M.-D.-T. de Bienville
Docteur en médecine
La nymphomanie ou traité de la fureur utérine
Dans lequel on
explique avec autant de clarté que de méthode, les commencements
et les progrès de cette cruelle maladie, dont on développe les
différentes causes ; ensuite on propose les moyens de conduite dans
les diverses périodes, et les spécifiques les plus
éprouvés pour la curation,
(Amsterdam, 1771,
in-8°)
Préface
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
CHAPITRE IV :
DES DEGRÉS ET SYMPTOMES DE LA FUREUR UTÉRINE
Par tout ce que nous avons dit jusqu'à présent, il
serait aisé de conclure qu'il n'est point de maladie où les
gradations soient plus promptes et plus violentes, et dont néanmoins les
symptômes puissent rester plus longtemps cachés, au moins dans ses
commencements, et même lorsqu'elle a acquis une certaine malignité.
C'est alors qu’il faut absolument l'œil pénétrant et
habile d'un homme expérimenté auquel rien n'échappe, et qui
sait, malgré le peu d'apparence du danger de la plaie, fonder avec autant
de hardiesse que de lumière les sinus fistuleux, et
pénétrer les clapiers dont d'autres ne se seraient pas seulement
douté.
Quoique la fureur utérine soit une passion morbifique
assez constamment semblable à elle-même dans les différents
sujets où elle se rencontre, elle souffre cependant des variations, sinon
essentielles, au moins accidentelles, dont il est important de s'instruire, pour
suivre exactement cette maladie dans tous ses degrés ; c'est pourquoi je
la distingue : 1° Il en commençante ; 2° en confirmée ;
3° en désespérée.
Dans le premier état, la
raison jouit encore de tous ses droits, la turpitude est encore capable de
causer mille horreurs, les saletés dont l'imagination est remplie
trouvent à combattre des impressions de pudeur et
d'honnêteté, qui donnent encore le courage d'en repousser la
malignité; ou, si on leur cède, on a grand soin de se cacher sous
le voile impénétrable du mystère : alors des
syndérèses continuelles viendront réveiller les sentiments
honnêtes qu'un moment de brutalité aura essayé
d'étouffer, et la malade aura la faculté de rentrer en
elle-même, et de reprendre sa première tranquillité. Quelque
combat qu'elle ait à essuyer, tant qu'elle aura la force de se faire
à elle-même ce raisonnement, qu'il n’est ni permis, ni
honnête d'obéir à une passion aussi honteuse, et qu'elle
ne perdra jamais de vue cette vertueuse maxime, elle résistera longtemps,
et peut-être, toujours, à la violence de sa passion.
Elle se
tirera avec d'autant plus d’avantage des commencements fâcheux de
cette maladie, que ses fibres auront reçu des secousses moins violentes:
ce qui arrivera : 1° si elle est organisée de façon
à être moins sensible; 2° si un sommeil heureux vient à
son secours, pour remettre ces mêmes fibres dans le calme dont elles
jouissaient avant leur tension; 3° si la nourriture, ni la façon de
vivre n'ont rien d'irritant; 4° si les principes d'une bonne
éducation sont soutenus par des exemples; 5° si on peut avoir
recours à la fuite des objets capables d'exciter ces vibrations; 6°
enfin, si on fait usage à propos des anodins et des
rafraîchissants.
Mais si la malade, après avoir longtemps
combattu, commence à vouloir trouver dans son esprit des raisons pour
douter de la vérité et de l'honnêteté de la maxime
que nous venons d'établir; si elle est d'un tempérament
naturellement violent; si elle voit sans précaution les objets qui la
rendent malade; si elle s'abandonne à une vie molle sensuelle et
voluptueuse; si elle prend en aversion les exemples heureux qui pourraient la
ramener à l'amour de la vertu; si, au lieu de prendre des boissons
rafraîchissantes et capables de calmer l'âcreté des humeurs,
elle boit au contraire des vins et des liqueurs; si enfin elle vient à
être privée du sommeil, bientôt les secousses
réitérées des fibres des organes feront éprouver
à ceux du cerveau une tension, ou plutôt une pression qui fait
déraisonner : c'est alors que nous devons regarder la maladie comme
confirmée; car la malade ne voit plus les objets du même œil,
ils prennent dans son esprit et dans son cœur une tournure bien
différente; elle jouit sans inquiétude et sans remords des
mêmes choses dont auparavant la présence, ou seulement la
pensée, produisait mille troubles dans son âme : elle peut enfin se
dire à elle-même, que rien n'est si beau et si doux que
d'obéir aux amoureux désirs. Voilà donc le
délire mélancolique qui la saisit, et nous la voyons passer
joyeusement du premier au second période, et s'approcher avec
délice des bras de la mort qui l’attend au troisième
période, vers lequel elle s'avance à grands
pas.
Néanmoins dans ce second période la consonance peu
naturelle des fibres n'est pas toujours constante, elle peut varier par
plusieurs causes naturelles et artificielles:
1° Cette violente
cupidité peut s'émousser d'elle-même par nombre d'accidents
qu’il serait trop long de détailler;
2° Le repos du
sommeil procuré par des émulsifs ou des narcotiques, quelquefois
même par le seul besoin de la nature, peut modérer les mouvements
précipités des fibres;
3° Les anodins seuls utilement
administrés, peuvent les relâcher;
4° La grande chaleur
du sang peut être tempérée par quelques saignées et
des rafraîchissants;
5° Enfin les avis, les reproches, et quand
la douceur ne réussit pas, les corrections peuvent quelquefois ramener la
malade à son devoir.
De tout cela, on conçoit que ce second
période est encore susceptible de variations, de remèdes et de
curation, et le succès se fait bientôt connaître par la
différence du maintien, des propos, et de toute la conduite de la
malade.
Mais il n'est pas facile d'exprimer avec quelle facilité et
quelle précipitation on passe au troisième période, dans
lequel nous regardons la maladie comme désespérée. Dans cet
état, la longueur du mal a opéré dans les fibres un parfait
changement de ton. Les idées ont des représentations absolument
différentes, qui font adhérer le cœur et l'esprit de la
malade à la seconde proposition contradictoire de la première; de
sorte qu'au lieu d'essuyer encore, au moins par de légers intervalles,
quelques troubles à la vue du danger, elle est au contraire parfaitement
d'accord avec toutes les puissances du corps et de l'âme, pour soutenir
que rien n'est si honnête, si naturel ni si permis, que de se livrer
à tous les plaisirs des sens.
Dans cette cruelle situation, il est
essentiel de remarquer les diverses positions des fibres pour la consonance et
la dissonance d'avec la première proposition. Ces fibres, comme je l'ai
déjà dit, changent de ton avec quantité d'autres qui
excitent violemment les désirs vénériens; de sorte qu'il
arrive que les fibres entre lesquelles il régnait auparavant de la
dissonance, sont parfaitement d'accord, et que celles qui étaient
d’accord, sont absolument dissonantes: c'est de ce bouleversement
général de leurs rapports que naît le délire qui
renverse l'ordre des idées, et qui fait que les malades affirment ce
qu'elles ont nié, nient ce qu'elles ont affirmé; et ce
délire variant et se multipliant à l'infini, se joint
bientôt à une espèce de fureur, de sorte que ces
malheureuses une fois sorties du sentier de la droite raison, et continuellement
excitées par la véhémence du mouvement des esprits,
deviennent furieuses contre tous les objets qui s'opposent à leurs
désirs; et c'est là précisément le vrai
délire maniaque.
Quelle sera la femme assez téméraire
qui, en lisant ces affreuses vérités que l'intérêt de
l'humanité m'oblige de développer, ne sera point
épouvantée, en voyant la situation abominable où peut la
conduire le premier pas vers la volupté?
Il faut cependant faire
attention que le délire maniaque, quelque considérable qu'il
puisse être, n'est pas toujours universel : souvent il n'est excité
que par quelques objets particuliers qui réveillent l'ardeur des plaisirs
; c'est pourquoi les premiers accès de ce nid ne doivent point toujours
être regardés comme des symptômes propres à la manie,
car ils conviennent aussi aux accidents qui résultent du délire
mélancolique; c'est pourquoi nous appelons ce premier état manie deutéropathique, et le second, où les accès
sont plus violents et plus généraux, manie protopathique.
Nous n'entrerons point dans de plus grandes divisions sur cette matière,
elles nous mèneraient, comme malgré nous, à un traitement
volumineux des parties de la tête, dont les connaissances anatomiques
importent peu à l'application des remèdes et à la curation
de la fureur utérine, qui est le principal objet que nous nous proposons.
Il suffit que nous sachions que la continuité et la
véhémence des secousses des fibres dans les parties organiques,
produisent infailliblement une tension et une pression dans celles de la
tête qui causent le délire; que ce délire dans les unes est
universel, et dans d'autres n'a que des objets particuliers; et qu'enfin, de
quelque façon qu'on l'envisage, il ne laisse presque plus d'espoir de
guérison.
Nous distinguons encore cette fureur par ses
différentes causes :
1° Celle qui vient d'une trop grande
abondance de semence ou d'une âcreté considérable, ou bien
d'une trop grande abondance et d'une âcreté de la semence tout
ensemble;
2° Celle qui vient du vice des fibres nerveuses des parties
organiques qui reçoivent une vibration plus vive, soit par leur
délicatesse ou leur tension, soit par la délicatesse et la tension
réunies l'une à l'autre, ce qui leur donne une sensibilité
bien plus vive;
3° Enfin, celle qui est produite et par le vice de la
semence, et par celui des parties organiques; car alors, par la réunion
des causes simples, le mal doit s'étendre au double.
Nous la
divisons encore par rapport à ses symptômes:
1° en fureur
utérine sans délire, telle que nous l'avons remarquée dans
le premier période de la maladie; 2° en fureur utérine avec
le délire mélancolique, comme nous l'avons suffisamment
expliqué dans ce chapitre et les précédents; 3° enfin
en fureur maniaque.
Par cette division, et tout ce que nous avons dit
jusqu'à présent, il est aisé de concevoir que les
symptômes doivent être différents suivant les divers
degrés de la maladie; et cependant on ne peut douter qu'il n'y ait des
symptômes généraux qui conviennent également à
toutes les malades, et aux différents degrés de la maladie; c'est
pourquoi je les divise en communs et en propres. Les communs sont une
démangeaison et une espèce de tiraillement qu'on éprouve
dans la partie du vagin et de la matrice qui sont continuellement irrités
par l'âcreté de la semence, qui les met dans un
éréthisme d'où vient cette contraction violente qui
dessèche tous les vases destinés à arroser les parties : de
là vient aussi la lenteur dans le retour du sang, qui donne lieu à
la phlogose qu'on a plusieurs fois observée dans les cadavres des
nymphomaniaques. Cette phlogose n'est pas toujours un simple symptôme de
cette maladie, elle peut aussi très souvent en être la
cause;
2° Une grande ardeur et une sécheresse dans les parties;
d'où vient que les parois ou tuniques de la matrice étant
desséchées, les organes sont sans cesse ouverts pour recevoir les
impressions de l'air. C'est encore ce que l'on a fréquemment
observé dans l'ouverture des cadavres;
3° Le clitoris est
ordinairement enflé, et plus grand que dans une femme sage;
4°
L'un des ovaires, ou même tous les deux sont gonflés par une humeur
épaisse, visqueuse et purulente, et sont remplis de petits œufs,
dont la forme excède la naturelle. Les trompes sont quelquefois
infectées de cette matière, ainsi qu'on l'a remarqué dans
les malades qui ont été ouvertes;
5° Enfin, un flux
virulent accompagne ordinairement ces autres symptômes, soit que
l'intérieur du vagin, ayant été fréquemment
irrité par la masturbation, distille une sanie épaisse et
visqueuse, soit que cette sanie vienne de quelque ulcère fistuleux du
vagin ou de la matrice.
Outre ces symptômes communs, il y en a de
propres dans les différents périodes du mal: ainsi dans le
premier, les malades sentent des feux qui les dévorent malgré
elles. Ces flammes dont elles sentent la turpitude, les suivent partout; elles
sont inquiètes, solitaires, tristes, pensives, taciturnes, et fuient avec
soin la société de leurs compagnes. Rien ne les affecte aussi fort
que les pensées obscènes dont elles sont
préoccupées; elles en perdent la faim, la soif et le sommeil, et
ne donnent presque rien à ces besoins naturels, pour ne point se
distraire des objets qui les inquiètent. Elles tombent dans des
méditations si vives et si profondes, que les idées sales et
lascives dont les fibres du cerveau sont sans cesse fatiguées, leur
donnent une oscillation et une tension qui leur fait absolument perdre l'usage
du sommeil.
Elles ont des intervalles heureux où la turpitude de
leurs désirs leur fait horreur. Elles essaient quelquefois de rentrer
dans le sentier de la sagesse, mais plus souvent elles ne s'occupent que des
moyens qui pourront dérober à tout le monde la connaissance de
leur état. Elles espèrent même le cacher aux personnes qui
en sont la cause. Mais vaine résolution, efforts impuissants ! quand
ils prennent leur source dans le propre sein de la faiblesse.
La lecture
d'un roman, un tableau voluptueux, une chanson luxurieuse, les propos et les
caresses d'un homme séduisant, font bientôt manifester des
mouvements dont on aurait juré, un instant auparavant, être
éternellement maîtresse.
Il faut néanmoins convenir que
ce premier période admet des intervalles assez longs pour donner le temps
de guérir les malades. Mais ne vous fiez jamais à la
tranquillité même réelle dont elles paraissent jouir;
c’est un feu mal éteint qui se rallumera au premier jour avec une
fureur dont on ne sera plus maître. Profitez au contraire de ces moments
précieux dont on est quelquefois redevable à une évacuation
critique et abondante, tantôt à quelques saignées et autres
remèdes de précaution qu'il aura plu à un médecin
d'ordonner, tantôt à un régime de vivre que le hasard de la
saison ou de la situation des lieux aura procuré, quelquefois enfin
à une chute qui oblige à des remèdes, à un repos et
à un régime aussi exacts que si l'on avait à guérir
la maladie intérieure la plus maligne. Profitez de ces moments pour
remettre le calme dans ce petit monde, où les tempêtes et les
orages ont déjà occasionné de si fâcheux
désordres. Tenez la malade dans l'éloignement des objets qui
pourraient encore rallumer ses feux : tenez-la longtemps à un
régime humectant, sobre et rafraîchissant; procurez-lui des
récréations suivant son goût, et variez ses occupations de
manière à ne point l'ennuyer ; faites en sorte que ses petits
travaux exigent autant d'invention de la part de l'esprit, que d'adresse du
côté des doigts : car, combien d'ouvrages une femme par habitude
peut-elle faire, qui laissent l'esprit et le coeur dans une oisiveté des
plus pernicieuses?
Dans le second période, les fibres du cerveau
sont si fatiguées des combats que l'imagination leur a fait essuyer,
qu'elles commencent à changer de ton : alors les images qui ne pouvaient
paraître qu’avec une turpitude révoltante, trouvent un
accès plus facile et moins inquiétant. Le délire et la
tristesse s'emparent de la malade: on trouve qu'il est bien dur d'être
toujours armé contre les plaisirs des sens; on commence à douter
de la vérité de la maxime dont nous avons parlé; on cherche
dans son esprit et dans son cœur des raisons pour en blâmer la
sévérité, et pour justifier la proposition contradictoire
de ce qu’elle présente de malhonnête. Tantôt on se
condamne, et l’on frémit de son état; tantôt on
balance les avantages d'une vie toute voluptueuse, avec ceux d'une conduite sage
et honnête. La malade tombe dans une mélancolie profonde, ses
forces se perdent, sa vertu s'anéantit: la mollesse et toutes les images
lascives qui l'accompagnent étouffent les remords, et s'emparent de son
âme tout entière. Pour le coup, l'effronterie prend la place de la
pudeur.
Au lieu de combattre les désirs, on ne cherche plus
qu'à les multiplier et à les assouvir. On ne se trouve plus assez
de sens pour assouvir son affreuse cupidité. Tous les objets qui peuvent
favoriser cette ardente passion, deviennent des dieux tutélaires auxquels
on ne rougit plus de prodiguer son encens.
Dans ce déplorable
état, l'homme le plus ignoble devient un personnage intéressant.
La malade l'attire à elle par mille moyens qu'il serait trop long de
déduire: elle le caresse, elle le prie, elle le sollicite; et quand ses
flatteries n'ont pu réussir, elle ne craint point d'employer les menaces
pour qu'on satisfasse sa brutalité. C'est pour lors que les fibres du
cerveau sont tellement renversées, que leur dissonance se convertit en
parfaits accords, et que la malade ne trouve plus en elle-même
d'opposition à se persuader qu’il lui est enfin permis
d'obéir à ses passions, et qu'elle peut dire et faire toutes les
folies qu'une erreur aussi honteuse doit lui inspirer.
Dans le
troisième période, cette mélancolie se tourne en manie,
c'est-à-dire en fureur. Alors les malades ont l'esprit absolument
aliéné, surtout lorsqu'il est question des choses
vénériennes; elles profèrent continuellement des
obscénités révoltantes; toutes les personnes connues ou
inconnues sont sollicitées, pressées et poursuivies par elles,
dans l’espoir d'en jouir. Si on leur résiste, elles se jettent sur
vous avec fureur, vous frappent et vous déchirent. Elles ont aussi les
autres symptômes qui ont accoutumé de suivre toute manie
vénérienne, c'est-à-dire l'insomnie, le défaut
d'appétit et de soif, malgré le grand besoin de manger et de
boire, une chaleur brûlante par tout le corps, sans fièvre,
l'insensibilité aux froids les plus piquants, un ventre paresseux, des
urines épaisses, pourprées et peu abondantes.
Alors se
manifestent infailliblement les terribles accidents qu'on a quelquefois pu
éviter dans le premier et le second périodes du mal; tels que sont
les tumeurs, les stéatomes, les hydatides et les, abcès, un flux
d'une purulence fétide, la phlogose de la matrice et de toutes les
parties qui l'avoisinent, et quantité d'autres dont
l'énumération ne serait d'aucun secours pour connaître cette
situation désespérante, qui, malheureusement pour ces
infortunées, ne s'annonce qu'avec trop d'évidence.