Sous les pavés, les charlatans

charlatanGrâce au projet de loi sur les psychothérapies, nous savions que le Luxembourg courait de « grands dangers » et que ses patients, vulnérables par définition, étaient exposés à de « graves dérives ».

Le danger, nous avertissent toujours les alarmistes, viendrait d’un nombre inquiétant de soi-disant « charlatans » se prétendant psychothérapeutes : « […] le constat en terme de prise en charge des patients en psychothérapie est inquiétant: certains d’entre eux ne sont pas traités correctement ou mal accompagnés par de soi-disant psychothérapeutes qui sont soit mal formés, soit pas formés du tout ! »[1]  

Qu’on s’imagine !

Mais jusqu’à présent, les ténors de la menace taisaient le nombre de ces malfaiteurs supposés. Les charlatans se propageraient, selon les dénonciateurs, du fait d’une « législation passablement obsolète et qui, surtout, place le commun des patients potentiels dans un brouillard opaque ». (Le Jeudi du 30.10.2014, p. 6).

Nous savons entretemps grâce au président de la Société Luxembourgeoise de Psychologie (SLP) et chargé de direction du Centre d’Information et de Prévention, que « pas mal de gens peu sérieux en profitent pour leur extorquer de l’argent ».

Le brouillard législatif ne cacherait donc pas seulement de faux thérapeutes, mais encore des maîtres-chanteurs s’adonnant à des délits en toute impunité.

Le délit d’extorsion n’a pourtant pas attendu les législateurs de la santé. Il a été défini, il y a bien des années déjà, par le code pénal luxembourgeois Art. 470 (l. 18 juillet 2014). Les psychothérapeutes, cités par le président, risqueraient donc, toujours selon le code pénal, une réclusion soit de 5 à 10 ans (Art. 468), soit de 10 à 15 ans s’ils ont accompagné leurs extorsions de violences (les abus sexuels mentionnés par le Jeudi) ou de menaces dans une maison habitée (Art. 471), soit de 15 à 20 ans, s’ils ont pratiqué leur fausse psychothérapie sur la voie publique (Art. 472). Les mêmes peines s’appliquent si une maladie incurable, une incapacité permanente de travail personnel ou la perte de l’usage absolu d’un organe ou une mutilation grave (Art 473) résulte de l’exercice de la thérapie à extorsion. Dans le cas où la mort du patient s’ensuivrait (pensons à l’incitation au suicide, mentionnée par le Jeudi), ils sont évidemment passibles d’une réclusion à vie.

Espérons que des imputations aussi précises s’accompagnent des preuves légales des faits ; ce sans quoi leurs auteurs risqueraient eux-mêmes de se rendre coupables de calomnie, voire de diffamation.

L’enquête citée du Jeudi révèle aussi les premiers chiffres officiels de ces faux thérapeutes pratiquant l’extorsion, le chantage émotionnel, l’abus sexuel et l’incitation au suicide. Ou presque …
Car il faudrait gommer la nuance qui distingue les mensonges ou malhonnêtetés faisant l’objet de ces plaintes des crimes et délits caractérisés, également mentionnées par la chargée de direction de la Patientenvertriedung, comme autant d’épouvantails sans nombre.

D’après les statistiques citées par Michèle Wennmacher, « deux à trois cas liés à une psychothérapie mensongère ou malhonnête » (Le Jeudi, du 30.10.2014, p. 6) sont annuellement signalées à la Patientenvertriedung.

Ce serait donc par rapport à de telles informations qu’il faudrait entendre l’urgence de la répression des charlatans, si vigoureusement défendue par le Ministère de la Santé et par les psychologues de la SLP, proches du même ministère.

Il serait utile de comparer ces statistiques à celles que publie le Collègue Médical dans ses rapports annuels.[2] 
En 2013, le Collège a été saisi de 75 plaintes, dont 10 pour des questions tarifaires, 20 relatifs au comportement humain ou professionnel et 26 en désaccord avec des traitements administrés. Ces 75 plaintes ont mené à 18 entretiens d’instruction par le Conseil de discipline, dont 5 ont donné lieu à des mesures disciplinaires. De même, 4 affaires ont été transmises au Parquet pour enquête.

Dans l’étonnante logique des alarmistes, il faudrait alors penser que dans l’absolu, et sur la période d’un an, les médecins seraient de 25 à 37,5 fois plus dangereux que les psychothérapeutes.

Mais dans ce cas, ne devrions-nous pas interdire l’exercice de la médecine au Luxembourg ?
Ou ne devrions-nous pas du moins placer un policier ministériel derrière chaque médecin exerçant sa profession ?
Un gardien de la santé qui surveillerait chacun des actes, chacun des documents du médecin et qui en rapporterait régulièrement au Ministère de la Santé et de la Répression des Charlatans ?

Ironie d’un citoyen dépité ?

Loin s’en faut ! Car en réalité, le Ministère a déjà envisagé déjà de telles mesures de répression contre les médecins dans son projet de loi modifiant les attributions du contrôle médical.

Selon l’article 419 dudit projet, les fonctionnaires du contrôle médical seraient investis du pouvoir de se rendre chez les médecins afin « d’y consulter sur place les documents […] auxquels ils doivent avoir accès ». Le Ministère s’autorise donc d’émettre des contrôleurs médicaux, dotés d’un pouvoir équivalent à celui de l’« officier de police judiciaire », muni d’un mandat de perquisition émis par un juge d’instruction.[3]

Après les psychothérapies, ce seront donc bientôt les modèles non-luxembourgeois de la médecine qui seront interdits au Luxembourg. Le grand principe déontologique du primum nil nocere sera du moins préservé dans sa clause accessoire. Et pour ce qu’il en est de son précepte principal, l’utile, les patients pourront toujours se rendre en Allemagne, en Belgique ou en France, où la pluralité des traitements n’a pas encore été éradiquée par la politique de la peur. 
 

L’exemple montre en tous les cas que cette tendance politique ne se limite pas aux seuls psychothérapeutes. Dans sa chasse systématique aux sorcières, le Ministère n’hésite pas à remettre en question le principe même de la séparation des pouvoirs.

Ici comme ailleurs, la démocratie recule aisément quand il est question de « protéger » les veuves et les orphelins. Et ce qui se manifeste à l’exemple de la psychothérapie et de la médecine ne sont que quelques exemples concrets d’un nouveau style de gouvernance plus général. maicaron_port3e.1207067010.thumbnail Il suffit d’évoquer des grands dangers, mêmes imaginaires, mêmes abstraits, pour que les portes des libertés civiles se verrouillent.
En contrepartie, demain, nous aurons une société tellement plus saine et tellement plus sûre.

Footnotes    (↵ returns to text)

  1. Georges Steffgen dans le Wort électronique du 12 novembre 2014 à 16:37
  2. http://www.collegemedical.lu/Uploads/Rapports/Doc/20_1_Rapp2013.pdf
  3. Le Corps Médical, 2014, N° 03, p. 18.

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