou quatre, suivant le goût et la commodité; et l'on en fait prendre deux fois le jour, matin et soir, à une certaine distance des repas en ajoutant à chaque potion un drachme de cristal minéral, de sel prunelle, ou de sel sédatif d'Homberg.
On ordonne aussi de prendre quatre fois par jour, loin des repas, le petit-lait clarifié : de chaque gobelet on a soin de faire une décoction avec une once de racine de nénuphar, ou bien l'on y mêle de son sirop. On conseille même pour toute boisson le petit-lait clarifié sans addition, si les malades ne montrent pas trop de répugnance. On verra par la suite ce que je dirai de l'usage de ce petit-lait, que je ne désapprouve pas entièrement, mais auquel je crois qu’il faut quelques modifications.
On ordonne encore le lait d'ânesse deux fois le jour; mais je rejette cette pratique comme inutile, si on emploie des remèdes plus efficaces, et comme très insuffisante, si on s'en tient uniquement à cela. Quant au lait de vache, j'en fais une estime bien différente. On verra les grands effets qu'il peut produire en le donnant avec les précautions requises.
On fait aussi usage, matin et soir, des émulsions faites avec les quatre semences froides majeures, ou avec les quatre mineures, dans quelques eaux distillées de nénuphar, de laitue ou d'endive, en ajoutant à chaque émulsion une once de sirop de violette, de nymphæa ou d'althæa. On fait boire aussi, pendant un mois de suite, les eaux minérales acidules et chalibées à la quantité de deux ou trois livres, en faisant dissoudre dans les premiers verres quelque sel purgatif, comme trois drachmes de sel de duobus, demi-once de sel polycreste, ou de sel d'Epsom.
Voilà, en général, la pratique ordinaire dans le degré de cette maladie.
Ma méthode est un peu différente.
Premièrement, pour répondre à la première indication qui parait exiger la saignée, je dis qu'il est des cas où elle est dangereuse; quelques-uns où elle demande à être répétée une fois, aucun où on doive les faire fréquentes, ni abondantes.
Toutes ces particularités pourraient être justifiées par les exemples des malades au secours desquelles j'ai été appelé, et que je me suis vu forcé de laisser périr misérablement, parce qu'on ne m'avait point laissé assez de sang pour travailler à leur rétablissement. Le sang renferme les matériaux de l'édifice, dont il est lui-même l'architecte. Comment est-il possible de réparer cet édifice sans matériaux, et sans le principal ouvrier? Il n'est donc point de cas où l'on doive épuiser un homme de sang, à moins de vouloir lui ôter la vie. Quand le médecin se voit arrivé à cette cruelle alternative, son devoir est de se retirer, si son expérience ne lui donne d'autres moyens pour soulager, que d'anéantir les principes de l'existence, sans pouvoir se flatter d'un espoir raisonnable de les réparer.
Pour juger des cas où la saignée est utile, il suffit de se rappeler les principes sur l'usage de ce remède. On ne doit saigner que pour l’inflammation ou la pléthore des vaisseaux. Quand le mal dont nous parlons, ou vient de ces deux causes, ou existe avec elles, alors la saignée deviendra nécessaire; et il sera d’autant plus utile de la répéter, qu'il y aura lieu de juger qu'il y a pléthore ou inflammation tout ensemble.
Cela arrive aux nymphomaniaques qui le sont plus par imagination que par des habitudes d'un vice réel. Comme la saignée est le plus rafraîchissant et le plus calmant de tous les remèdes, on l'emploie toujours vis-à-vis d'elles avec succès; mais il faut les faire petites, et au nombre de trois ou quatre en moins de vingt-quatre heures : faire des saignées abondantes et en grand nombre, c'est écraser la malade au lieu de la secourir; c'est lui ôter le pouvoir de supporter les autres rafraîchissants qui lui conviennent; c'est souvent se préparer des maux dont la cure deviendra plus longue, et l'événement plus triste que la maladie à laquelle on a voulu remédier.
Si le vice vient de l'imagination et d'une habitude criminelle tout ensemble, mais dont les excès n'auront pas été considérables, soit par leur nature, soit par la durée, alors la saignée sera encore très utile, mais il suffira d'en faire deux en douze heures.
Si enfin le mal vient uniquement d'une habitude excessive des plaisirs, soit dans le coït, soit dans l'abominable masturbation, quel sera le médecin qui osera me soutenir qu'on doit saigner une telle malade? Conservez à cette malheureuse le peu d'esprit qui lui reste encore dans les veines, c'est une semence dont nous pourrons peut-être faire quelque chose. Si vous l'en privez, il n'y a plus de germe, par conséquent plus de vie. Il faudrait plus d'un ouvrage pour développer cette grande maxime de médecine, qui est dans les principes les plus connus de cet art; mais il faudrait aussi une réputation plus célèbre, et une plume bien plus éloquente que la mienne, pour la persuader. Que dis-je ? Quand on en sera bien persuadé, on y manquera encore dans la pratique, et nous sommes presque dans le cas du désespoir sur l'illusion des malades et des médecins à cet égard. Je me donnerai au moins la satisfaction, si Dieu me donne la vie et la santé, de faire là-dessus des dissertations si sensibles et si démonstratives, que peut-être j'aurai enfin la gloire d'avoir intéressé l’humanité en faveur de l'humanité même.
Après avoir fixé l'usage légitime de la saignée dans les trois degrés du premier période de la maladie, nous ne devons point négliger l'emploi qu'on doit faire des purgatifs et des autres remèdes.
J'ai déjà prescrit ce qu'il faut pour le premier et le second degré; toute la difficulté consiste dans la façon de se conduire dans le troisième.
Il y a sur l'usage des purgatifs les .mêmes réflexions à faite que sur celui de la saignée. Plus le mal est avancé, plus il y a de faiblesse et d'irritabilité, par conséquent moins il y a lieu de se servir des choses qui peuvent affaiblir, comme la saignée, et de celles qui peuvent irriter, comme les purgations; ainsi, jusqu'à ce qu'on ait pu me prouver que les médecines n'irritent point, surtout quand la nature est d'elle-même très irritable, je ne pourrai admettre les purgatifs dans ma méthode; et l'on aura d'autant moins de sujet de blâmer ma conduite à cet égard, qu'elle n'exclut point tous les évacuants, pourvu qu'ils soient de l'ordre des toniques non astringents, qui ont la vertu de digérer successivement ce qui peut l'être, et avec le temps d'évacuer tout le superflu.
C'est pourquoi, après une ou deux saignées tout au plus, je fais prendre le soir même un demi-bain; une heure après on donne, dans un bouillon fait avec le maigre de boeuf, de veau et d'orge cru, quinze gouttes de quintessence diaphorétique, expliquée dans le formule n° V. Je fais prendre le lendemain matin un autre bain à jeun, après lequel on fait prendre la même dose de quintessence dans du bouillon. La malade se repose une heure dans le lit, après quoi elle peut manger un potage clair au riz et au lait, mais en très petite quantité. À dîner on pourra lui servir un potage, et très peu de viande, avec deux verres de bon vin rouge, mêlé avec autant d'eau minérale. Dans l'après-dînée, deux heures après le repas, si elle a soif, elle boira du petit-lait bien clarifié; et pour en venir à bout, on le fait filtrer dans un entonnoir avec le papier gris. À six heures elle se remettra dans le bain, où on fera en sorte par gradation de la tenir deux heures.
En sortant du bain on lui fera avaler deux onces d'hydromel vineux, dans lequel on aura mis quinze gouttes d'essence diaphorétique. Sur les neuf ou dix heures, on lui servira une chopine de lait; et si elle témoigne grand appétit, on pourra lui permettre une once de biscuit ou de pain très léger et bien cuit, pour tremper avec le lait. Cependant on prendra les mêmes précautions que j'ai indiquées dans les deux premiers degrés, et on ajoutera celle d'entretenir sur les parties une flanelle continuellement imbibée dans une décoction d'herbes émollientes avec une préparation de saturne. (Voyez la formule n° VI.) Ce remède est tout à la fois émollient et rafraîchissant. C'est pour quoi, si l'inflammation de l'intérieur des parties est grande, on fera très bien, avec la même préparation, de donner des injections qui pénètrent, s'il est possible, jusque dans la matrice, qui reste ordinairement ouverte dans cet état. On pourra d'autant plus aisément réitérer ces injections, que ces sortes de malades s'y prêtent volontiers.
Après qu'on aura éprouvé ce régime pendant sept ou huit jours, si l'on voit que l'amas des humeurs augmente, qu'il s'accumule des obstructions dans l'estomac et les viscères, que les intestins s'obstinent à ne point se contracter, ce sera alors un signe évident que la nature demande le secours des évacuants.
Alors on donnera la veille, dans l'après-dînée, un lavement composé selon la formule n° VII. Le lendemain on suspendra tous les autres remèdes, et l'on fera boire, à commencer dès sept heures du matin, d'heure en heure, un gobelet de l'apozème décrit à la formule n° VIII. Le soir on donnera les gouttes diaphorétiques ; ensuite on observera, si l'évacuation a été forte, de lui faire prendre bien tard l'émulsion n° X. Le lendemain on reprendra le traitement ordinaire; et en le suivant, on aura lieu d'être surpris de la rapidité et de la certitude du succès.
Pour le second période, il se présente les mêmes indications essentielles que dans le troisième degré du premier; cependant il en est d'accidentelles qui exigent des précautions différentes.
J'y ai établi deux degrés. Dans le premier, où l'on admet encore des intervalles dans le délire mélancolique, il faut observer le même traitement que dans le troisième degré du premier période, avec cette différence, qu'au lien des demi-bains tièdes que j'ai prescrits, on donnera les bains entiers et froids, et que pour cuire les humeurs cacochymes qui sont dans les viscères, et en évacuer le superflu, on donnera tous les jours à jeun, une heure avant le bain, une cuillerée d'essence aurifique décrite dans la formule n° IX; et comme l'ardeur des parties doit être plus considérable, on y introduira les pessaires continuellement imbibés d'eau préparée suivant la formule n° IX. S'il y avait dans ces parties des accidents plus considérables, on aurait recours aux remèdes que je vais indiquer dans le traitement du troisième période. C'est dans ce cas déplorable qu'un médecin doit gémir de se voir appelé, et qu'en même temps il doit faire tous les efforts de science, d'expérience et d'étude, pour répondre à la confiance dont on l'honore : car il faut lui supposer une capacité peu commune, et une discrétion à toute épreuve.
J'ai vu beaucoup de ces malades; j'ai donné les conseils que j'ai crus convenables à leur situation; je n'en ai vu aucune guérir.
L'histoire d'une seule que j'aie eu la connaissance de traiter moi-même, c'est-à-dire, d'exécuter mes propres remèdes, servira tout à la fois de modèle pour la conduite qu'on observera vis-à-vis de celles qui sont arrivées au délire maniaque, et de consolation pour les personnes qui s'y intéresseront, puisque j'ai eu le bonheur de réussir. Mais qu'un seul exemple ne serve point à diminuer la terreur que doit inspirer une situation aussi cruelle, qu'un médecin entreprend toujours sans espoir, et dont le succès, quand il arrive, le force de se récrier sans cesse sur les secrets impénétrables de la nature, qui bornent ses connaissances et son étude. D’ailleurs, on va voir que ce n’est que par des soins infinis, et par des régimes très entendus, que je suis enfin venu à bout de guérir cette malade.
Elle était déjà à cette extrémité qui force les parents d'avoir recours aux maisons de force, pour se débarrasser d'un fardeau au-dessus de leur tendresse et de leurs soins. Depuis deux ans je n'étais point venu en province ; personne ne m'avait prévenu du désastre de Mademoiselle de ***. Il n'avait été guère possible de le faire, puisque dès le lendemain de mon arrivée j’allai voir son père, doublement affligé parla perte qu'il avait faite, dans mon dernier voyage, d'une femme qui devait lui être chère. Après les premiers compliments, je lui témoignai l'empressement que j'avais de saluer mademoiselle sa fille. Je vois bien, me répondit ce père infortuné, que vous ignorez toute l'étendue de mes malheurs : peut-être, si vous aviez été ici, vous auriez pu remédier à ma disgrâce ; mais le mal est sans ressource, et plaise à Dieu que je puisse enfin prendre sur moi de n'y plus songer. Voyant que je me persuadais que sa fille était morte : Non, me dit-il, la malheureuse Éléonore respire encore; et peut-être vivra-t-elle trop, pour être longtemps victime d'un état auquel on ne peut penser sans frémir. Je ne voulus point l’entretenir plus longtemps dans ses sujets d'affliction. J'allais dîner chez une dame où j'étais bien sûr d'être informé de toutes les circonstances qui avaient rapport à cet événement. Effectivement, par tout ce que j'appris d'elle et de bien d'autres, je fus dans le cas de juger que cette fille était nymphomaniaque au dernier degré. Plusieurs gentilshommes du voisinage avaient échappé avec peine à ses accès de fureur; les deux domestiques de la maison n'avaient point toujours été assez forts, ou peut-être assez vigilants pour la contenir. Quelquefois même elle s’était échappée assez loin pour faire craindre, pendant quelques jours qu'on l'avait cherchée, quelle ne se fût précipitée dans un des étangs; car il y en a grand nombre dans cette campagne. En vain avait-on conseillé au père de la mettre en sûreté. Cette fille qui avait, fait les délices du voisinage par sa beauté, en était devenue l'horreur; enfin la nécessité avait contraint le père de la conduire lui-même à Tours dans une communauté que je ne nommerai pas, parce que je ne puis en parler qu'avec indignation. Quoique sa fortune fût bornée, il s'était cependant soumis à des dépenses considérables que ces religieuses avaient exigées pour fournir aux soins et à toutes les douceurs que sa tendresse sollicitait pour alléger la situation de cette furieuse. On lui avait tout promis pour l'engager à augmenter la pension. Mais la règle, dans ces maisons impénétrables à l'humanité, est d'exiger beaucoup, et de ne rien changer à l’ordre qu'on observe indistinctement pour les malades, qui y sont traitées de façon à augmenter leur fureur et tous leurs accidents, jusqu'à ce qu'un épuisement total les jette dans l'imbécillité.
Dans les différents voyages que j'avais faits en province, j'avais reçu de cette demoiselle toutes les honnêtetés dont un étranger peut être flatté.
Je fus plus sensible que le ne puis l'exprimer à sa disgrâce; l'élégance de sa figure, la beauté de ses yeux, la régularité de ses traits, et la vivacité de son coloris, tout cela ne me sortait plus de la tête; et j'étais pénétré d'une vraie douleur, quand j'imaginais les changements que cette vilaine maladie avait déjà dû faire dans cette figure si intéressante.
Comme mes affaires demandaient que je fisse un séjour plus considérable qu'à l'ordinaire, je me décidai tout d'un coup à entreprendre la guérison de cette malade, et je pris cette résolution bien plus par humanité que par aucun autre motif; quoique l'amour-propre me flattât beaucoup sur la gloire qu'il y aurait à cette entreprise, si elle avait un heureux succès. J'allai donc trouver le père, à qui je fis part de ma résolution. Votre fille, lui dis-je, n'a que vingt-deux ans. Quelles ressources encore dans la nature ! Ne serait-ce pas une cruauté criminelle de négliger de chercher dans tous les secrets de l'art les moyens de la réchapper? Il est peut-être encore temps; il y a encore à cet âge des principes capables de s'assimiler avec les remèdes pour rétablir l'animal, ou au moins pour réparer la plus essentielle harmonie. Ah ! me dit ce père infortuné, comment pourrais-je me refuser à votre zèle? Mais permettez que je vous observe que le mal est pire que jamais; les nouvelles que j'en reçois sont désespérantes. Si vous saviez tout ce que j'ai fait, et ce qu'on fait encore! Mais bien loin que les remèdes opèrent, ils semblent augmenter le mal. Ne croyez pas, lui répondis-je, que je me croie bien supérieur en connaissances, mais quelque chose me dit que nous serions dignes l’un et l'autre des plus justes reproches, si nous abandonnions cette infortunée. La certitude quelle ne guérira jamais dans la communauté où elle est, l'espoir de la guérison si nous l'en sortons, voilà deux motifs bien puissants pour venir à son secours. D'ailleurs je me charge de tous les embarras, et des désagréments. Moi-même je l'irai chercher, je l'amènerai chez moi; ce sera dans ma maison que le la traiterai. Deux hommes et une garde que je prendrai tour à tour, seront les seuls domestiques qui auront accès dans l’appartement que je lui ferai occuper. Vous seul de tout le voisinage serez instruit du secret. Si nous réussissons, on applaudira hautement à votre tendresse, et à mon zèle; si au contraire, après avoir tout essayé, le mal continue, nous serons quittes pour avoir recours aux mêmes moyens dont on use aujourd'hui.
Une proposition qui aplanissait aussi bien tous les obstacles, ne put pas être rejetée. Aussi fûmes-nous bientôt d'accord sur les moyens d'exécuter notre projet. Deux jours après, je pris de grand matin le chemin de Tours, où j'arrivai le soir. Dès le lendemain j'allai voit un grand-vicaire que j'avais connu particulièrement à Paris, je lui racontai le sujet de mon voyage, et lui déclarai que j'exigeais de lui qu'à l'appui de son autorité nous pussions sur-le-champ être introduits dans l'intérieur de la maison, sans qu'on pût avoir le temps de faire le moindre changement à l'ordre qu'on y observe, parce qu'il était important que je pusse juger, par le traitement actuel, la façon dont on s'était conduit vis-à-vis d'Éléonore. Je ne pouvais guère mieux m'adresser qu'à ce grand-vicaire, puisqu'il était supérieur de la maison. Il m'accorda sur-le-champ ma demande, et dans l'instant nous nous rendîmes à la communauté, où le grand-vicaire, après s’être entretenu de choses vagues avec la supérieure, lui dit qu'il devait entrer sur-le-champ avec moi dans l'intérieur de la maison. Elle lui représenta le danger qu'il y aurait pour nous, si les sœurs n'avaient pas le temps de mettre de côté les malades les plus furieuses; que telles qui nous paraîtraient au premier abord les plus tranquilles, pourraient tout à coup se mettre dans une fureur capable d'alarmer toute la maison; mais il leva cette difficulté en disant qu'on pourrait aussi bien mettre ordre à tout en notre présence, et ordonna d'ouvrir les portes sur-le-champ; ce qu'on fit.
Je ne dirai point toute l'horreur dont je fus saisis à l'entrée de cette maison, séjour de la fureur, du crime et du désespoir. Mon respectable conducteur avait dit tout bas à la supérieure de lui faire un signe quand nous serions à la cellule d Éléonore. Il était convenu avec moi de me le rendre; car je ne voulais, dans cette première visite, rien faire apercevoir de l'intérêt que je prenais à elle.
Approchez, filles infortunées, et maudissez le moment où vous avez ouvert votre faible cœur à l'entrée des passions déshonnêtes ; écoutez, et ne frémissez pas, si vous pouvez, à la vue du spectacle dont je vais vous faire le récit.
Ô spectacle trop hideux et trop effrayant ! vous êtes et serez toujours présent à mes yeux et à ma mémoire qui est sans cesse épouvantée... Est-ce vous, m'écriai-je en moi-même, trop infortunée Éléonore ?... Est-ce vous que j'ai vue autrefois si aimable et si digne d'être aimée ? Est-ce bien vous dont l’esprit, les grâces, la beauté et l'élégance de la taille étonnaient et charmaient tout le monde ? Ô sort déplorable, qui doit faire trembler toutes les personnes de votre sexe, et l'humanité entière ! Destin cruel ! quelle incroyable métamorphose as-tu opérée !... Quels yeux hagards et enfoncés, quelle peau jaune et livide, quelles joues flasques et décolorées, quelles lèvres pendantes et violettes, quelle bouche écumante et puante, quelles dents noires et décharnées, quelle taille recourbée et déformée, quel tout affreux! Puis-je croire que vous avez été le siège de tant de charmes ? Cette chevelure dont l'art relevait avec tant de goût la beauté, n'est donc plus qu'une crinière éparse et hérissée, dont la pommade et la poudre parfumée sont l'ordure et la poussière ? Ces mains potelées si blanches, et si adroites pour orner ce malheureux corps, ne sont donc plus couvertes que d'excréments, et se servent de cette matière vile et puante en guise de pâte, de parfums et de rouge. Ô fatale idée de coquetterie et d'amour ! à quelle toilette êtes-vous réduite ?... Persécutez-vous encore une malheureuse dans ce séjour d'horreur et d'infamie où vous l'avez conduite ? Ne l'avez-vous arrachée des mains de ses parents, d'une table sensuelle, d'un sommeil agréable et innocent, d’une société brillante et aimable, des bras de l'espérance la plus heureuse, que pour devenir sa honte, son supplice et son bourreau ? Ô fatal amour ! passion véritablement infernale, tu es bien plus inhumain que ces filles qui la maltraitent sans cesse; tu es bien plus horrible que ce cachot affreux et puant. Tu es plus vil que cette nourriture malpropre qu'on lui sert, tu es mille fois plus impur que cette paille pourrie et infectée qui lui tient lieu de lit. Voilà donc, barbare, la volupté que tu promets ! C'est donc là le terme de ta mollesse, et le comble de tes délices!
Ô trop infortunée Éléonore, puisse votre exemple servir de leçon à vos semblables! Puisse cette triste et désolante image changer les gouttes brûlantes de sang qui coulent dans leurs veines, en des molécules de glace, inaccessibles aux ardeurs les plus séduisantes de la volupté !
Il me serait bien difficile d’exprimer le saisissement et la tristesse qui s’emparèrent de toutes les puissances de mon âme. Je priai le grand-vicaire de me dispenser du dîner auquel il m'avait invité. Je le quittai avec promesse que nous retournerions le soir pour régler le compte avec la supérieure, et disposer les moyens de la faire partir. Dans cet intervalle, il chercha deux jeunes hommes vigoureux, et deux femmes telles que je les lui avais demandées, et il me les amena, après avoir fait le marché pour six mois avec les dernières. J'avais remarqué, lorsqu'on était entré dans le cachot de cette malheureuse, qu'elle s'était sauvée dans un coin où elle s'était tenue accroupie tout le temps que la religieuse y était restée; et je n'avais point oublié qu'elle avait poussé un cri affreux lorsqu'on avait voulu l'en tirer pour l'avancer vers nous, ce à quoi elle s'était refusée constamment. Lorsque je fis part à la supérieure des ordres que j'avais de ramener Éléonore, elle me dit que je serais le maître, mais que la chose lui paraissait impossible, à moins de la faire enchaîner dans une voiture couverte, et qu'encore elle donnerait bien de l'ouvrage, par les cris épouvantables qui causeraient des tumultes et un scandale affreux dans la route.
Je lui répondis que j'avais prévu à tout; que quant au moyen d'enchaîner Éléonore je ne le souffrirais pas, en ayant un plus doux et plus honnête, que je ferais exécuter le lendemain moi-même; qu'à l'égard des accès de fureur, la chose ne me paraissait pas aussi facile, que cependant j'essaierais de les calmer; que tout ce que je lui demandais, était de la faire tenir prête pour le lendemain matin à trois heures, soit pour la propreté du corps, soit pour celle du linge. Je lui fis prendre, avant de la quitter, l'émulsion formule n° X, et je me retirai à l'auberge après avoir fait mille remerciements au grand-vicaire.
Je donnai des ordres pour que la voiture fût prête le lendemain. À l'heure marquée, je me rendis à la communauté, où je trouvai Éléonore habillée très proprement, et gardée dans la salle par les religieuses. J'y entrai d'abord seul, et je témoignai qu'on avait fait beaucoup plus que je n'avais demandé. En effet, je les priai de lui ôter tous ses habillements, excepté la chemise; mais, auparavant d'augmenter son trouble par cette cérémonie, je leur dis de lui faire prendre la même émulsion que la veille, ce à quoi elles réussirent, quoique avec beaucoup de peine. Elles se mirent ensuite à la déshabiller, ce qui ne s'exécuta qu'avec une violence qui me donna un spectacle fort désagréable.
Je fis apporter un bandage d'une toile forte et large, avec lequel je leur dis de l'emmaillotter, en lui couchant les bras sur les côtés. Cette manœuvre, qui fut exécutée avec beaucoup d'adresse, la révolta au point d'écumer de rage; mais il fallut céder à la force. Ses gardes la transportèrent dans la voiture, où ils n'eurent pas grande peine à la contenir. Mais il y avait de quoi frémir au bruit de ses cris, à voir ses grincements de dents, qu'elle n'interrompait que pour essayer de les mordre, ou pour leur cracher au visage. On les sortit grand train de la ville, et je les suivis à cheval, où j'eus le temps pendant toute la journée de m'abandonner aux réflexions les moins consolantes sur l'espoir de la tirer d'un état si fâcheux. Cependant à la dînée, l'ayant fait mettre sur un lit, elle reposa environ une demi-heure, mais elle ne voulut absolument rien prendre. Je voulus essayer si, en lui faisant rendre la liberté des mains, elle ne serait pas plus docile à faire usage de ce qu'on lui offrait. En effet, cela réussit, non sans avoir fait auparavant bien des efforts pour griffer ses gardes, qui eurent après cela bien de la peine à la remettre dans la même situation du matin.
Nous nous remîmes en route après avoir essuyé toutes ses folies, et nous arrivâmes la nuit dans ma campagne. Je la fis sur-le-champ transporter dans son appartement, où je trouvai tout exactement disposé comme je l'avais ordonné avant mon départ.
Comme tout ce qui concerne cette malade doit servir de modèle en pareil cas, on me passera d'être long, plutôt que d'omettre les moindres circonstances.
Le lit était à roulettes et construit d'un bois de chêne fort épais, ayant une colonne à chaque angle, et une dans chaque milieu, ce qui compose huit colonnes. Tout l'intérieur était rembourré de crin. La forme était d'une boite de six pieds de long sur deux et demi de large, un fond de sangle qu’on pouvait ôter quand on voulait, un sommier de balle d’avoine, sans lit de plume ni matelas. À défaut de ce sommier, on peut en avoir de crin; mais on doit en avoir plusieurs, afin de pouvoir toujours changer la malade au plus léger besoin. Un seul drap, qu'on a soin de contenir avec des boucles qui sont pratiquées dans les traverses de côté et des deux bouts du lit; point de couverture ni d'autres façons pour le coucher, jusqu'à ce que la malade soit revenue à un certain degré de résipiscence. Quelque tard qu'il fût, j'ordonnai, aussitôt après mon arrivée, un bain dans lequel on força la malade de rester une heure. On l'en sortit, et après l'avoir essuyée on lui présenta un grand plat de riz qu'elle dévora; après on la remit en maillot dans le lit, et un seul homme resta auprès d'elle, avec ordre de ne la punir autrement, lorsqu'elle voudrait mordre ou crier, qu'en lui jetant un gobelet d'eau fraîche sur le visage.
Le lendemain je la fis saigner quatre fois, à la quantité de six onces, en observant trois heures de distance d'une saignée à l'autre. Je lui fis prendre entre chaque saignée une bouillie claire faite avec le lait et la fleur d'orge, dans chacune desquelles on avait mis une demi-once de sirop de pavot.
Je commençai cette cure le 12 du mois de mai de l'année 1761. Le 13 je lui fis commencer l'usage de la quintessence formule n° V, quinze gouttes dans un bouillon fait avec le veau, un quartier de poule maigre, et toutes les herbes calmantes (Voyez la formule n° XI); après, le bain d'une heure, et la douche qu'on lui donnait sur la tête. Elle reprenait le même bain et la même douche à cinq heures. À dîner, on lui servait un potage au lait; dans le jour, quand elle avait soif, on ne lui donnait d'autre boisson que le petit-lait clarifié; deux heures avant le bain, on lui servait une bouillie à la fleur d'orge; à six heures, au sortir du bain et de la douche, une ample soupe au lait; et vers les dix heures, une bouillie comme ci-dessus, avec une once de sirop de pavot blanc.
Je fis observer ce régime et ces remèdes pendant le reste du mois de mai, et tout juin.
Il faut observer : 1° qu'elle était toujours emmaillotée la nuit, de façon à ne pouvoir porter la main sur les parties ; 2° que le jour les femmes l'observaient, tant au lit que dans le bain, de façon à ne lui jamais donner le loisir de se livrer à aucune obscénité; 3° que quand elle essayait de le faire, on ne la punissait autrement qu'en lui inondant le visage, et tout au plus en faisant semblant de vouloir la mettre dans son maillot; 4° qu'on lui faisait, avant d'entrer dans le bain, des injections dans le vagin, qu'on lui faisait garder (Voyez la formule n° XII); 5° enfin, que jour et nuit elle avait sur les reins une plaque de plomb assez mince, et sur toutes les parties une flanelle fort épaisse, continuellement imbibée d'eaux émollientes (Voyez la formule n° XIII). Je remis pendant tout ce temps à remédier aux vices particuliers des parties organiques; je crus devoir me contenter de ces palliatifs généraux, capables d'adoucir la constitution salée et muriatique du sang, et par conséquent de corriger le vice de la lymphe qui aborde à ces parties. On aura peine à croire qu'avec un régime et des remèdes aussi anodins, il ne se soit opéré aucun changement dans la malade. Mêmes fureurs, même écoulement, à la vérité un peu moins fétide, même jaunisse et raideur sur la peau. Je commençai néanmoins, le 1er de juillet, à employer des remèdes un peu plus toniques. C'est pourquoi, sans interrompre l'ordre de ceux dont j'avais fait usage jusqu'alors, et sans rien changer au régime, j'observai, au lieu du sirop de pavot dans la bouillie du soir, d'y faire mettre quinze gouttes de la teinture anodine suivant la formule n° XIV; et au lieu de la quintessence diaphorétique, je lui mis dans le bouillon du matin quatre grains d'or de vie, dont la préparation a été longtemps un rare secret, et l'est encore pour beaucoup de gens (Voyez la formule n° XV). Cependant je me mis en devoir de travailler plus essentiellement aux accidents des parties.
Ces accidents étaient un prolongement considérable du clitoris, avec des dartres, un abcès dans la matrice, qui s'annonçait avec assez de malignité par l'âcreté et la puanteur de la matière qui en découlait. Le nez était douloureux et habituellement enflammé, tantôt plus, tantôt moins.
Le prolongement ou turgescence du clitoris avait un peu diminué; les dartres paraissaient avoir perdu de leur âcreté : je jugeai donc que les mêmes embrocations pourraient les guérir à la longue; mais je m’occupai plus sérieusement de l'écoulement, qui annonçait un ulcère ouvert dans la cavité de la matrice. J'ordonnai donc de faire les injections avec la formule n° XVI. J'eus la satisfaction au bout d'un mois, c'est-à-dire vers le 6 d'août, de remarquer un peu plus de tranquillité dans ma malade; ses fantaisies étaient moins fréquentes, ses oppositions aux remèdes moins considérables, ses mouvements lascifs cédaient à la première menace; l'écoulement devint d'une odeur et d’une couleur plus louables; le nez était encore un peu douloureux, mais sans inflammation; enfin je pus m’apercevoir de l'effet de mes remèdes. Mais que j'étais éloigné encore d'espérer une entière guérison ! Cependant la jaunisse, qui disparaissait peu à peu, m'annonçait une révolution totale dans la machine. Je fis encore changer les injections, et j'en ordonnai suivant la formule n° XVIII, que je faisais répéter après les bains. D'ailleurs je fis continuer le régime et les remèdes.
Je m'étais toujours opposé jusqu alors au désir qu'avait le père d'Éléonore de la voir; quand je lui annonçai que je commençais à trouver un changement sensible à sa situation, il me témoigna que peut-être sa présence opérerait quelque sensation qui produirait un bon effet. Jusque-là elle n'avait vu que ses gardes et moi. Depuis quelques jours, lorsque je lui parlais de son père, elle paraissait tomber pendant quelques instants dans une rêverie profonde, comme aurait pu le faire une personne raisonnable; j'en conclus que l'image d'un homme aussi cher se retraçait encore dans ses idées, que par conséquent les fibres du cerveau pourraient peu à peu reprendre leur ton naturel. Enfin le dernier du mois d'août, c'est-à-dire près de quatre mois après le commencement des remèdes, j'introduisis dans l'appartement le père d'Éléonore.
J'étais convenu avec lui qu'il résisterait à ces mouvements de tendresse qui occasionnent des larmes, parce que tout ce qui peut faire des impressions vives était dangereux dans cet état. J'avais prévenu sa fille de son arrivée, afin de préparer le rapport des idées. Elle n'avait pas plus répondu à cela qu'à toutes les choses que je lui avais dites depuis qu'elle était chez moi. Le père ne fut pas plus heureux, elle le regarda fixement, poussa néanmoins un soupir, et se détourna d'un autre côté, comme pour ne plus voir un objet qui lui fatiguait la tête. Je ne m'attendais pas à une entrevue aussi tranquille, aussi ne voulus-je pas qu'elle fût plus longue. Je lui conseillai même de ne lui rendre que des visites rares et courtes, et de ne lui faire aucune démonstration qui pût la fatiguer. Le retour des fibres à leurs justes accords est une chose nécessaire pour qu'elle puisse vous reconnaître, lui dis-je : il ne petit être que fort lent; si on veut en forcer la marche, au lieu d'avancer, on recule. Attendez donc patiemment du temps et des remèdes ces parfaits accords qui ramèneront à une parfaite connaissance; c'est un point mathématique dont nous ne connaissons pas la distance.
Cependant dès ce moment je lui parlais tous les jours, non seulement de son père, mais aussi de ses anciennes connaissances de son sexe. Je l'entretenais aussi de sa campagne, de ses promenades, de toutes les choses enfin que je croyais les plus aisées à être retracées à sa mémoire. Je ne me lassais pas de lui parler, mais elle s'obstina toujours à ne pas me répondre, non plus qu'à son père, qu'elle fixait toujours avec le même étonnement.
J'avoue que ce silence obstiné me déconcertait, voyant surtout que le reste allait de mieux en mieux; car dès la fin de septembre l'ulcère de la matrice parut cicatrisé, la turgescence du clitoris n'était plus sensible, les dartres avaient absolument disparu, depuis quelques jours ses gestes n'avaient plus rien d'obscène; elle traitait honnêtement ses gardes; elle était .on ne peut pas plus docile à tous les remèdes; il y avait même plus de quinze jours qu'on n'usait plus du bandage.
On se contentait, à l'endroit des parties, de l'envelopper d'une flanelle imbibée qui faisait quatre fois le tour du corps, et qui lui descendait à moitié cuisse. Le jour on montait ce bandage plus haut, pour lui donner l'aisance de se promener dans l'appartement; ce quelle faisait peu, mais d'un air très raisonnable, quoique infiniment triste. Moi-même elle me recevait avec une honnêteté distinguée, qui m'annonçait un ordre dans ses idées. Je ne balançai plus à me persuader que deux choses s'opposaient à l'entier rétablissement de ma malade.
1° La honte de reparaître dans sa province, qui pouvait tenir les fibres dans une tension opiniâtre; 2° une profonde tristesse, occasionnée par les idées désagréables que cette honte produirait en elle. Mais je me trompais, comme je l'ai reconnu depuis par son propre aveu. Le 22 d'octobre, une de ses gardes vint me chercher avec précipitation. Venez, me dit-elle, au plus vite, Monsieur; Mademoiselle a dormi profondément toute la nuit, et ne fait que s'éveiller à l'instant. Après nous avoir fixées, ma camarade et moi, elle nous a demandé qui nous étions. Nous lui avons répondu que par vos ordres et ceux de monsieur son père nous étions à son service, pour la soulager dans sa maladie. Où suis-je donc? nous a-t-elle dit. Vous êtes, lui ai-je répondu, chez un ami de monsieur votre père; si vous voulez, j'irai lui dire de venir vous parler. Je courus à l'appartement d'Éléonore avec une joie inexprimable. Elle me reçut avec cet air froid et languissant qu'elle avait toujours eu dans le mieux de son mal, et me pria d'envoyer dire à son père de la venir chercher, parce qu'elle ne voulait pas m'être plus longtemps incommode. Je dépêchai sur le champ un exprès au père d’Éléonore, pour l'informer de cette heureuse nouvelle. Il ne tarda pas à se rendre chez moi. Sa fille ne lui fit pas un accueil beaucoup plus tendre qu'à moi ; elle reçut ses embrassements avec bien plus de modération qu'il ne les lui donnait, et lui dit: je sors, mon père, d'un songe bien long et bien fatigant. Il faut que ce songe m'ait fait faire bien des sottises, pour vous avoir forcé à m'éloigner de votre présence. Si j'ai encore des droits sur votre tendresse, j'exige d'elle que vous me rameniez aujourd'hui chez vous, pour y jouir de tous les droits que vous m'y avez toujours donnés. J'exige aussi que votre maison soit impénétrable à tout le monde, excepté à Monsieur (en me montrant), et à Mademoiselle de Beaudéduit que je vous prierai de faire venir.
Le service de cette femme, en désignant une de ses gardes, me sera fort agréable : elle est la seule qui n'ait point donné beaucoup de travail à mon imagination pendant mon malheureux songe.
Il serait difficile de rendre les réponses et les mouvements de ce père tendre. Il accorda tout ce que sa fille voulut, et je n'eus garde de m'y opposer. Il fut décidé que nous passerions la journée chez moi, et que le soir on se rendrait au château de M. de***, où je suis resté un mois sans presque les quitter.
Éléonore a gardé longtemps le régime que je lui ai prescrit, qui consistait à ne manger que des viandes blanches, beaucoup de laitage, du lait clarifié pour toute boisson. Elle a couché très longtemps sur un seul sommier de crin. Son père a eu le plus grand soin de ne la laisser voir qu'à des personnes gaies et vertueuses. Elle s'est mariée avec un jeune homme aimable dont elle fait les délices, et elle passe encore aujourd'hui pour la plus belle et la plus honnête femme de sa province.
Je n'ai rien à ajouter aux remèdes ni à la conduite qu'on a dû observer dans cette histoire. Celles qui ne pourront pas être guéries, en recevront au moins du soulagement, elles attendront la mort avec moins d'horreur et de désespoir.
Ce que je ne puis m'empêcher de recommander aux parents à qui ces accidents arrivent, c'est, autant que l'aisance le leur permet, de faire essayer sous leurs yeux tous les moyens que peut proposer un médecin expérimenté, et de ne se décider à mettre ces malheureuses dans des maisons de force, qu'après avoir inutilement tenté tous les remèdes. Je dois leur conseiller de ne jamais permettre que leurs filles contractent la plus légère familiarité avec les domestiques des deux sexes.
Ceux qui sont en état de leur donner une gouvernante, doivent la choisir d'un âge un peu avancé, et d'une pureté dans les moeurs irréprochable.
Si, malgré toute leur vigilance, un jeune coeur s'est engagé, ou bien que les mauvais conseils de quelque compagne aient donné lieu à l'imagination d'enfanter des dérèglements, dès qu'ils s'en apercevront, qu’ils ne se livrent point à une sévérité cruelle pour y mettre ordre, mais qu'avec autant de modération que d'intelligence et de fermeté, ils emploient sur-le-champ les moyens que j'ai indiqués dans le second période, et le troisième degré du premier.
Et vous, maîtresses de pension, qui faites de l'emploi honnête de l'éducation un métier vil, sordide et mercenaire, songez que vous vous chargez de crimes quand vous commettez le soin de vos jeunes élèves à des sous-maîtresses, qu'un intérêt sordide vous fait choisir dans la lie du peuple, ou au moins dans le sein d'une misère presque toujours occasionnée par l'inconduite. Je finirai cet ouvrage par des observations sur l'imagination, qui ne pourront être qu'utiles. Les médecins, les parents, le sexe même, y trouveront des avis et des réflexions morales travaillées d'après nature, et autorisées par des exemples réels.



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